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An de grâce 2977...
"Lorsque toutes les mers du globe eurent disparu, les hommes pensèrent que la fin du monde était arrivée.
Ils s'apitoyèrent sur leur sort, sans même songer à l'espace infini qui s'étendait au-dessus de leur tête...
Seule une poignée d'hommes, croyant en l'avenir radieux du genre humain, eurent le courage d'aller explorer la "mer du dessus". Alors, les autres ricanèrent en disant: "ce sont des fous qui courent après un rève irréalisable." Et nous avons été considérés comme des hors-la-loi.."
Aborder ce personnage culte connu par les dessins animés m'a un temps mis à distance de l'oeuvre originale par une crainte floue entre déception et ravissement. Et puis je me suis lancée.
Si le dessin m'a surpris pendant les premières pages (il me semblait comme inabouti, peu précis), on comprend vite sa construction d'autant qu'il est à l'ancienne (en case presque comme une BD et sans effet chibi / exagéré. Les émotions ne peuvent donc pas uniquement passer par le dessin : le texte est précieux). Tout tient dans l'histoire avec une véritable réflexion philosophique et éthique. Ce n'est pas un manga pour enfant tel qu'on l'entend mais bel et bien pour adulte. Il est aussi à appréhender par rapport à l'époque où il a été dessiné (1977, mais le mangaka est né en 1957, peu après la deuxième guerre mondiale et il a été l'assistant d'Osamu Tezuka).
La place de la femme est courageuse quand on prend la peine de lire le manga jusqu'au bout. Au début, j'ai été déconcertée avec des tirades sexualisées comme " (homme) Pas question ! On ne veut pas de femme dans les pieds ! // (femme) En voilà des façons de traiter la gent féminine ! Les hommes seraient pourtant bien ennuyés sans nous ! // (homme) Ca dépend du lieu et du moment ! Pour l'instant reste là!" ou encore "(homme) dans des situations pareilles, une femme doit rester en retrait et veiller à ne pas déranger les hommes".
Mais Leiji M. n'a rien d'un Go Nagai méprisant les femmes et justifiant la violence envers elles. Au contraire, elles font partie à part entière de l'équipage de l'Arcadia, Kei (Nausicaa) est commandante en second, et les hommes sont vus sous un jour lamentable quand il s'agit de femmes : "les hommes tremblent de peur au moindre coup de tonnerre. Leurs yeux ne brillent que pour les corps nus de femmes maquillées et chaussées de talons hauts" ou "les hommes sont incapables de résister au sourire enjôleur d'une femme" ou encore la réunion du Ministre du gouvernement terrien (un couard) pour les droits des femmes coincée entre sa partie de golf et d'autres futilités, etc.
Il s'amuse même parfois en approuvant le tabou touchant aux lectures érotiques pour femmes (moment très fin et drôle devant la mine défaite des hommes) ou en prévenant que "une femme en colère est bien plus redoutable qu'un homme" ou cet hommage au travers des Sylvidres : "une forme de vie évoluée, inconnue, courageuse, entreprenante, déterminée".
Le propos de cette oeuvre n'est pas féminin mais existentiel : en temps de guerre, faut-il combattre au risque de tout perdre, au risque de l'isolement ? Faut-il tuer même ceux qui nous ressemblent, ceux qui comme nous ont des sentiments ? La liberté est-elle d'obéir ou de se rebeller au risque d'être exclu de la société ? Comment vit-on quand on a plus rien (famille décimée et culture anéantie - Mimé ou Zoru) ? Faut-il se suicider (l'éternel question universelle posée aussi par Albert Camus) ? Faut-il laisser une poignée de personnes lutter pour que le reste de l'humanité puisse faire l'autruche ? A quoi sert la lutte dans ce cas ?
Il y a aussi une réflexion sur ce qu'est un humain face à l'IA: l'ordinateur central (Alfred décédé) est-il un être vivant ? Le manga japonais en général (Albator, Ghost in the Shell, Appleseed...) est précurseur sur ces questions qui nous agitent que seulement maintenant en Europe.
Le manga est sombre, désillusionné, et l'espoir n'est pas une évidence : "inutile d'ouvrir un livre d'histoire : tout le monde sait que le choc de la rencontre de deux civilisations ou de deux espèces différentes se solde souvent de façon tragique". D'ailleurs le manga ne finit pas. Albator et son équipage vont continuer à poursuivre les Sylvidres.
C'est un magnifique voyage philosophique, sombre, absolument pas manichéen, qui nous interroge sur l'Humanité en général, la guerre, la conscience de soi et la conscience collective. Très beau !
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