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Ils ne sont (heureusement) pas nombreux dans ce cas-là, mais Veronica rejoint la triste liste des quelques livres que je n'arrive pas, et que je n'ai pas envie de terminer.
On m'a offert ce livre, connaissant mon amour profond pour les récits imbriqués les uns dans les autres, les personnages qui se croisent et se chamaillent d'une époque à une autre, les phrases interminables mais dégagées de toute lourdeur, les mots compliqués pour lesquels on se plaît à inventer un sens.
Ici, dans Veronica, rien ne va selon moi. Le récit est beaucoup, beaucoup trop complexe, et ne laisse aucune place à l'imagination ou l'interprétation du lecteur. Manquez une ligne, et vous perdez complètement le fil du récit. Posez-vous une question, la réponse ne vous viendra jamais. Cherchez un sens aux mots crus et aux drames que j'appellerais "gratuits", il n'y en a pas. Me creuser les méninges, réfléchir sur un livre, me casser la tête : aucun souci, quand derrière, il y a un vrai sens. Ici, je m'ennuie, je baille, je décroche, bref, je ferme ce livre pour de bon, sans véritable envie de lui donner une seconde chance.
Au final, je n'ai pas dépassé les 100 pages avant d'abandonner et d'ajouter ce livre à ma propre pile de romans à offrir, mais celui-ci, je m'en débarrasse bien plus que je ne le recommande.
J'ai tout d'abord été perturbé par l'aspect fragmentaire de ce roman et j'ai même eu très envie d'arrêter sa lecture. Puis, pour je ne sais quelle raison, j'ai été happée. En fait, Nelly Kaprièlian assemble à la fois des anecdotes, des réflexions mais également un récit dont elle est le narrateur. Le point de départ de ce livre est une vente aux enchères des vêtements de Greta Garbo lors de laquelle elle achète l'un des manteaux de la star. A partir de ce fait et de multiples anecdotes, Nelly Karpriélian tisse un passionnant récit autour du rapport du vêtement.
Tout commence ce jour de décembre 2012 : Nelly Kaprièlian assiste à Los Angeles à la vente aux enchères de la garde-robe de Greta Garbo par ses petits-neveux, pour les besoins d'un article et d'un documentaire. «La garde-robe a été pulvérisée, éparpillée aux quatre coins du monde. Nous étions dix dans la salle, rivalisant avec autant d’ordinateurs connectés au monde entier. Chacun de nous s’en ira avec un fragment du corps de la star qu’il aime, et qu’il s’est enfin approprié par la grâce d’un seul objet, petit fétiche donnant l’illusion de participer au grand tout de sa vie.» Nelly s'en ira avec un manteau rouge, sans doute très peu porté par Garbo, elle qui n'aimait réellement que les teintes sobres et discrètes, beige, gris, taupe, noir, blanc ou bleu marine. L'auteur est d'ailleurs fascinée par la quantité vertigineuse de robes alors même que « Garbo ne se sentait coïncider avec elle-même qu'enveloppée dans une peau masculine : pantalon, pull ou chemise, chaussures plates, trench ». Ce paradoxe déconcerte et interpelle, amenant un questionnement plus vaste sur les rapports qui unissent les êtres aux vêtements qu'ils portent – ou parfois qu'ils achètent seulement, choisissent, accumulent, contemplent sans jamais s'en vêtir…
Peut-on face à la gigantesque garde-robe d'une star éteinte deviner ce que fut sa vie, peut-on apercevoir quelque chose de son intériorité, deviner son intimité ? Que révèlent d'une personne ses robes, ses manteaux, ses costumes ? Nelly Kaprièlian fait « le pari que la garde-robe d'une femme morte peut raconter sa vie et ses secrets, que chaque vêtement aurait le pouvoir de nous ouvrir une porte sur une facette de sa personnalité ».
Mais que tentait de (re)trouver Garbo en collectionnant autant de tenues qu'elle ne portait pas ? Était-ce son ancien statut d'actrice avec tous ses changements de costumes et de rôles ? Parcourait-elle les multiples facettes d'une personnalité complexe et paradoxale, tout à la fois « féminine et masculine, [...] décontractée et glamour, taciturne et hilarante, obsédée par la macrobiotique mais fumant deux paquets de cigarettes par jour, sportive mais portée sur l'alcool » ? À moins que Garbo ne se soit constitué une « citadelle de vêtements […] pour adoucir une vie trop brutalement exposée »… Ou qu'en « première femme moderne », bisexuelle assumée, elle n'ait voulu affirmer son affranchissement à l'égard de la gent masculine, de ces hommes surtout qui veulent modeler les femmes selon leurs fantasmes, les dépossédant d'elles-mêmes pour les posséder davantage.
Et toutes ces personnes venues à la vente aux enchères, que viennent-elles chercher ? Plus profondément encore, que représente l'achat, compulsif ou réfléchi, d'un vêtement – et plus encore le vêtement de quelqu'un d'autre, d'une actrice disparue – ?
Se mêlent dans ces interrogations une réflexion sur l'identité – le jeu de cache-cache entre son identité réelle et celle dont on rêve – et, pour l'auteure, une réflexion sur son histoire familiale, marquée par le génocide arménien, la fuite en France, l’enfance pauvre en banlieue, l’incertitude du statut de transfuge de classe, le divorce des parents. Dès lors, le vêtement serait une façon de donner corps aux absents, de s'assurer de sa propre existence.
"Jouir du trouble d'être enfin soi-même, d'avoir réconcilié ses deux parts de soi : son corps réel avec le rêve, son corps trivial avec son image idéalisée."
Loin d'être linéaire, le récit de Nelly Kaprièlian, tout à la fois très personnel et peuplé de stars, est fait de multiples petites digressions, anecdotes, extraits d'interviews, citations… d'acteurs et actrices, de stylistes, de couturiers, d'écrivains, de chanteurs et chanteuses. C'est parfois passionnant, parfois déroutant, parfois importun avec le désagréable sentiment d'une accumulation d'occurrences relatives à quelques mots-clés.
Néanmoins, l'aspect "mosaïque" de ce roman est aussi ce qui en fait son style, original, et son intérêt particulier, obligeant le lecteur à parcourir ces chemins de traverse pour interroger son propre rapport au vêtement, à l'apparence et, au-delà à son identité.
"L'écriture seule, pour décrypter ce rapport au vêtement par lequel tout semblait transiter, s'éclairer, du rapport à l'autre en passant par les classes sociales et l'impossible ascension, les masques et l'identité, le désir d'être une autre […] – l'écriture seule, donc, pouvait tenir lieu de fil d'Ariane dans ce labyrinthe du travestissement qu'était devenue la vie, où la frivolité était bien plus grave qu'on ne le croyait."
Toutes les circonvolutions autour des stars du cinéma, de la littérature ou de la mode s'avèrent pertinentes autant la partie autobiographique m'a semblé un poil plus irritante. Nelly Kaprièlan se décrit sans fioriture mais surtout sans recul. On sent bien qu'elle évolue dans un monde à part, artistique et bourré de fric. Ses amants, qu'elle retrouve à Londres ou à New York, dans des chambres d'hôtel de luxe, qui lui font confectionner des tailleurs sur mesure chez d'excellents tailleurs à Savile Row projettent sur elle une image de poupée de luxe un peu déplaisante. Du coup ses considérations autour du vêtements apparaissent un peu comme un sport intellectuel pour personnes favorisées, clivant le propos à l'extrême. C'est un peu la bobo parle aux bobos.
Alors quand on est un pauvre provincial qui n'a pas la chance de prendre le thé avec Dita Von Teese au bar du Ritz, on grappille un peu de cette prose intelligente, on slalome entre toutes ces interrogations pertinentes et vitales pour ceux qui zonent dans un cercle où l'on croise Brett Easton Ellis ou Sofia Coppola mais l'on reste un peu en retrait.
Nelly Kaprièlan écrit bien, réfléchit avec grâce, glose avec dextérité autour du vêtement, peau de rechange, miroir déformant ou surinformant de notre personnalité. C'est brillant comme un feu d'artifice éclatant dans tous les sens. J'en ai eu plein les mirettes et le cerveau malgré cette suranbondance désordonnée. J'ai surligné des passages, relu d'autres et je conserverai ce livre car il est bourré de références.
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