Des incontournables et des révélations viendront s'ajouter à cette liste au fil des semaines !
August Brill, septuagénaire, vit chez sa fille Miriam (divorcée depuis cinq ans) suite à un accident de voiture qui l’a cloué au lit, avec une jambe invalide. Sa femme (Sonia) est récemment décédée d’un cancer. Sa petite fille (Katya) y vit également, victime d’une sorte de dépression, due à un profond sentiment de culpabilité) depuis la mort de son ex petit ami (Titus) tombé en Irak.
La nuit, August Brill est en proie à des insomnies provoquées par ses angoisses et ses souvenirs les plus douloureux. Pour les fuir, le vieil homme s’invente des histoires …
Paul Auster va nous raconter avec brio – en alternance avec la vie passée du retraité – celle d’un certain Owen Brick (sorti directement de l’imagination de son héros) et brutalement plongé dans une guerre civile américaine. Malheureusement pour August Brill, il n’est pas si facile que ça d’échapper à l’activité incontrôlable de sa mémoire …
Ce court roman de 182 pages, je l’ai aimé dès les premières lignes ! Magnifiquement écrit, Paul Auster démontre avec intelligence la fragilité de l’âme humaine, sa générosité ou ses démons. Il analyse les diverses étapes de nos existences, comme autant d’épreuves qu’il nous faudra traverser, d’actes qu’il nous faudra assumer ou pardonner. Un très grand plaisir de lecture que ce roman (édité en 2008) dont l’auteur nous manque déjà !
Troisième volet de la ‘Trilogie new-yorkaise’ dans lequel Paul Auster place de nouveau son personnage principal dans une mise en miroir avec un effet de thriller métaphysique où le héros va être piégé par sa /ses propre(s) décision(s) de faire revivre un ami perdu de vue en faisant éditer ses écrits laissés dans une malle et en prenant sa place auprès de son épouse.
Comme un billet de loterie tombé du ciel, le livre (puis l’œuvre entière) connait un succès retentissant. L’argent est dédié à Ben âgé de trois mois et demi que portait la belle Sophie, épouse de Fanshawe quand il disparut.
Chemin faisant, après plus de six mois sans traces ni nouvelles, Sophie et le narrateur adoptant Ben, vont faire ménage en se débarrassant l’esprit de Fanshawe jusqu’à le décréter mort.
Mais voilà… Fanshawe ressurgit par un courrier adressé personnellement au narrateur en lui faisant jurer le secret et surtout de ne pas essayer de le retrouver.
La situation est trop lourde à porter. Alors que le vœu du narrateur tend plutôt à se fixer au sein d'un foyer confortable, il ne va pas pouvoir résister à se lancer dans l’aventure interdite.
Il va en secret se mettre à la recherche de Fanshawe tout en poursuivant à son insu une quête de lui-même dans laquelle il finira par se perdre.
« Si mon but était d’annihiler Fanshawe, ma débauche était une réussite. Il avait disparu — et moi avec. »
En fin de livre (P. 401), Paul Auster s’invite dans la fiction au nom du narrateur pour parler de sa trilogie new-yorkaise en écrivant entre autre : « (…) Ces trois récits, au bout du compte, sont la même histoire mais chacun représente un stade différent de ma conscience de ce à quoi elle se rapporte. (…) Il y a maintenant longtemps que je me démène pour dire adieu à quelque chose et, en réalité, seule cette lutte compte. (…) »
Une lecture accessible et fluide pour une intrigue originale rythmée et bien menée.
L'écriture de Paul Auster est un plaisir de lecture : fluide, précise, énergique, "La Chambre dérobée" (l'équivalent de notre expression de "boîte noire" pour désigner notre psychée) est comme un homme qui se parle à lui-même (le narrateur) tout en ayant un style avec de l'action. Il n'y a pas de surplace mais un enchaînement d'évènements sans mièvrerie.
La loi américaine concernant les personnes disparues impose un délai de 7 ans avant que celle-ci ne soit déclarée officiellement morte (nous avons une loi similaire en France). Fanshawe est-il mort ? Le narrateur à la réponse mais la loi ne semble pas lui traverser l'esprit pour prendre des décisions. Vivotant tout en ayant un emploi de critique culturel dans un journal, il est stupéfait par les écrits de son ami d'enfance, perdu de vue depuis leur entrée dans l'âge adulte. S'occuper de le faire publier sans le trahir, c'est aussi un peu perdre sa propre vie pour vivre celle d'un autre. Surtout quand on épouse sa femme et qu'on adopte son fils (tout cela se fait naturellement et c'est bien amené).
Mais vivre à côté de quelqu'un de disparu est-il possible ? Est-ce que Fanshawe est vraiment disparu ? Jusqu'où la vie du narrateur peut-elle rester encore indépendante de celle de son ami d'enfance ? Pourtant ce dernier, bien qu'absent, semble lui grignoter le cerveau. Au bord de la folie et de tout perdre, le narrateur comprend une chose : la vie qu'il a crée est bel et bien la sienne, pas celle de Fanshawe.
L'histoire aurait pu / aurait dû s'arrêter là.
Le final est stéréotypé mais il permet de valider ce que l'on a compris à demi-mots ci-dessus. Il permet aussi de comprendre que certaines personnes qu'on admire sans en fait destructrice par nature.
Se reconnaître dans un autre…
Dans ce deuxième volet de la « Trilogie new-yorkaise », Paul Auster situe son personnage principal dans la peau d’un privé nommé Bleu, payé par un dénommé Blanc qu’il ne rencontre pas et qui le commandite pour épier les faits et gestes d’un homme nommé Noir.
Bleu qui pensait baisser le rideau dû au manque de clients se réjouit de l’offre honorablement rémunérée contre un rapport mensuel détaillé.
Blanc installe Bleu dans un studio confortable dont la fenêtre donne juste en face de la fenêtre de l’appartement de Noir sur Orange Street à proximité du pont côté Brooklyn.
A sa surprise, Noir reste des journées entières assis à une table. Il semble ne rien faire sinon lire et écrire. Rarement, il sort acheter de quoi se nourrir à l’épicerie du coin et revient s’attabler chez lui.
Bleu qui le suit en profite aussi pour s’acheter quelques victuailles et ses journaux préférés ‘Étrange mais vrai’ et ‘Vrai détective’. De retour au studio, il dévore les histoires de brigades anti crimes et d’agents secrets et découvre un article relatant d’un cold case que son enquêteur à la retraite fait ressortir après 20 ans d’affaire classée. Il admire cet homme et, ne sachant que faire d’autre, il découpe la photo du magazine et la punaise au-dessus de son lit.
Bleu s’ennuie terriblement lui qui rêve d’héroïsme. Ses pensées vagabondent et il se remémore Brun celui qui l’a initié au travail d’enquêteur. Il décide de lui écrire. Un jour enfin, Brun lui répond qu’il est un heureux retraité et pour rien au monde ne reprendrait le travail qu’il aurait dû quitter plus tôt, trop content de passer ses journées à lire et à pêcher. Bleu le regrette et en est déçu.
Avec ses jumelles, il découvre le titre du livre posé sur la table de Noir : ‘Walden’ d’Henry David Thoreau. Il le note dans son rapport. Il ne connait pas ce livre. Cela pourrait peut-être être un indice à des activités subversives de Noir.
Bleu veut faire avancer l’enquête… Il ne s’y passe tellement rien que Bleu se sent obligé d’étoffer un peu ses rapports qu’il dépose dans la boite numéro mille un à l’imposant bureau de poste de Brooklyn comme il lui a été demandé par Blanc…
Un jour, Noir traverse le pont de Brooklyn pour se rendre à Manhattan. Cette balade de presque deux kilomètres à pied rappelle à Bleu la seule fois où, enfant, il avait pris ce chemin avec son père policier qui lui avait raconté la construction du pont et l’histoire de ses malheureux architectes John Roebling et son fils Washington.
Après avoir traversé Chinatown, Noir entre dans une librairie et achète des livres. Sans se montrer, Bleu le tient à l’œil et tombant sur un exemplaire de Walden, il l’achète pour lui d’autant plus que l’éditeur s’appelle Noir, Walter J. Noir… Serait-ce un renseignement utile…
Ensuite, Noir va dans un restaurant où il rencontre une femme. Il n’entend rien mais Noir et la femme ont des mines tristes. Ils sortent et chacun se sépare montant dans leur taxi respectif.
De retour à Orange Street, Bleu trouve son premier chèque pour la somme convenue avec Blanc. Cela durera plus d’un an.
Bleu est furieux d’avoir à lire Walden qu’il ne comprend pas avec ces sornettes de retour à la nature sans aucune aventure.
Le soir, sachant avec le temps, que Noir ne sortira pas, il va boire une bière au bout de la rue puis c’est aussi l’après-midi qu’il file à Manhattan où un jour il rencontre sa fiancée au bras d’un autre. Le reconnaissant, elle l’agresse en pleine rue confirmant qu’elle aussi faisait partie des rêveries de Bleu, de ses multiples fausses persuasions à lui-même.
De retour à Brooklyn, fatigué de cet immobilisme forcé, il décide malgré l’interdiction de ce faire, de se rapprocher de Noir en se servant de son attirail de déguisement divers et varié.
Comment Blanc l’apprit-il ? Est-il épié à son tour ? Noir serait-il Blanc ? Bleu serait-il l’objet de l’enquête de soi ? Fallut-il tous ces rapports écrits pour enfin ouvrir la porte ?
« Lorsque Bleu se lèvera de sa chaise, mettra son chapeau et passera la porte, ce sera la fin. »
Je suis restée accrochée à l’intensité croissante de ce récit, à la recherche de l’autre en soi, fabuleusement bien écrit.
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