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« Les dictatures donnent souvent naissance à d'excellentes littératures. C'est un paradoxe réjouissant, auquel l'Indonésie n'a pas échappé. Comme l'Albanie l'a fait avec Kadaré, ou la Russie avec Soljenitsyne, elle s'est acharnée contre son écrivain le plus prometteur, Pramoedya Ananta Toer, et celui-ci, de son côté, s'est escrimé à ne jamais baisser la garde. Il a fini par gagner la partie [...].
Voici, avec Le Monde des hommes, le premier volet d'une tétralogie que «Pram», chaque nuit, racontait à ses compagnons de détention sur l'île de Buru. Son héros, Minke, est un jeune Javanais né en 1880, qui a la chance d'être éduqué sur les bancs de l'école coloniale hollandaise.
Cultivé, fasciné par l'Occident, il se nourrit de Thomas d'Aquin et de Swift, chérit la reine Wilhelmine, mais reste un «indigène» aux yeux bridés. [...] Le Monde des hommes est un roman politique dans lequel se glisse une intrigue sentimentale vouée au fiasco, parce que Minke a osé épouser une Hollandaise au mépris des conventions racistes qui, au début du siècle, soumettaient l'Indonésie à un odieux apartheid. Colonialisme, haine, discrimination : autant de spectres que «Pram» combat, la rage au coeur. Son oeuvre est une thérapie collective, un plaidoyer pour la dignité d'un archipel dont il ne cesse, de livre en livre, de retracer le long calvaire. » André Clavel, Le Temps.
Les Éditions Zulma publient pour la première fois la traduction du Buru Quartet, œuvre magistrale d’un des plus grands auteurs indonésiens, Pramoedya Ananta Toer. Cette immense saga, récit de l’auteur depuis sa prison sur l’île de Buru, comporte quatre tomes. Le monde des hommes est le premier volume.
Minke est né le 31 août 1880, le même jour que la jeune reine des Pays-Bas, Willhelmine. Lorsque le récit commence, Minke est un des rares indigènes élève de la prestigieuse école HBS de Surabaya réservée aux Européens et aux métis. Nous sommes dans les dernières années du colonialisme hollandais.
Minke est un élève brillant qui refuse de devenir bupati ( haut fonctionnaire indigène nommé par les Néerlandais pour administrer une région). Il rêve d’écrire, journaliste ou écrivain, il publie déjà quelques nouvelles sous un pseudonyme et se pâme devant l’enseignement des professeurs hollandais, notamment Magda Peters, professeur de littérature.
Avec un ami de l’HBS, il se rend dans la riche demeure des Mellema. Sa rencontre avec cette étrange famille va changer sa vie. La propriété est dirigée par une indigène devenue la concubine d’un Européen avec lequel elle a deux enfants, Robert et Annelies. Le coup de foudre entre Minke et Annelies est réciproque. Minke est effrayé par le père agressif et alcoolique et étonné de la culture de Nyai ( concubine indigène). Enfant, elle fut vendue par son père à Herman Mellema, un colon néerlandais. Herman lui a pourtant tout appris et lui a fait confiance pour diriger son exploitation. Nyai est une femme forte prête à tout pour que sa fille métisse n’ait jamais à vivre son déshonneur.
En conteur passionnant, Pram déroule son récit avec une grande fluidité et simplicité, respectant la linéarité, enchaînant les évènements dans les moindres détails afin que le lecteur s’imprègne de l’atmosphère, comprenne les rivalités entre indigènes, métis et européens.
Minke est un jeune homme qui se construit intellectuellement. Il connaît et se force à respecter les préceptes de ses parents mais l’éducation de l’HBS lui ouvre d’autres horizons.
» Je tiens seulement des Européens des connaissances qui font partie d’un savoir que les Javanais ignorent. »
Son voisin, Jean Marais est un peintre français qui a perdu une jambe lors de la guerre contre les Aceh. Minke aime aussi discuter avec les filles du Résident adjoint qui lui parlent de la Théorie de l’association, visant à partager le pouvoir avec des indigènes instruits. Certes, il est très attiré par la culture européenne, ce que lui reproche d’ailleurs sa famille. Mais il est aussi respectueux de la manière dont Nyai Otonsoroh a su s’élever en autodidacte au niveau de son rang.
Son entourage et les évènements pousse Minke, élève particulièrement intelligent, à prendre son destin en main. Et ainsi donner une voix aux indigènes.
Quand je me suis embarquée dans cette lecture, je craignais la grandeur de l’œuvre ( quatre tomes de 500 pages et je n’aime pas trop devoir attendre la suite des premiers tomes). A la lecture de ce premier volume, devant la puissance romanesque, la force des personnages ( surtout de Minke et de la Nyai), le contexte fort de ce régime colonial brimant les droits des indigènes, j’ai hâte de connaître la suite de cette belle et longue et histoire.
Fin 19° aux Indes Néerlandaises, l'esclavage est aboli depuis peu mais L'Inde n'en reste pas moins une colonie qui appartient aux "blancs" hollandais. Dans ce paysage politique et social post-esclavagiste, Minke est un jeune indigène brillant qui fait ses études à l'HBS, prestigieuse école à Surabaya normalement réservée aux néerlandais. Jeune journaliste studieux, rêveur et curieux, il rencontre Ontosoroh, "la nyai" ou encore concubine d'un riche colon hollandais, une indigène de poigne, ambitieuse, forte et indépendante. Elle apprit à parler couramment le néerlandais (en plus de sa langue) et s'intéresse à tout. Grande autodidacte libérée, elle tient à elle seule l'entreprise et la maison de son compagnon et l'éducation de la belle Annelies, sa fille. Face à cette femme qui - au regard des lois - n'a aucun droit, ni aucune valeur, Minke se rend compte que Nyai est bien plus proche de lui qu'il ne le pensait. Tout deux s'engagent corps et âme pour leur liberté et leur indépendance face à la colonisation hollandaise. Liberté résonne...
Par ailleurs, la romance naît d'un regard croisé entre Annelies la métisse reconnue et Minke l'indigène inconnu.
Cependant, au-delà de cet aspect romanesque du livre, Pramoedya Ananta Toer dévoile un travail minutieux et rigoureux du système colonial, des lois néerlandaises qui régissent l'Indonésie à cette époque, provoquant un profond fossé entre les indigènes et les hollandais.
Ainsi, à travers le petit indigène "insignifiant", Pramoedya travaille la psychologie, les émotions et les ambitions de Minke pour que sortent de ce roman, tout un regard idéaliste (vision de Minke et Nyai) qui est contre-balancé par une époque où quelque soit le sujet/débat, un javanais a toujours tort, est toujours fautif et un hollandais gagne toujours. Cette discrimination, Minke mais aussi Nyai, la ressentiront et Dévoiler le texte masqué.
Le Monde des hommes mélange l'amour, la loyauté, l'amitié, le succès, l'échec mais aussi les conflits politiques et sociaux. Pramoedya Ananta Toer ramène son lecteur à une époque (pas si lointaine) où le pouvoir, l'argent et malheureusement la couleur primaient sur les valeurs et les droits de chacun.
Sous un style magnifique empreint de subtilités, de poésies et de descriptions précises et imagées, l'auteur écrit une véritable perle de la littérature étrangère.
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