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Vous allez me dire que les confinements sont terminés, que le covid est en bout de course et qu’il n’est peut-être pas très utile de lire ce livre maintenant, après coup, mais, justement, après cette lecture, le lecteur peut s’interroger : qu’est devenu « le monde d’après » ? Est-il comme on l’espérait ? Meilleur, plus juste, plus sain ? « un monde de sobriété bienvenue, dans le respect de la finitude du monde. » (p. 126). Ou tout est revenu comme avant et cela n’aura finalement pas servi à grand-chose sauf pour quelques penseurs ?
Un livre à lire encore maintenant parce qu'avec finesse, l'auteur raconte les désordres, les absurdités mais aussi les belles choses, la magie du rêve et de l’imaginaire, et il y met de la poésie et de l’humour.
https://pativore.wordpress.com/2023/01/27/on-dirait-que-laube-narrivera-jamais-de-paolo-rumiz/
Entrer dans cette légende c’est l’impression d’avoir effectué plusieurs longueurs, sans jamais en avoir eu l’expérience, mais probablement ressentir le même essoufflement – du moins cérébral tant il faut être vigilant dans sa tête pour ne pas rater les moult détails sur les parois des chapitres – et la même sensation de grandeur, de découverte, d’esthétique, une fois gravi les 560 pages. Ce qui reste, néanmoins, c’est cette avalanche migratoire de l’espace méditerranéen, du Fernand Braudel en capitaine de vaisseau montagnard.
De la Croatie à l’Italie, Paolo Rumiz nous entraîne sur un chemin de 8000 kilomètres en naviguant sur deux immenses chaines de montagnes européennes, les Alpes et ses huit pays hôtes, puis les Apennins qui traversent pratiquement toute l’Italie, couvrant plus de quinze régions de la péninsule. A pied, à vélo, en voiture mais pas à cheval, il traverse les massifs, longe les cols et, surtout, entre en communion avec non seulement la nature mais ceux qui la peuplent, animaux comme humains, humains qui en certains endroits deviennent presque une espèce en voie de disparition, les jeunes quittant ces hauteurs sauvages pour les villes où travail il y a.
Je vous fais grâce de tous les lieux cités, de tous les noms des monts et sommets qui peuplent cette Europe de roc et de granit pour vous plonger – ou plutôt grimper – à travers un périple qui éloigne du monde pour en retrouver un autre, celui des pierres qui façonnent les hommes même si ces derniers ont trop tendance à vouloir prendre le dessus. L’auteur voyageur ne fait pas que passer, il scrute, interroge et pose lui-même des petites pierres en forme de mots sur les errances d’une construction pharaonique qui n’élève que des pyramides à l’encontre de la sauvegarde de la nature, sans pour autant dénigrer la race humaine qui porte une mémoire collective. Car il va en rencontrer des « bibliothèques sur pattes » pour évoquer le passé, la résistance, les prouesses humaines face au dépouillement des conditions matérielles ; ces héros anonymes qui perpétuent une histoire au-delà des cimes. Si, hélas, la jeunesse est trop oubliée, le baroudeur montagnard n’omet pas de souligner le rôle indispensable des réfugiés qui apportent une main tendue pour s’occuper des anciens.
Quant aux autres espèces terrestres, elles sont encore là, à circuler en se moquant des frontières tels les loups, ce fameux loup italien qui a jour devint français. Ours, renards, marmottes, tous ont leur place sur versants et alpages, mais plus ou moins bien accueillis. Pourtant, un peu d’ensauvagement, dans le bon sens du terme, permettrait peut-être de continuer à naviguer sur les crêtes de l’humanité.
Blog Le domaine de Squirelito => https://squirelito.blogspot.com/2021/05/une-noisette-un-livre-la-legende-des.html
Un écrit à picorer
Description de la nature, des ciels changeants et des vents... Des passages poétiques.
Extraits:
"Ce n'est pas sans raison que le mot "âme" vient du grec anemos, le vent. Et même dans mon phare, le vent joue avec les âmes."
En lisant ce passage ci-dessous j'ai pensé à ma classe et tous les moments forts et magiques qu'il nous faut saisir pour encourager et valider le jeune apprenant.
"Dans un endroit aussi exposé aux éléments la météo est décisive. Elle vous met à nu, elle évoque les avalanches de visions et réveille la machine à pensées qui sommeille en nous, par la faute de notre vie trop sédentaire.
Hier, par exemple, il a suffi d'une déchirure et, sous un fer à repasser de nuages noirs comme de la paix, est apparue une procession de bateaux turcs, italiens, grecs et asiatiques. Et alors, on a intérêt à courir prendre son téléobjectif et son trépied, parce qu'on sait bien qu'une lumière partielle, on ne la verra jamais."
C’est avec délice et secouée par des vagues d’émotion que je me suis laissée entrainée dans ce fabuleux livre de mer méditerranéenne.
Paolo Rumiz, écrivain-voyageur italien mondialement reconnu, raconte son séjour de trois semaines dans un très haut phare sis sur un îlot rocheux d’un kilomètre de long et deux cents mètres de large, sans le nommer.
L’auteur parsème quelques indices qui m’ont fait ouvrir Google et mon gros Atlas à la recherche des mers et des phares qui pourraient correspondre à l’endroit où il s’est exilé mais en vain. Peut-être le phare de Palagroza en Dalmatie du sud ?... Rien de certain.
Donc, c’est un phare de l’Enfer, nom donné aux phares situés sur des îlots en pleine mer.
« La nuit, cependant, reste étrange. On a l'impression que l'île navigue. »
L’îlot est près d’une fosse abyssale regorgeant de poissons.
La mer est balayée par des vents violents typiques de l’Adriatique : sirocco, brutal et dangereux nevera annonciateur de tempêtes cauchemardesques, bura, tramontane, ou le levantazzo dont il dit : « ce vent d'est humide et infâme est une lamentation, une migration d'âmes mortes, il vous pousse dans les cavernes inexplorées de votre for intérieur » ou encore le levante : « C'est un vent chargé de lumière et de reflets, qui anime la mer de vagues fréquentes et riches d'écume, qui gorge nos rochers de couleurs, qui porte des semences de myrte et de romarin, qui mûrit les figues de Barbarie et les raisins, qui ensanglante de coquelicots les champs de blé, qui féconde la mer de nouveaux poissons… »
« Chaque vent déchaîne en toi une tempête de sentiments inattendus »
L’îlot est quasi inaccessible à la navigation dû à un dangereux relief sous-marin et à une mer particulièrement inhospitalière qui font croiser les bateaux très loin au large. Le phare est aussi une station météo et un observatoire unique sur le paysage maritime et le cosmos.
Paolo Rumiz transcrit talentueusement les nombreuses activités de son quotidien (dont de bons petits plats mitonnés arrosés de frais malvoisie) et son ressenti d’homme seul face aux éléments, à la mer, au ciel tout en évoquant son environnement terrestre restreint inhabité hormis par deux gardiens qui se relaient, de rares animaux (un âne, une poule et un chat), oiseaux, poissons, insectes et végétaux tenant chacun leurs rôles. Dans la bruyère, il déniche du petit fenouil de mer, des bijoux de câpres vert émeraude, de l’ail sauvage et de petites asperges.
« Oui, la vie est une gourmandise qu’il faut mastiquer doucement, sous le soleil ou sous les étoiles.»
Il se rappellera des conversations avec des amis marins, des écrivains-voyageurs, il lira Derek Walcott et Stevenson ainsi qu’un journal ancien laissé sur les étagères de la bibliothèque rédigé en allemand qui témoigne d’un temps passé relatant une tempête où la foudre s’était invitée à l’instar de ce qu’a vécu l’auteur avec stupéfaction pendant son séjour.
Bien entendu, il remplira de nombreux carnets de notes qu’il dit restituer ici, sans modification.
« Sur l’île déserte, où j’ai passé trois semaines et demie, j’ai ressenti comme je ne l’avais encore jamais fait ma responsabilité vis-à-vis de la nature. »
Pour ce récit érudit, prenant, atypique, austère, voluptueux et remarquable, construit en 26 courts chapitres, le jury des Étonnants Voyageurs de Saint-Malo lui a décerné le Prix Nicolas Bouvier, largement mérité.
« Il m'a suffi de m'arracher au vacarme de la terre ferme, à la tempête des SMS, à l'overdose de données, aux débilitantes musiques de supermarché, et de venir sur une île déserte. Là tout est évident. Il y a un système qui nous abrutit de calmants, qui nous maintient dans un état de confusion mentale, dans le but précis de ne pas nous laisser comprendre qu'un gang de pillards est en train de dévorer le monde. Derrière la guerre en Irak, derrière la Syrie, l'Ukraine, les Balkans, derrière tous les «ismes » et les drapeaux, les nations et les religions, il y a toujours cet accaparement éhonté des dernières ressources de la planète. »
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