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Ce 2e et dernier tome est un peu moins sombre que le 1er. En préface, Stéphane Beaujean évoque la chronique sociale maitrisée par le mangaka, qui le revendique aussi en tant qu'oeuvre de style Gekiga (manga pour adulte abordant des sujets graves et sociologiques) en p. 285. Le dessin est toujours aussi beau mais avec une impression d'être moins précis parfois, moins soigné. Fallait-il aller vite ?
Dans ce 2e tome, Yuko, la protagoniste et propriétaire d'un bar à hôtesses à Tokyo, troque le kimono ancestral pour une tenue moderne et tente de donner un nouvel élan à sa vie : fini de ressasser le passé, elle ouvre un nouveau "Club des divorcés" plus intimiste avec Ken-chan, le barman et amoureux silencieux qu'elle mène en bateau. La prostitution des hôtesses, dont la sienne, n'est plus édulcorée, oscillant entre les "dannas" modernes et les coups d'un soir. Le suicide reste encore présent avec la déchéance sociale, des thèmes forts et peu évoqués publiquement continuent d'être dessinés et mis en scène de manière juste, toujours sans l'air d'y toucher.
L'assertion que fait Yuko au Professeur Hikoi (un riche japonais ayant commencé dans la criminalité semble-t-il et ayant fini dans les hautes sphères bancaires qui agit aussi comme son "danna") semble se retourner contre elle : pourquoi passer autant d'énergie à construire quelque chose pour ensuite le détruire de manière honteuse et cruelle ? Je ne suis pas sûre, en refermant ce manga, que Yuko ne va pas vivre l'enfer bientôt face à un Ken-chan qui se sent des droits sur elle et elle qui joue de sa liberté en utilisant la prostitution haut de gamme.
Enfin, la postface par Toshiya Morita, journaliste japonais, m'a glacée : Kazuo Kamimura, le mangaka, sait peindre les femmes avec finesse et subtilité mais il ne faudrait pas s'y fier. Il pourrait aussi avoir une double face qu'il montre avec "Les fleurs du mal" (version japonaise) et qui est glauque & malsaine allant probablement jusqu'au viol, ce qui me rappelle son #MeeToo douteux du tome 1. Stéphane Beaujean rappelle, dans la préface, que le mangaka connait très bien le milieu des bars à hôtesses par sa mère qui en avait un ainsi que par ses fréquentations de ces milieux en grandissant.
Cet postface n'est peut-être pas mise pour rien à la fin de l'oeuvre, une fois que nous avons tout lu.
--------------- Citations du tome 2
- Yuko : "C'est l'époque où l'on n'a plus envie de devenir quelque chose en particulier...
- Ken : " Et ça t'angoisse, l'idée de ne pas être devenue ce que tu aurais voulu ?"
- Yuko : "Un peu. Enfin, ce n'est pas tant que ça que le fait de devenir ce qu'on ne voulait pas être. Ca, c'est pire"
Poème sur le mariage (raté) - p. 473 :
Je ne sais pourquoi, j'éprouvais une immense fatigue.
Tu n'avais même pas le temps de t'en apercevoir.
Mais tu faisais déjà pousser dans les recoins de mon coeur
Une certaine crainte.
Comme une graine tombée dans mon coeur
Pourtant comblé de ton amour
Cette crainte avait fait germer les racines de l'angoisse
Qui semblait déjà devoir faire fleurir le malheur
C'est un manga tout en finesse et subtilité, parfois acide l'air de rien, non manichéen et pas non plus féministe en contre (c'est-à-dire en opposition aux hommes). Nous sommes bien loin de l'image du manga pour adolescente fleur bleue ou jeune garçon violent. Le dessin est fluide, précis, juste, détaillé sans surcharge. Le texte est tout en double sens ou il faut être bien attentif car il y a souvent un second degré. Il est à noter la qualité de la traduction qui nous permet de pouvoir le percevoir (traduit par Samson Sylvain).
Nous sommes dans les années 70 au Japon, juste après le "mai 68" à Tokyo (un peu comme à Paris mais en plus violent). Yuko a 25 ans, elle est divorcée, elle a une petite fille de 3 ans qui est en garde continue chez la grand-mère maternelle. Si elle a intégrée les codes sociaux notamment sur la place de la femme, elle n'en est pas pour autant résignée et tente de résister en essayant de maintenir son indépendance financière, professionnelle et familiale.
Michio, son ex-mari, erre comme une âme en peine entre alcool, spleen et désillusion. Elle tient un club à hôtesses (bar à hôtesses) dans le quartier de Ginza qui pourrait être l'équivalent du quartier du Moulin rouge.
Le manga est découpé en chapitres mais traversés par des thèmes profonds et peu évoqués sur la scène publique et sûrement encore moins dans les années 70 :
- la solitude
- le suicide des femmes avec un très bel extrait d'un poème : "les fantômes des poissons dorés / De solitude / De tristesse / Se jettent sur cet hameçon / Venu du ciel" - Bocho (l'hameçon représentant le suicide)
- le fait d'être mère tout en ayant une activité professionnelle atypique
- le fait d'être père et de ne plus avoir de droit en cas de divorce
- la sexualité féminine, le rapport à son corps et au désir
- la tristesse et la solitude des enfants de parents divorcés (qui n'ont pas voix au chapitre)
- la pression sur les hommes pour être performant sexuellement
- un #MeeToo avant l'heure dans le secteur de l'édition (p.326) avec une subtilité indéniable ?
Mise à jour de cette réflexion suite à la lecture de la post-face du tome 2 : c'est un #MeToo par... le bourreau lui-même qui s'en amuse. C'est malsain je trouve.
Une perle visuelle et émotionnelle, une chronique sociale contemporaine du Japon des années 70 tout en retenue, écrit par UN mangaka.
Toujours dans la même veine que les premiers tomes, j'ai moins aimé ce deuxième volume. J'aurais aimé moins de suggestions et plus d'action entre les protagonistes. Mais j'imagine que c'est aussi le message du mangaka de nous dévoiler à quel point la vie des ces femmes japonaises est fragile et certaine.
Reflet du Japon dans années 70 et des conditions de vie toujours difficiles auxquelles sont soumises les femmes divorcées à cette époque, ce manga est d'une beauté mélancolique sublime. On y retrouve le dessin fin et délicat de Kazuo Kamimura qui dépeint comme toujours des héroïnes malheureuses mais résignées à mi-chemin entre tradition et modernité.
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