Chronique, interview et jeu-concours : "La Femme, la vie, la liberté", de Leïla Mustapha et Marine de Tilly
Chronique, interview et jeu-concours : "La Femme, la vie, la liberté", de Leïla Mustapha et Marine de Tilly
« Jin, Jiyan, Azadi » « La femme, la vie, la liberté »
Plus qu’un slogan, plus qu’une devise. Un cri de vie pour la brigade féminine (YPJ) lorsqu’elle a rejoint l’Union de protection du peuple (YPG), la branche armée du PYD, le Parti de l’union démocratique créé en septembre 2003 en Syrie. Cette unité est devenue après la bataille de Kobané le mouvement incontournable dans la lutte contre le terrorisme.
Leïla Mustapha n’est pas une combattante, du moins pas avec des armes. Ses munitions sont sa foi, ses convictions, son souhait de voir toutes les communautés syriennes vivre en paix, son courage, sa détermination. Elle fait partie de ces personnes qui continuent à voir la lumière dans l’obscurité, à croire en la vie dans un ossuaire, à espérer à travers les pleurs, à s’imaginer chanter l’allégresse après avoir crié son désespoir. Leïla Mustapha garde la tête haute même quand les bras lui tombent, elle reste femme et fière de l’être quand on lui impose de force le niqab. Kurde, native de Raqqa, elle va voir sa ville anéantie, sera obligée de fuir et, contre toute attente, après la défaite de Daesh, elle deviendra maire. C’est cette histoire qu’a décidé de raconter la reporter Marine de Tilly en apportant le témoignage direct d’une femme qui n’a jamais cessé de clamer sa liberté dans la clanique et totalitaire Syrie. Tel le roseau, la gazelle n’a pas plié devant le « lion de Damas » ni devant les hyènes au drapeau noir.
Sans chercher à tire les larmes, sans tomber dans le pathos – pas besoin d’en faire plus dans ce pandémonium syrien – Leïla Mustapha raconte son enfance heureuse, puis la frénésie de voir dans son pays souffler un vent de liberté lorsque les premières manifestations en mars 2011 apparaissent à Deraa. Mais très vite, les espoirs tombent, les étincelles d’un renouveau vont être allumées par des groupes terroristes avec la passivité étrange du régime. Raqqa se transforme en arène de la mort. L’horreur dans toute son abomination. Puis, des nouveaux combattants préparent une alternative, notamment les Kurdes avec dans ses troupes des femmes qui se surpassent lors des affrontements. Dans les ruines, les cendres d’une Raqqa libérée – mais encore terrifiante – Leïla, plus déterminée que jamais, va progressivement intensifier son combat humain : celui de rassembler et de préparer un nouveau chemin vers la liberté.
La préface et la postface de Marine de Tilly apportent une plus-value sur le plan géopolitique, décortiquant le rôle ambigu de Bachar el Assad et les stratégies machiavéliques de Poutine et Erdogan. Quant à Leïla Mustapha elle incarne la fraternité dans sa plus belle définition : le sens des valeurs, sachant garder une place dans son cœur pour les disparus, n’oubliant pas mais sans laisser une haine vengeresse, prônant la tolérance – elle cite aussi bien des vers du Coran qu’une phrase de Jean-Paul II – et laissant derrière elle les peines pour tenter de réparer les vivants. Cette jeune femme est l’exemple même de ces êtres lumineux qui vous redonnent foi en l’humanité et nous apprennent combien l’humilité est à construire chez les gens heureux.
« Je m’appelle Leïla Mustapha, je suis née l’année du « digma » et je ne sais pas pourquoi. Ce que je sais, c’est que ni le lieu ni le moment d’une naissance, d’une source ou d’une aurore ne tombent au hasard. Je suis venue au monde pour faire quelque chose, et quand la révolution a éclaté dans mon pays j’ai compris que cette chose, pour moi, ce serait Raqqa ».
Avec les remerciements à « lecteurs.com » de la Fondation Orange pour cette lecture
« Les gens de Raqqa m'ont choisie pour que je leur rendre une vie, la parole, une démocratie, pas pour que j'ajouter mes larmes au torrent des leurs. »
Leïla Mustapha.
Ce récit est une autobiographie écrite à quatre mains. Et là, ce genre littéraire prend là tout son sens, tant Leïla Mustapha force l'admiration par sa dignité, sa stature et sa hauteur de vue.
Depuis octobre 2017 et la libération de Raqqa des mains de Daesh elle a été choisie pour co-diriger la ville. Tâche immense que de reconstruire cette ville martyre de 300.000 habitants, ancienne capitale de l'Etat islamique, détruite à plus de 80% comme atomisée.
Leïla Mustapha est une personne extraordinaire, au sens strict du terme, un hold-up de la modernité sur le passéisme :
une femme jeune ultra diplômée ( ingénieure en génie civil ) dans un monde dominée par les hommes
une kurde dans une Syrie qui les discrimine
une femme en cheveux et jean slim, musulmane sunnite attachée à la laïcité dans une société rongée par l'intolérance religieuse et le sectarisme
En fait, ce qui dessine au fil de cette lecture, c'est un portrait d'une femme lumineuse qui redonne foi en l'être humain, assoiffée de liberté, d'égalité, de fraternité, travailleuse acharnée et altruiste. Elle propose un rêve d'Orient échappée du cauchemar, où le multiethnicisme l'emporte sur le nationalisme, où la laïcité l'emporte sur le confessionnalisme, le féminin sur le patriarcat, la démocratie sur la tyrannie.
Elle se raconte avec beaucoup de simplicité, de modestie et de sensibilité, sans langue de bois, à la grand reporter Marine de Tilly qui apporte beaucoup au récit grâce à sa plume alerte et soignée. Les chapitres s'avalent avec fluidité et clarté. Même si on n'est pas un spécialiste de la géopolitique syrienne ou moyen-orientale, on s'y retrouve parfaitement grâce au prologue très pédagogique qui présente le contexte historique, ainsi qu'au lexique de fin.
Je n’avais jamais entendu parler de Frédéric Tissot avant d’avoir lu cette autobiographie.
C’est en voyant son interview à la TV que j’ai voulu la lire. je n’ai pas été déçu et pour plusieurs raisons.
Il s’agit tout d’abord d’une vie hors du commun. Ces vies, dignes d’un roman, sont toujours fascinantes et me laissent rarement indifférent.
D’autre part Frédéric Tissot s’interroge, et me fait moi-même m’interroger, sur les limites des actions humanitaires, surtout quand elles sont confrontées à la real politik et à la politique tout court. Vaste question que l’on peut rapprocher des pensées de l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot. Ce dernier est d’ailleurs lui-même évoqué dans ce livre. L’Humanitaire sauve-t-il les pays auxquels ils sont destinés où sont-ils là pour soulager nos consciences, malgré la meilleure volonté du monde ?
Enfin, Frédéric Tissot a embrassé la cause kurde au début des années 80. Cette cause kurde dont on parle tant depuis que ce peuple est l’un des remparts face à Daech.
En résumé un livre et un homme à découvrir qui, malgré les utopies perdues, continue d’avancer.
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