Des lectures conseillées par nos lecteurs, à ne pas manquer !
« Parti pour m'échapper du monde, j'ai fini, au contraire, par en trouver un autre. »Huit mille kilomètres au fil des Alpes et des Apennins, cette colonne vertébrale de l'Europe. Paolo Rumiz nous embarque pour un voyage au long cours... De la baie de Kvarner en Croatie jusqu'au Capo Sud italien, il chevauche les deux grands ensembles montagneux de l'Europe, passant par les Balkans, la France, la Suisse et bien sûr l'Italie. Parti de la mer, il arrive à la mer. Son récit navigue sur les cols et sommets dont les flancs plongent dans les ondes. Rumiz, devenu capitaine, nous élève vers ces montagnes qui naviguent. Il nous fait découvrir des vallées sans électricité, des gares de chemin de fer habitées par des mouflons, des bornes routières de légende, des bivouacs sous la pluie au fond de cavernes ; et puis des curés braconniers, des gardiens de refuge, des chanteurs à la recherche de leurs racines.
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Entrer dans cette légende c’est l’impression d’avoir effectué plusieurs longueurs, sans jamais en avoir eu l’expérience, mais probablement ressentir le même essoufflement – du moins cérébral tant il faut être vigilant dans sa tête pour ne pas rater les moult détails sur les parois des chapitres – et la même sensation de grandeur, de découverte, d’esthétique, une fois gravi les 560 pages. Ce qui reste, néanmoins, c’est cette avalanche migratoire de l’espace méditerranéen, du Fernand Braudel en capitaine de vaisseau montagnard.
De la Croatie à l’Italie, Paolo Rumiz nous entraîne sur un chemin de 8000 kilomètres en naviguant sur deux immenses chaines de montagnes européennes, les Alpes et ses huit pays hôtes, puis les Apennins qui traversent pratiquement toute l’Italie, couvrant plus de quinze régions de la péninsule. A pied, à vélo, en voiture mais pas à cheval, il traverse les massifs, longe les cols et, surtout, entre en communion avec non seulement la nature mais ceux qui la peuplent, animaux comme humains, humains qui en certains endroits deviennent presque une espèce en voie de disparition, les jeunes quittant ces hauteurs sauvages pour les villes où travail il y a.
Je vous fais grâce de tous les lieux cités, de tous les noms des monts et sommets qui peuplent cette Europe de roc et de granit pour vous plonger – ou plutôt grimper – à travers un périple qui éloigne du monde pour en retrouver un autre, celui des pierres qui façonnent les hommes même si ces derniers ont trop tendance à vouloir prendre le dessus. L’auteur voyageur ne fait pas que passer, il scrute, interroge et pose lui-même des petites pierres en forme de mots sur les errances d’une construction pharaonique qui n’élève que des pyramides à l’encontre de la sauvegarde de la nature, sans pour autant dénigrer la race humaine qui porte une mémoire collective. Car il va en rencontrer des « bibliothèques sur pattes » pour évoquer le passé, la résistance, les prouesses humaines face au dépouillement des conditions matérielles ; ces héros anonymes qui perpétuent une histoire au-delà des cimes. Si, hélas, la jeunesse est trop oubliée, le baroudeur montagnard n’omet pas de souligner le rôle indispensable des réfugiés qui apportent une main tendue pour s’occuper des anciens.
Quant aux autres espèces terrestres, elles sont encore là, à circuler en se moquant des frontières tels les loups, ce fameux loup italien qui a jour devint français. Ours, renards, marmottes, tous ont leur place sur versants et alpages, mais plus ou moins bien accueillis. Pourtant, un peu d’ensauvagement, dans le bon sens du terme, permettrait peut-être de continuer à naviguer sur les crêtes de l’humanité.
Blog Le domaine de Squirelito => https://squirelito.blogspot.com/2021/05/une-noisette-un-livre-la-legende-des.html
Il a fallu une dizaine d’années pour que La légende des montagnes qui naviguent soit enfin traduite en français et éditée chez Arthaud. Voilà une formidable occasion de découvrir Paolo Rumiz, journaliste à La Reppublica, écrivain-voyageur qui a affronté les risques de la guerre dans l’ex-Yougoslavie, mais aussi relié Trieste, sa ville, à Vienne puis à Istanbul, chaque fois à vélo.
Ici, il se lance dans une immense aventure : explorer l’épine dorsale européenne constituée par les Alpes et les Apennins. « Parti pour m’échapper du monde, j’ai fini, au contraire, par en trouver un autre : à ma grande surprise, mon voyage s’est transformé en révélation d’un univers vivant et secret. Je l’ai décrit avec rage et émerveillement. Émerveillé par la beauté fabuleuse du paysage humain et naturel, mis en rage par le pouvoir qui n’en tient aucun compte. »
En effet, ce livre va beaucoup plus loin qu’une description des paysages. Bien sûr, ils sont détaillés avec talent et cela donne souvent envie d’aller découvrir aussi des lieux très isolés et ignorés par les touristes. Surtout, le voyage est émaillé de tellement de rencontres, de contacts avec les humains qui vivent ou tentent de faire vivre ces montagnes, que la lecture n’est pas fastidieuse. Il a fallu de temps à autre se référer à des cartes pour visualiser le parcours mais ce n’est pas toujours nécessaire tant l’aventure est riche et variée.
Le style de Paolo Rumiz est riche, enlevé, évocateur, précis et toutes les anecdotes, rappels historiques et réflexions qui émaillent son récit, m’ont beaucoup intéressé, m’apprenant énormément. Depuis la Croatie où il doit expliquer que c’est ici que les Alpes commencent, jusqu’à la pointe sud de la botte italienne, l’auteur se déplace la plupart du temps à pied, à vélo ou dans ce fameux Topolino, Fiat 500 de 1953, affectueusement appelée Nerina. « Sur le marché, c’est celle qui se rapproche le plus de la mule. » Dans la dernière partie, elle est un véritable personnage avec ses humeurs, ses qualités et ses faiblesses.
En Slovénie, les déplacements des ours sont à l’ordre du jour car les Slovènes sont fous des abeilles dont le miel intéresse beaucoup cet animal très répandu. À Ljubljana qu’il qualifie de Prague miniature, il constate la xénophobie, ce populisme centriste qui conduit à l’américanisation ou à l’hyper-traditionalisme.
S’il passe en Autriche, il revient en Italie pour évoquer la catastrophe du Vajont, ce barrage qui a cédé le 9 octobre 1963, emportant deux mille personnes, saccageant aussi le plus grand bassin de la Vénétie. Les Dolomites sont là et il les explore, revient en arrière, désorientant un peu le lecteur avant de franchir le col du Brenner.
Souvent, il compare ce qu’il voit en Autriche avec le laisser-aller italien, saluant ces services publics qui fonctionnent. Il rappelle l’histoire de l’homme des glaciers, Õtzi, découvert par Helmut Simon. Bolzano l’a réclamé et obtenu, évinçant Herr Simon qui sera enfin réhabilité.
C’est à vélo qu’il escalade le Stelvio pour écouter la montagne. Malgré ses 48 virages : « La beauté qui nous domine enlève bien deux pour cent à la pente, c’est un aimant qui nous tire vers le haut. » Hélas, le réchauffement climatique qu’il constate avec les glaciers disparus ou considérablement réduits, est alarmant : « La terre ravagée depuis des décennies ? Un désastre qui dure des décennies ne fait pas sensation. »
Bien sûr, il passe par la France et tire encore le signal d’alarme pour sauver nos vallées alpines du trafic routier qui reprend de plus belle. À Chamonix, son guide constate : « C’est la catastrophe. Trop d’eau, trop de dégel, trop de chaleur. » Puis il nous conduit du Grand Paradis jusqu’à Nice. Qualifiant le col de la Cayolle d’ « ultime Roncevaux des cyclistes », il nous égratigne quand il voit un panneau annonçant Les Grandes Alpes : « On sait bien que les Français font toujours les choses en grand. »
Il n’oublie pas de parler des loups, de l’élevage, de la désertification, de la haine des étrangers dans certaines vallées, de l’indispensable présence de femmes venues de l’est pour soigner les personnes âgées. Toutes ces montagnes qu’il voit bouger au-dessus des nuages préservent une vie en train de disparaître. L’autoroute qu’il fuit comme la peste, vide des territoires entiers mais Paolo Rumiz donne vraiment envie de sauver ces paysages encore marqués par le passage d’Hannibal jusqu’à cette mer Ionienne surchauffée qui marque la fin du voyage.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
S’aventurer avec Sylvain Tesson, voyager pédibus jambus avec Axel Kahn, ce sont des moments étranges que nous offre la lecture. Lorsque je m’évade avec de tels écrivains, c’est plus qu’un simple voyage, c’est l’abandon de la vraie vie.
Ces derniers jours, j’ai accompagné Paolo Rumiz sur l’échine de l’Europe, des Alpes aux Apennins, “une traversée en zig-zag de huit mille kilomètres”. J’ai découvert un autre guide et un autre écrivain, et j’ai surtout beaucoup appris.
Paolo Ruiz est journaliste, il a couvert de nombreux conflits; il connaît l’Europe et nous en parle avec érudition. L’Europe et ses paysages, son climat, sa diversité culturelle, les valeurs de chacun des pays qui la composent et aussi ses“ lieux de l’esprit”.
Des Balkans jusqu’à la Toscane, à pieds, à vélo, en bateau, en train, et… en Fiat Topolino, il adapte son moyen de locomotion à la géographie et à la nature des lieux, mais le choisit aussi en fonction du rythme que lui inspire un endroit. “Les utilitaires et les bicyclettes n’attirent que les gens sympathiques, les enfants, les fous, les solitaires et les vieux originaux dotes d’une mémoire de fer, lesquels sont justement les personnes auprès de qui il est précieux de s’arrêter sur la route de la vie.”
En chemin, Paolo Rumiz est souvent rejoint par un autochtone ou l’un de ces personnages qui “ont depuis tiré leur révérence” (entre 2003 et 2006) tels des anciens Poilus, des alpinistes mondialement connus, des écrivains, des hommes politiques, et quelques femmes.
De chaque étape il écrit un chapitre de ce qui deviendra au terme de cette traversée, une véritable encyclopédie.
Il observe la nature et ses trésors, les gens avec leur histoire, la faune des montagnes ou des vallées, la flore, les traditions, les héritages ancestraux ou les transformations de paysages et de territoires entiers. Il dénonce ces amputations inspirées par les décideurs d’une société productiviste, privilégiant la vitesse, la rentabilité, prête à exploiter la nature sans en préserver ses bienfaits, et à mutiler des vies par un développement industriel plus ou moins maîtrisé. “Maintenant la Vénétie se tait parce qu’elle a peur. Peur de l’installation mondiale. Peur que le PIB chute, que la machine ralentisse, que le climat pète un plomb et que la belle vie prenne fin.”
Avant de côtoyer les Apennins, alors que se termine son parcours alpin, son étape à Nice le replace tout de suite dans la réalité d’un pays qui n’offre pas que la beauté des paysages, la réalité le frappe de plein fouet.
Pour la seconde partie du voyage, de Savone à Capo Sud, l’auteur explore d’autres lieux, d’autres milieux, fait d’autres rencontres, avec “son brave bourricot à quatre cylindres” qui devient un acteur à part entière de l’aventure, attirant l’oeil des femmes, qui “les observent dans la pénombre comme des poules sur un mur comme dans la comptine”.
Ce récit est une montagne à lui seul de ces contradictions qui font et qui sont l’Europe.
Récit d’un journaliste, mais sans conteste écrit par un écrivain et poète. Il convient de souligner le talent de la traductrice qui a su reproduire l’intensité de certains moments. Je ne résiste pas à citer une partie du sublime passage intitulé “si un violoncelle devient arbre” que j’aurais envie de réécrire ici in extenso… “La moitié de la forêt joue, répète ces vibrations comme si elle les savait par coeur. Elle reconnaît la voix de son ancêtre…”
A plusieurs reprises, j’ai été séduite et envoûtée par les descriptions et étonnée par autant d’analyses et de détails. J’ai apprécié la chaleur des relations humaines, la sensibilité de Paolo Rumiz qui raconte, transmet, questionne, avec un sérieux ponctué de touches d’humour apportant à ce long récit sa légèreté.
Pour conclure, j’invite tous celles et ceux que le voyage inspire de réserver celui-là dès maintenant. Un long et grand moment d’évasion ouvrant forcément la réflexion.
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