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L’ultime introspection de Paul l’écrivain, mais non, Zut ! de Sy le prof de philo.
Ce que l’éditeur a annoncé comme étant un « voyage dans le grand palais de la mémoire » c’est avéré être non seulement un voyage mais aussi une sorte de traversée d’une vie humaine.
Paul Auster, pour ce dernier roman publié un mois avant son décès, nous livre une oeuvre toute à son image, l’image du conteur de l’âme humaine, de l’observateur hors pair des sentiments tels que l’attachement, la mort, mais aussi l’amour ; un peintre de la vie, quoi.
Ce livre ne se raconte pas, il n’est pas que la vie de Sy, prof de philo, 70 ans, veuf et retraité, qui, venant de perdre l’amour de sa vie, entame un voyage dans sa mémoire. Il a été pour moi le roman d’un amour lumineux qui transperce les pages, puis d’une perte d’une douleur incommensurable. Malgré la mort de son amour de quarante ans lors d’un accident, Sy va faire vagabonder son coeur, son esprit, nous donnant l’envie à nous aussi les lecteurs, de rechercher la lumière quoiqu’il se passe. C’est du moins ainsi que j’ai voulu le lire. L’image de l’accident au début du livre mais aussi à la fin du livre, encadre de nouvelles informations personnelles de l’auteur. Il les glane sporadiquement, comme le petit Poucet, au fil de ses romans, deux trois par ci, deux trois par là.
J’aurais pu le prendre au premier degré et n’y trouver que les souvenirs d’un écrivain malade et vieillissant, mais j’ai décidé qu’il valait mieux que ce jugement, qu’il avait du mérite à s’accrocher à l’écriture afin d’adoucir la bataille avec la maladie.
J’aurais pu le trouver nettement moins bon que pour l’écriture des romans que j’ai adoré - Brooklyn Folies et la Trilogie new-yorkaise - mais je me serais sentie trop exigeante voire ingrate.
Il avait besoin de parler des thèmes de l’attachement, de la perte, et il l’a fait de tout son coeur, avec la dernière encre de sa plume.
Nostalgie et pudeur sont toujours omniprésents, alors de quoi me plaindrais-je ? Peut-être de savoir que jamais plus il n’écrira pour moi, pour nous, autant que pour lui-même.
Citations :
« Vivre, c'est éprouver de la douleur, se dit-il, et vivre dans la peur de la douleur, c'est refuser de vivre. »
« Baumgartner continue à sentir, aimer, désirer, à vouloir vivre mais son intériorité la plus intime est morte. Il le sait depuis dix ans, et durant ces dix ans il a fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour ne pas le savoir. »
« Et c'est là tout ce que je te demanderai jamais, mon fils nouveau-né, aux premières heures de ton long voyage vers l'âge adulte, pour devenir un homme capable de penser, agir et prendre part au monde, cela et rien de plus : mener le combat de la justice. »
« Plus que ça, dit Baumgartner, je t'écrirai aussi chaque jour. Et tu as intérêt à me répondre sinon…
Sinon quoi?
Je te virerai de mes rêves. »
Ce roman est le dernier du grand écrivain qui a tiré sa révérence en avril 2024. Atteint d’un cancer, Paul Auster aurait pu nous offrir un roman âpre et désenchanté. Que non ! c’est, au contraire, un récit lumineux, mélancolique et teinté d’humour sur la vieillesse et le deuil d’un grand amour.
Le héros, Baumgartner, est professeur d’université et écrivain, il est né en 1947, tout comme Paul Auster. Alors, faut-il parler de biographie romancée ? Certains éléments le laisseraient penser, comme cette évocation du père, juif polonais. A chaque lecteur de se faire son idée !
La vie de Baumgartner vieillissant n’est pas facile tous les jours. Ce matin, il se brûle avec la casserole oubliée sur le feu puis il chute dans l’escalier.
Son genou resté douloureux après la chute, Baumgartner travaille à son essai sur Kierkegaard et réfléchit à une nouvelle idée. Souvent, ses pensées vont vers Anna Blume, son épouse décédée dix ans auparavant. S’il ressent moins cruellement son absence, elle est toujours très présente et continue à le visiter en rêve.
« Durant les six premiers mois, il a vécu dans un état de confusion si profonde qu’il lui arrivait parfois de se réveiller le matin en ayant oublié qu’Anna était morte. »
Vieillir, c’est perdre peu à peu ses facultés et si l’ancien professeur est toujours absorbé par l’écriture, ce sont les petites vicissitudes de la vie qui sont plus difficiles à maitriser.
Tout en racontant son présent de vieil homme, Baumgartner explore le passé. Il fait revivre pour nous sa rencontre avec Anna et leur grand amour. Il partage avec nous les poèmes d’Anna qu’il a fait publier, raconte ses projets d’écriture. Entre ses souvenirs se glissent des passages du journal d’Anna.
Une rencontre va bouleverser le vieil homme et le sortir de sa solitude, celle avec Bebe Coen désireuse d’écrire une thèse sur l’œuvre d’Anna Blume.
« Une parfaite inconnue il y a deux mois à peine, elle est maintenant devenue la personne la plus importante dans sa vie. Ils ne se sont toujours pas rencontrés et ne se sont vu qu’en photo et sur les écrans numériques, mais la vérité est que Baumgartner l’aime déjà autant que la fille qu’il aurait eue avec Anna si cela avait été possible. »
Une nouvelle page s’ouvre pour Baumgartner que le lecteur ne peut qu’imaginer.
Empreint de mélancolie et de douceur, ce roman nous entraine dans la vieillesse de ce personnage solitaire qu’est Baumgartner mais toujours habité par le souvenir bien vivant d’Anna. La vie est faite de hasards et de concours de circonstances, et c’est ce fils que nous suivons tout au long du récit qui suit les pensées sinueuses du héros
Je me suis très vite prise d’affection pour le vieil homme car Paul Auster a su mettre le lecteur dans une complicité immédiate et c’est avec regret que je l’ai quitté à la page 200.
Un roman que j’ai beaucoup aimé, tant pour le style que pour le thème abordé.
Il sera dit que la période est marquée par la lecture des dernières publications des écrits de quelques plumes qui ont accompagné mon itinéraire de lecteur … Avec Baumgatner on retrouve le style de Paul Auster, sa façon de mettre la lumière sur des êtres, leurs relations avec d’autres, l’amour et les choses de la vie.
Baumgatner est un professeur de philosophie de soixante-dix ans qui vit seul après le décès (par noyade) de sa femme, une « femme forte » avec qui il avait vécu un amour puissant.
Il est à cet âge où le travail de mémoire peut prendre le pas sur l’action et la création. Mais la vie reprend dans un possible nouvel amour, un peu particulier avec une jeune femme qui vient le solliciter sur l’œuvre poétique de sa femme disparue. Cette femme qui reste présente en devenant un sujet central avec l’ambition de publier ses œuvres … pour laisser cette trace et faire reconnaitre ses qualités d’écriture.
On ne peut s’empêcher de voir ici quelques traces de la vie d’Auster, mais avec subtilité (sans tomber dans ces autofictions qui envahissent la littérature actuelle) dans un roman au plein sens du terme qui raconte finalement des essentialités sur l’amour, le deuil, la vieillesse et la mort.
Un roman mélancolique sur le deuil, la perte de l'être aimé et le vieillissement.
Baumgartner tente de surmonter son chagrin et la solitude dans laquelle il se noie.
L'histoire alterne entre le présent et les souvenirs du passé.
C'est minimaliste.
La plus plume est délicate et élégante.
Une lecture courte avec quelques longueurs ; à l'image d'une vie finalement.
Ce roman qui restera le dernier de Paul Auster est sensible et émouvant.
Au-delà de Cancerland
Toujours émouvant de parler du dernier roman d’un écrivain disparu depuis peu.
Pour ceux qui ont suivi l’œuvre de ce grand écrivain c’est une perte immense mais contrairement au commun des mortels son œuvre subsiste et Paul Auster, par elle, sera vivant dans le cœur de ses lecteurs. Une œuvre où chacun peut le retrouver à chaque page.
Ce dernier roman est petit par la taille immense par la profondeur qui s’en dégage.
Sy Baumgartner vit seul à Poe Road, il a 70 ans et est veuf depuis 10 ans.
C’est le premier jour de printemps et la journée s’annonce mal, il écrit un essai et il est ailleurs comme souvent. Il a laisser le cuiseur à œufs sur le feu, quand il s’en aperçoit c’est trop tard et se brûle la main.
Il sait qu’il doit téléphoner à sa sœur, tâche qu’il retarde toujours, on sonne à sa porte c’est Molly la gentille dame d’UPS qui lui apporte un livre.
Livre qui ira rejoindre la pile qui s’élève dangereusement dans un coin en attendant qu’il trie le tout pour en faire don à la bibliothèque. Le téléphone sonne c’est le préposé au relevé du compteur qui annonce qu’il passera en retard…
Depuis la mort de sa femme, les journées de Sy sont faites de petits riens qui prennent beaucoup de place, il voudrait seulement écrire et penser à celle qui lui manque tellement.
Puis il y a la chute qui va le plonger dans un état de fragilité où seule sa mémoire aura de l’importance. Les souvenirs remontent à la surface. Le lecteur va découvrir ce que fut la vie de Sy et Anna.
Anna est parfaitement vivante dans cette réminiscence, ce ne sont pas des divagations mais bel et bien une vie qui renait pour le plus grand bonheur de Sy.
« Vivre, c’est éprouver de la douleur, se dit-il, et vivre dans la peur de la douleur, c’est refuser de vivre. »
Il va plonger littéralement dans les écrits d’Anna et se donner pour mission de les faire publier. Ainsi Paul Auster dessine un portrait amoureux de cette femme qui pour lui a été exemplaire. Sa mort n’a été que la résultante de la façon dont elle a vécu, toujours oser braver le danger, ne pas se conformer, bien sûr pour celui qui reste seul c’est difficile mais il a respecté jusqu’au bout la personnalité de son aimée.
Les passages sur Anna sont très forts et lumineux et le lecteur ne peut que faire le lien avec Siri Hustvedt femme admirée et dont il reconnaissait la supériorité artistique.
Sentiments et admiration subsistent jusque dans l’au-delà.
Je l’ai lu comme l’ultime déclaration d’amour à sa femme d’un homme qui sait que son temps est compté.
La construction est tortueuse comme la mémoire mais le dessin se peaufine au fil de la lecture pour donner un récit lumineux, fort dans sa densité.
Il dit aussi que les gens qui vieillissent ne sont pas sans intérêt, ils ne sont pas que des enveloppes vieillissantes et ratatinées, ils ont un vécu, ils sont vivants jusqu’au bout.
Bien évidemment dans le personnage de Sy on y retrouve Paul et l’espièglerie est de faire que dans ce couple c’est l’homme qui est vivant et la femme morte.
Une façon de terminer en beauté en écrivant une ultime déclaration d’amour.
Les première pages sont d’une beauté absolue car elles décrivent à la perfection le délitement du quotidien, en vieillissant n’a-t-on pas envie de se consacrer à l’essentiel plutôt que de perdre son temps dans les petites tâches quotidiennes sans intérêt et chronophages ?
Paul Auster nous offre un dernier livre empli de force, de lumière et de vitalité.
Merci Monsieur.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2024/05/18/baumgartner/
Quand j’ai démarré la lecture de Baumgartner ce mardi 30 avril, j’ignorais que Paul Auster nous quittait. Le deuil a ajouté de l’émotion à la lecture de ce court roman, texte fort qui interroge aussi bien la vie que la mort, peut-être un message d'adieu. Nouveau jeu de piste, récit familial, humour et tendresse, tout y est. Baumgartner est un professeur de philo qui évoque l’absence de ceux que l’on a perdus, mais également la difficulté à écrire quand la page reste blanche. C’est un peu le double de Paul Auster quand il plonge dans ce vide qui parfois brise une vie ou du moins nous rend mélancolique. Ce roman est à lire et relire pour ce qu’il est : le dernier texte magnifique d’un grand homme.
Il m’a beaucoup touchée ce vieux prof de philo un peu paumé dans sa grande baraque, paumé et bien seul avec ses souvenirs qui lui reviennent régulièrement à l’esprit. Tout lui rappelle les jours anciens auprès de sa femme qui n’est plus, une poétesse qui a laissé une œuvre dont une partie seulement a été publiée. Il faudrait entreprendre un gros travail de relecture mais le courage n’est plus là. Il travaille son petit essai sur Kierkegaard, commande des ouvrages sur Internet pour avoir le plaisir de discuter deux minutes avec la livreuse puis replonge dans ses souvenirs, les images d’Anna dont la mort accidentelle dix ans auparavant l’a laissé inconsolable. Les déplacements dans la maison sont devenus une aventure : il risque de tomber, de se prendre le pied dans un tapis et incapable de se relever, de mourir là, seul, oublié de tous.
J’ai beaucoup aimé ce texte très sensible qui dépeint un homme dont les repères présents s’effacent ou se floutent mais qui garde des souvenirs très précis du passé lointain. C’est comme ça quand on vieillit paraît-il, on finit par vivre davantage dans le passé, s’accrochant comme on peut à un présent un peu triste et mélancolique. Et l’on circule de l’un à l’autre comme dans un rêve, entre deux mondes, sans plus appartenir à aucun.
Un récit poignant non dénué d’humour et dont la précision des détails et leur réalisme nous laissent penser que l’auteur sait de quoi il parle.
Le dernier texte de Paul Auster ? Moi je dis que non et j’attends la suite… En effet, la fin n’annonce-t-elle pas un début? Ce serait un beau pied de nez de l’auteur à ses lecteurs !
LIRE AU LIT le blog
Egalement scénariste et réalisateur, Paul Auster s’est imposé comme un auteur majeur du post-modernisme. A 77 ans et atteint d’un cancer, il publie ce qu’il annonce comme probablement son dernier livre, un ouvrage dense et court, où la marée des souvenirs assaille un écrivain vieillissant, tourmenté par la perte de sa femme et par les premières défaillances de l’âge.
Dans ce récit, où est le vrai, où est le faux ? Alter ego de l’auteur, Sy Baumgartner est un éminent professeur d’université en même temps qu’un auteur respecté. Mais, à plus de soixante-dix ans, le terme du voyage se fait pressentir. Même si, et pas seulement en esprit, l’homme n’a toujours rien lâché de ses activités, oeuvrant son relâche à son dernier ouvrage, il lui faut bien reconnaître que des détails commencent à le trahir. Veuf depuis dix ans, il a de soudaines absences, se brûle avec une casserole oubliée sur le feu, tombe dans l’escalier de la cave et ne se souvient plus de ses rendez-vous. Le mari de sa femme de ménage s’étant accidentellement sectionné plusieurs doigts, le « syndrome du membre fantôme » lui inspire une « métaphore de la souffrance humaine et de la perte ». Ayant perdu la moitié de lui-même, il se voit en « moignon humain », souffrant de tous ses membres manquants.
Alors, irrépressiblement et de plus en plus souvent, les souvenirs éparpillés telles les pièces d’un puzzle envahissent le présent comme dans une tentative de recomposer sa vie : son enfance, l’histoire de ses parents entre Europe et Amérique, et, toujours et surtout, son coup de foudre pour Anna – Blume, comme la narratrice de l’un des premiers romans d’Auster –, leur long mariage heureux mais sans enfant, son admiration pour celle qui, poétesse et traductrice, ne s’est jamais souciée de publier son œuvre, restée à l’état de manuscrits épars. Tout à son deuil impossible, en même temps qu’il continue inlassablement à plier les vêtements de l’aimée disparue, il rêve, à défaut de pouvoir lui redonner chair, de la faire revivre par l’esprit en faisant connaître ses écrits. Et le miracle se produit : éblouie par le recueil de poèmes qu’il a soigneusement choisis dans les tiroirs d’Anna pour une édition posthume, surgit une étudiante et son projet de thèse, une fille brillante, intellectuellement la copie de la morte, qui pourrait bien devenir une fille spirituelle, celle par qui la mémoire se transmet au lieu de se perdre.
Mettant, comme il sait si bien le faire, son style dépouillé au service d’un enchâssement d’histoires pleines d’incidents et de détails riches de sens, Paul Auster tisse les fils d’un récit poignant, non dénué d’humour, où amour, vieillesse et deuil trouvent, dans l’exploration de la mémoire et dans sa transmission, une continuité pleine de vitalité et d’espérance. Un dernier livre qui s’achève sur une épiphanie : la littérature ne meurt jamais et, à travers elle, ses auteurs non plus.
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