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Un page turner exaltant !
Adrénaline fois mille !
« Des larmes de crocodile » est d’emblée un antidote face à la morosité. Une fois en main, impossible de le reposer. On veut savoir, coopérer, se prendre au jeu d’une trame trépidante et captivante.
C’est un film à ciel ouvert. Tout est en mouvement, suspens, et merveilleusement déplié. Le magnétisme nous touche en plein cœur.
On aime les retrouvailles avec Úrsula López. L’héroïne de « L’Autre femme », qui vient de paraître en poche, toujours chez Quidam éditeur.
Rebelle, cachottière, elle n’aura de cesse de se venger d’une enfance frustrée et malheureuse. Son père était oppressant, quelque peu sadique avec sa fille boulimique.
« Elle lève à peine la tête à hauteur de sa poitrine, tremble, et fixe de nouveau le sol, les chaussures comme des miroirs sombres. La peur l’attaque, l’assaille. - Non, Papa. »
Il l’enfermait dans sa chambre jusqu’à plus d’heure. Tournait la clef et fermait les volets. Recluse, plus de nourriture et la peur au ventre.
Úrsula López est originale, succulente, imprévisible et rancunière. Elle habite à Montevideo, dans l’antre familial, seule. Son père est décédé. Mais les souvenirs sont prégnants et elle fait tout pour changer le décorum de sa vie, et comment !
L’Uruguay s’élève dans toute son idiosyncrasie. Les ruelles gorgées de soleil, entre splendeur et crépuscule. Nous sommes dans un roman noir, ne l’oublions pas.
Il y a les petites combines et les corruptions, les filatures et les manies. Ici, tout est en action, en ordre de bataille. Le récit est à tiroirs. Un puzzle qui s’assemble immanquablement et les évènements enclenchent la vitesse supérieure.
Mais, il y a aussi l’autre versant. L’absolu d’une beauté d’écriture profonde et surdouée. Elle rehausse le sombre des lignes. La sensibilité de Mercedes Rosende qui arrime ses protagonistes avec un tremblant d’humanité. Suivre le fil des larmes de crocodile et comprendre qu’ici, il y a des hommes et des femmes dont les existences sont de pluie, de quête ou d’enfermement. C’est l’arbre que cache la forêt en quelque sorte.
« La nuit de la prison pénètre en toi et il n’y a pas de lumière du jour ni de bonnes nouvelles pour la chasser comme ça, aussi vite, comme on se débarrasse d’une poussière. »
« Le monde était si loin qu’à l’intérieur de la pièce on pouvait entendre jusqu’au craquement des meubles. »
Mercedes Rosende déplace les pions. Échec et mat.
« Il y a deux Úrsula López. La femme de Santiago et moi. - Qui êtes-vous alors ? - En fait, je m’appelle bien Úrsula López. Mais je suis une autre Úrsula López. Vous comprenez ? - Non. - Nous sommes des homonymes, nous portons le même nom. Quand vous avez appelé pour réclamer une rançon à Úrsula López, la femme de Santiago Losada, vous avez composé le mauvais numéro, le mien. Vous avez appelé la mauvaise femme. »
D’une haute intelligence, sociologique, parfois politique, ce trépidant roman dévoile les diktats d’un pays entre les poussières et les crimes, les fausses identités, et les enquêtes menées d’une main de fer et de sang.
C’est une histoire effrénée, fascinante, comme un tour de magie, du grand art. Un spectacle dont on ne lâche rien. Mercedes Rosende nous entraîne sur la piste. On garde, certes, parfois, les mâchoires serrées, mais qu’importe !
Réjouissant, subtil, sous ses faux airs de clown au nez rouge, se lovent les grandes importances et les blessures humaines.
Les vulnérabilités, les trahisons et reste l’adage de Prosper Mérimée : « Apprendre à toujours se méfier. »
Sous le masque, les tragédies enfantines qui persistent. La vengeance aux abois.
C’est un roman d’une extrême capacité intérieure. Une référence dans un genre, qui, par sa maîtrise et sa haute qualité est unique.
Le bouquet final d’un feu d’artifice qui brille de mille feux. L’apothéose et le crime parfait.
« Entre le marteau et l’enclume, toi, comme toujours. »
Serré comme un café fort, « Des larmes de crocodile » est un pur divertissement ! L’arc-en-ciel après les giboulées. Et que ça fait du bien !
Fais ce que tu dois, advienne que pourra !
Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Marianne Millon. Publié par les majeures Éditions Quidam éditeur.
Si l'on m'avait demandé de citer un ou une auteure uruguayenne avant de lire L'autre femme de Mercedes Rosende, j'aurais été bien incapable de le faire : je remercie les Éditions Quidam pour cette immersion dans cette partie de l'Amérique latine, plus exactement à Montevideo, la capitale uruguayenne, dont l'actualité, économique ou littéraire, est très peu relayée en France. Je suis d'autant plus heureuse que ce titre ait plus de retentissement ici, que Mercedes Rosende sera présente à la prochaine édition du Quai du Polar. L'autre femme est le premier titre de la trilogie d'Ursula, dont je l'espère les deux autres titres seront publiés prochainement.
Si ce récit est qualifié de roman noir par certains, j'aurais personnellement quelques réticences à le faire rentrer dans cette case un peu formelle et réductrice. Je serais plutôt d'avis que Mercedes Rosende donne une nouvelle dimension ou approfondit le genre, on se rapproche davantage d'une parodie de roman noir. À ce propos, au festival Quai du Polar, Mercedes Rosende participera à la conférence intitulée Rire noir, rire jaune mais rire toujours qui interroge le lien entre l'usage de l'ironie et du polar. Pour revenir au roman, la protagoniste principale Úrsula López, qui donne son prénom à la trilogie, mène la danse et donne le rythme de cette intrigue dont l'absurdité cynique nous régale : c'est une femme aux multiples talents, dont celui d'être une actrice à la petite semaine dans un reality-show vendu aux Américains, d'être traductrice littéraire et à l'occasion, époussette avec amour ses statuettes japonaises et cultive avec gourmandise son doux péché mignon qu'est le dulce de Leche. Mais ce qui la distingue, ce sont les kilos en trop, qu'elle traîne depuis des années et qui font de ses repas journaliers un combat de tous les instants, à travers la multitude de régimes possibles et imaginaires que tous les diététiciens d'Uruguay et d'Amérique ont mis au point. C'est une femme qui ne s'aime pas, coincée entre l'image peu reluisante qu'elle a d'elle-même et un passé qui ne cesse de la hanter. J'ai ressenti beaucoup de sympathie et de tendresse à l'égard d'Úrsula, Mercedes Rosende a choisi une héroïne qui, si on s'en tient à sa focalisation, n'avait rien pour le devenir, en tout cas selon les normes habituelles. Mais, justement, c'est un roman qui ne se contente pas des normes, il les franchit allègrement. La rencontre avec l'autre Úrsula López, son double, son homonyme, à travers son implication fortuite, et ubuesque, à ce crime sordide et prodigieusement raté donne une autre perspective, à notre première, et finalement seule et unique, Úrsula López.
Si j'évoquais précédemment mes réticences quant à l'appartenance du titre à une catégorie bien définie, c'est justement parce que le crime dont il est question est raté avec un tel panache, qu'il tient plus de la parodie de l'enlèvement que d'un crime véritable : deux bras cassés veulent se faire un peu d'argent, il est impossible de prendre au sérieux ce duo d'apprentis kidnappeurs, et dans la globalité, de prendre au sérieux l'ensemble de ces personnages qui se retrouvent mêlés à un crime sans queue ni tête. C'est justement ce qui donne ce petit gout savoureux au roman, outre l'exquise sensation de cette confiture de lait sur notre palais, la scène relève plutôt du comique de boulevard. L'auteure uruguayenne y démonte tous les ressorts dramatiques ou tragiques, ou plutôt faudrait-il dire que le drame ne se trouve pas vraiment là où on le croit. Cet enlèvement permet à Úrsula López de rencontrer son double, son antonyme exacte, son négatif ou positif, celle qui joue le rôle de révélateur de notre Úrsula López, celle qui apporte un autre éclairage sur le personnage.
L'autre femme est un roman kaléidoscope, qui déconstruit et construit les perceptions des personnages sur eux-mêmes et sur autrui, l'auteure joue habilement entre ces diverses visions subjectives, où les êtres sont finalement éclatés entre plusieurs visions et sont constamment dans un rôle : si la télé-réalité en est un exemple amplifié à l'extrême, la femme obèse qu'elle est dans son esprit devient pourtant une tout autre femme sur la scène du crime ou devant les yeux de son homonyme. Inutile de dire que j'ai été très sensible à ce trait narratif, qui trace les lignes d'un scénario, un peu improbable mais truculent, et cette réflexion sur le fond, sur cette question de la duplicité, que j'ai trouvé bien traitée et très pertinente.
Il semblerait que les deux autres titres de la trilogie uruguayenne aient été traités sur le même ton – j'ai eu la curiosité de lire le résumé de El miserere de los cocodrilos, le titre qui prend la suite de L'autre femme au sein de la trilogie, et je serais très heureuse d'en lire la traduction. En attendant, je compte bien aller écouter Mercedes Rosende ainsi que l'auteur polonais Zygmunt Miłoszewski, dont j'apprécie les romans, et les auteurs français Christian Casoni et Sébastien Gendron à cette fameuse conférence.
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