Les meilleurs albums, romans, documentaires, BD à offrir aux petits et aux plus grands
J’avoue que depuis le magnifique « Tu verras » publié en 2011, j’avais un peu perdu de vue Nicolas Fargues qui nous revient en pleine forme avec son dernier titre : « La Péremption ». Je ne sais pas si c’est la cinquantaine qui l’a mis en verve mais franchement, ce dernier texte m’a impressionnée par la finesse de ses analyses et surtout par son écriture que j’ai trouvée remarquable.
Il met en scène une prof d’art plastique, Zélie, divorcée, qui en a marre de bosser et qui, grâce à un héritage, compte prendre sa retraite avant l’âge légal. Elle n’a plus beaucoup d’illusions, se sent comme un OVNI parmi les nouvelles générations d’élèves « hermétiques aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes » mais comme elle n’est pas du genre à vouloir vivre dans les conflits, elle écoute les jeunes et les prend là où ils sont même si elle a constamment l’impression de leur être complètement étrangère : « Que nous restait-il d’indiscutablement commun, à eux et à moi ? En dehors des besoins physiologiques et des fonctions corporelles de base, je ne voyais pas trop. » Même chose avec son fils de 22 ans : pas de conflit, on laisse dire et basta. « Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. » Contrairement à son ex-mari, elle ne se met pas en colère contre « une société perméable comme jamais au matérialisme, à l’infantilisme, et à la vulgarité. » Elle se sent dépassée, résignée mais refuse d’entrer en guerre. Elle fait avec… Sage philosophie finalement… Quant à son travail artistique, il semble s’éteindre doucement… Elle se lancerait bien dans une « frise sensorielle » mais à quoi bon ?
Lors d’une soirée, elle va rencontrer un jeune homme d’origine congolaise de vingt ans son cadet, un certain Shock qui va devenir son amant. Elle ne sait pas bien pourquoi elle l’intéresse mais elle compte bien profiter de ce nouvel amour. Bon, c’est sûr, ils ne partagent pas grand-chose mais on ne va pas se prendre la tête, on n’a plus vraiment le temps de se poser des questions…
Nicolas Fargues excelle à faire le portrait de notre époque : conflits de générations, nouvelles relations amoureuses, sexualité, amitié, réseaux sociaux, féminisme, rapports inter-culturels, racisme, altérité, langage, art, vieillesse…
Plein d’humour, gentiment ironique, sans illusions, son propos est toujours extrêmement juste et très lucide et en même temps, mélancolique sans être jamais nostalgique… J’ai évidemment adoré ce texte d’une grande intelligence et si bien écrit.
Et inutile de vous dire que je n’ai eu aucune difficulté à m’identifier au personnage principal !
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Un livre bien écrit et drôle
Ce portrait de Géralde m'a touchée, cette jeune française d'origine camerounaise face à ses interrogations et ses questions existentielles, identitaires (sa couleur de peau lui étant sans cesse renvoyée à la figure) et amoureuses. Dans la première partie, cette trentenaire, face à ses nombreux échecs amoureux, se demande « si le grand amour partagé, l'écho des coeurs, le don à deux, la danse en apesanteur, la complicité de l'implicite, la merveilleuse bienveillance : si toute cette bonbonnière de mots n'était au bout du compte qu'un fantasme de petite fille capricieuse et autocentrée ? ». Par peur de la solitude (malgré les réseaux sociaux omniprésents dans sa vie), elle multiplie les mauvaises expériences, même si elle sait d'avance, lucide, qu'elles ne seront que galères, frustrations et déceptions. Géralde a arrêté Tinder : « C'est comme le McDo : tu salives avant et tu regrettes après. » Belle et cultivée, elle s'épuise pourtant à ne croiser que des « Jimmy », des types d'une nuit, d'une semaine, quelques mois au mieux, et désespère de rencontrer un jour un « Jim », « le vrai, le définitif, le solide, l'indubitable ».
Jusqu'à son départ, sur un coup de tête en Nouvelle-Zélande où elle va rencontrer, contre toute attente, Hadrien, un conférencier reporter, et trouver enfin – peut-être – son Jim et le chemin du bonheur. Nicolas Fargues nous offre alors de magnifiques pages sur l'amour, et sur « l'homme » par qui le bonheur peut arriver. « Tout ce que je peux dire, c'est que c'est un homme… Quelqu'un qui, pour une fois, ne te fasse pas entrevoir immédiatement l'envers du décor. Quelqu'un qui te donne envie de lui montrer qui tu es vraiment, pour de bon, sans craindre que tout cela ne tombe dans l'oreille d'un sourd et dans l'oeil d'un borgne. Qui te fasse prendre conscience de tout ce que tu as à donner mais que personne jusqu'ici n'aura su venir chercher… Quelqu'un qui te fasse enfin sentir que tu es de la confiture pour une autre confiture et qu'il est une pantoufle de vair à ton pied. »
« Je vivais ce que toute femme amoureuse rêve de vivre : des sentiments sans cesse confirmés et régénérés par des faits. Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. »
En prime, une belle balade en Nouvelle-Zélande qui donne à Géralde la distance nécessaire pour ouvrir la porte fermée, celle de son coeur immense.
Enfin, pour Nicolas Fargues, se mettre dans la peau d'une femme à la peau noire était un défi audacieux et c'est plutôt réussi. Un roman subtil, très ancré dans la réalité.
Je les ai rencontrés, les deux compères, au Salon du Livre de Paris : Iegor, assis, écoutait patiemment les propos confus d'une lectrice rougissante (moi) et bégayante (encore moi) incapable de dire deux mots à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un auteur tandis que son bel acolyte tournoyait déjà sur le stand P.O.L lançant à la volée deux mots par-ci, deux mots par-là aux happy few regroupés sur les quelques mètres carrés qu'on leur avait octroyés. Et Iegor me confiait malicieusement qu'ils venaient de jouer un tour à un couple en se faisant passer l'un pour l'autre. Ah les potaches !
Iegor m'explique gentiment, comme il avait déjà dû le faire cent fois depuis le début de la journée, l'origine de ce roman épistolaire : Nicolas s'étant vu proposer une résidence d'auteur à Wellington (Nouvelle-Zélande), il en fait part à Iegor qui, à la fin d'un dîner, propose à son ami de se lancer dans une correspondance : j'écris une lettre et tu la poursuis comme tu le veux, tu rebondis sur les personnages ou les petits détails qui ont retenu ton attention et tu poursuis dans la direction de ton choix , sur la piste qui t'inspire. Quand l'autre reçoit la lettre, il fait de même. L'histoire prendra la forme qu'elle prendra... On verra bien ! Une espèce de travail d'équipe un peu effrayante pour l'un et l'autre auteur. Nicolas n'ose pas refuser parce que c'est lui (Iegor) et Iegor se demande s'il a bien fait (mais un peu tard).
Connaissant Iegor et Nicolas, je savais d'avance que leur petit projet aurait tout pour me séduire et que j'allais forcément bien m'amuser … Et ce fut le cas ! Parce que les deux garçons ont un bien mauvais esprit et la mauvaise fille que je suis adore ça !
Tout passe à la moulinette de l'ironie, du sarcasme et de l'auto-dérision : les femmes et la sexualité (notamment celle de Nicolas aux « pouvoirs sexuels surnaturels » dixit Iegor), la ville de Wellington (selon Lonely Planet « la petite capitale la plus cool du monde », « On y parle anglais, c'est propre, organisé, il y a une proportion surnaturelle de cafés par habitant et les gens y sont jeunes et sentent bon la crème de protection solaire. », « Dans cette ville, tout le monde pratique un sport nautique. Tout le monde fait du sport tout court de toute façon. Tout le monde porte un short, un t-shirt et des baskets, tout le monde jogge ou fend la foule juché sur un skate ou un vélo, tout le monde a vingt-six ans maximum et les épaules tatouées. Dans un tel contexte, la tendance naturelle du Français est de se sentir ridé, mou, faible, ratatiné et phraseur »). Au sujet de la littérature (celle des deux gars de chez P.O.L et celle des autres, de ceux qui vendent), on s'interroge en ces termes : pourquoi « les romans hexagonaux n'intéressent-ils pas le grand public anglo-saxon ? » , ben oui, pourquoi ? Réponse : « parce que nous n'accordons pas à leurs yeux assez d'importance à l'intrigue »). Quant à l'écriture… question : comment Nicolas « procrastinateur littéraire » occupe-t-il son temps et ses trois bureaux à Wellington (de l'intérêt des résidences littéraires) alors qu'il est presque voisin de la maison natale de Katherine Mansfield (mais finalement, qui a réellement lu Katherine Mansfield ?) et comment, alors qu'il se trouve à 19000 km de Paris, fait-il ce qu'il ferait s'il habitait un deux pièces à Malakoff à savoir : ciné et supermarché ? « Depuis que je suis arrivé, c'est simple, je n'ai rien fait. Ah, si : je me suis acheté un vélo, des lunettes de piscine, et je traîne de supermarchés en cinémas, mon activité favorite où que je me trouve sur la planète. »
Bref, ce regard mordant et caustique sur notre société, nos moeurs et l'omniprésence de l'auto- dérision dont font preuve les deux compères sont franchement jubilatoires (je pense à certains passages particulièrement savoureux du roman… je n'en cite aucun, ouvrez le livre à n'importe quelle page, vous verrez !) Franchement, on se marre !
Très vite finalement, une intrigue romanesque se met en place à travers le personnage de Leonor, assistante de réalisation à Europe 1, « grande de taille et métissée », précise Nicolas, qui, juste avant de partir, s'est fait larguer un peu brutalement par la dite demoiselle (dans le roman, bien sûr). Peut-être un peu vexé par cette issue imprévisible, notre séducteur annonce à son ami Iegor qu'il va certainement rencontrer la dite jeune femme dans les studios d'Europe 1 où elle travaille et où Iegor doit se rendre en personne pour parler d'un de ses livres… Attention aux liaisons dangereuses, les gars, attention...
Donc, je résume : Iegor s'inquiète de voir son Nico accro : ce n'est pas comme ça qu'il va profiter de son séjour en Nouvelle-Zélande . Quant à la création littéraire, n'en parlons pas : si l'esprit de Nico n'est pas dispo, alors comment va-t-il créer son prochain chef- d'oeuvre ? A moins que tout cela ne soit que pure fabulation : peut-être Nicolas a-t-il déjà bien avancé dans son plan, peut-être ment-il à Iegor pour ne pas décourager ce dernier qui, lui, patauge lamentablement. Et si Iegor (qui dessine chaque jour sur une feuille de papier les plans de Wellington) rencontrait Leonor, et si toujours Iegor (qui n'arrive plus à lire ni à écrire) tombait amoureux de Leonor (après tout, dans la fiction, tout est possible…) et si la Leonor de Nicolas n'était pas la Leonor d' Iegor (tout en étant la même bien sûr), oui mais si, dans son coeur, Leonor avait déjà remplacé Nicolas et si ce dernier l'apprenait et en était empêché d'écrire… et si Iegor ne pouvait rien faire pour lui, lui qui est si loin…et si… et si…
Waouh, les cent mille ressorts de la fiction auxquels se mêlent les cent mille voies du réel… Mélangez le tout... Vertigineux, non ? La littérature sera-t-elle capable de rendre cette complexité , de traduire cet enchevêtrement envoûtant ? Finalement, est-elle si élastique que ça ? Peut-on lui donner la forme que l'on souhaite ? Et si oui, reprendra-t-elle sa forme initiale ou bien nous enverra-t-elle son bout de plastique à la figure?
Et si je vous disais pour finir qu'il est question d'une brosse à dents qui fera toute seule le voyage de Paris à Wellington… Quand on introduit une brosse à dents dans une histoire, ce n'est pas pour la laisser en plan, autrement pourquoi en avoir parlé, hein, pourquoi ?
Et puis Katherine Mansfield dans tout ça…
Je reste bien persuadée que personne ne l'a lue. Si, vous ? Ah bon. Mais, vous êtes dans l'histoire vous aussi ? Que de monde, que de monde...
Lireaulit: http://lireaulit.blogspot.fr/
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