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Ce qu’on retient du passé nous vient toujours des vainqueurs. Ce sont eux qui façonnent les histoires, eux qui amènent leurs versions jusqu’à nous, “nous les passants, les adorateurs des temps d’après.” Rhéa Galanaki choisit de tirer un autre fil en racontant le point de vue des oubliés, des délaissés, des incompris.
Dans le premier des deux récits qui composent ce livre, c’est Ariane, “la prêtresse de tous les fils et de leurs secrets de tissage”, qui reprend la main sur son histoire. Abandonnée par Thésée, son amant d’un soir, elle refuse de se soumettre à “ce banal destin de femme.” Contrairement à ce que les livres prétendent sur ce héros grec, elle soupçonne Thésée d’avoir tout manigancé : son arrivée à Cnossos parmi les jeunes Athéniens offerts en tribut à la cité de son père le roi Minos, sa rencontre avec Ariane lors d’une danse où il joue l’amoureux, son triomphe face au Minotaure, son pauvre frère, son monstre de frère, grâce à une pelote de fil et une couronne d’or, son oubli malencontreux de hisser les voiles blanches lors de son retour à Athènes, le suicide de son père, son accès au trône. Elle, qui a hérité de “quelque chose des ténèbres dédaléennes” des générations précédentes, récupère ici son rôle, sa victoire à elle.
Le second récit s’intéresse à Yannoulis Halépas, un des plus célèbres sculpteurs de la Grèce du XXe siècle. Derrière lui, il laisse des œuvres en marbre comme la magnifique Dormeuse, en plâtre comme la géniale Tête de satyre, en argile comme l’Athéna bergère - “elle était, en même temps qu’une déesse, une villageoise.” Le narrateur, qui écrit à la deuxième personne du pluriel, s’adresse à cet homme ombrageux : “Vous avez fini par être vainqueur. Un vainqueur en lambeaux, certes, mais vous avez pu continuer.” Car Halépas a passé de nombreuses années enfermé, interné à l’asile de Corfou, loin de sa famille, loin de sa vie, loin de son art. Mais dès sa sortie, malgré les crises de nerf et les sculptures en miette, il dessine, il taille, il crée. “Vous tâchiez de recoller les morceaux de votre vie, d’en reprendre le fil, et de retrouver la lumière.” Avec l’ardeur d’un survivant.
Rhéa Galanaki nous offre “des histoires qui mêlent les mortels et les dieux, les amours et les meurtres, les changements dans les affaires du ciel ou sur les trônes terrestres.” Deux récits distincts et distants, précieusement tissés ou sculptés.
Ouvrir ce livre, c’est fouler la terre grecque, et ses hôtes grands porteurs de l’Histoire, ses diktats et ses controverses mais pas que. Traduit avec une qualité certaine par Loïc Marcou ce roman est une conscience qui lève les yeux au ciel. L’auteur Rhéa Galanaki de grande renommée dans son pays et ailleurs nous prouve par ce huitième livre « L’Ultime humiliation » la confirmation de son grand art. Cette dernière écrit avec une encre empreinte de son île : La Crète dont elle est originaire. Fine connaisseuse de la Grèce, et grande amoureuse ce pays elle dévoile l’ambiance et le rythme et le lecteur est en quasi dépaysement.
Le style est vif, travaillé avec force et maturité. Le changement des narrateurs, la valse des je et des tu renforce la beauté de la trame en chef d’œuvre.
« Tes yeux ont embrasé la même icône, main qui touche une autre main pour se consoler. »
On marche entre ciel et terre, la tragédie écarte les rideaux du calme et se fraye un passage sur la rive des douleurs.
On rentre dans l’histoire dans un réalisme fou qui fait tourner la tête. A pas vifs, dans une rencontre avec les personnages que l’on a envie d’étreindre et d’aimer.
L’histoire se passe en 2012 au moment de la grande révolution, dans cette empreinte qui fait la Grèce et ses habitudes de vie dans cette période troublée et bien plus encore.
Deux vieilles dames Tirésia et Nymphe, qui ont volontairement changé de nom, superbement intelligentes malgré leurs faiblesses mentales dûes à l’âge sont protégés par Baltazar, patriarche et médecin au grand cœur. Autour d’elles gravitent d’autres protagonistes Takis qui a rejoint le mouvement d’Aube Dorée et Oreste celui des Révolutionnaires. Athènes est foudroyée, piétinée, la manifestation éclate les cœurs en mille morceaux.
« Tu tressailles. Takis, le fils de Catherine était vêtu de noir. Dans la minute qui suivit tu fus contrainte de détourner le regard, mais pas de baisser les yeux. »
Ce roman est un pan de vie, bouleversant et sanglant mais si riche d’humanité. On lit comme une intrusion dans ce huit clos qui sonne l’alarme.
« Oreste ? parvint à dire Nymphe. Tu eus le temps de voir l’inconnu vous tourner le dos et revenir en courant pour participer au combat qui battait son plein. »
On est abasourdi par la force langagière de l’auteur. On voudrait épeler lettre après lettre cette histoire tout juste romancée pour retenir les mains de ces grandes dames, de ces fils de tous les habitants avec la force du Verbe qui prend naissance comme un nœud dans la gorge du lecteur.
Humaniste, fragile, authentique, initiatique, ce roman est une belle leçon de courage, de persévérance. Sa fragilité intérieure est le sentiment du devoir dans toute sa splendeur.
Ce livre est un cri de fraternité à ciel ouvert. L’histoire prend vie, électron palpitant en armure face à la douleur. Le lien fort du Vivre-Ensemble est ce liant qui abat les cartes des injustices et des vaines batailles. Publié par les Editions Galaade qui sont incontestablement dans la plus haute cour des Grands. C’est un livre majeur. On marche à pas feutrés dans ce kaléidoscope où les lumières forcent le passage vers l’altuisme et l’attention actée pour le prochain.
Cette révolution de 2012 est au cœur de L’Ultime humiliation, une fleur qui pousse sur du goudron. Ce livre est un paravent contre le vent, un hymne alloué à La Grèce, à la gloire de la justice. Un chef d’œuvre contemporain.
Rhéa Galanaki est un écrivain de renom, une belle personne.
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