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« L'histoire commence un 23 décembre 2004, à l'aurore, alors qu'un enfant traverse la rue des Geais-Bleus. » Et on l'aime immédiatement, ce petit Zoey de 8 ans avec sa nouvelle tuque queue de dragon qu'il a voulu mettre même si sa maman lui a dit qu'elle n'est pas assez chaude, « petite silhouette aux mouvements entravés par l'habillement, par les mitaines pleines de nez qui coule, par les bottes trop lourdes et le sac à dos plus lourd encore, qui fait mal aux épaules. »
Zoey retrouve toute sa famille pour les fêtes de fin d'année, surtout Emie-Anne, sa cousine à peine plus âgée, sa complice avec laquelle il va s'unir pour une mission de la plus haute importance : suivre Skyd, une créature fantastique échappée du jeu vidéo Zelda, portant un masque maudit ; découvrir ce qu'il veut Skyd sans savoir si ses intentions sont bonnes ou pas lorsqu'il les entraîne dans un monde parallèle surnommée le Dôme.
« Zoey ferme les yeux.
Dans le noir derrière ses paupières, un corridor apparaît. Un tunnel ondoyant qu'il visite. Zoey (...) se téléporte dans les cavités vides et sombres de sa tête. L'espace intérieur de Zoey ressemble à un grand dôme aux murs, au plafond et au plancher peints en noir. La structure est soutenue par des arches travaillées, si hautes que Zoey n'en distingue pas le sommet. Dans la salle, chacun de ses pas résonne en écho. le Dôme donne le vertige. »
J'ai rarement lu des pages aussi fulgurantes pour parler de l'enfance et de l'épopée psychologique qu'elle constitue. Par le choix du discours indirect libre, Kév Lambert donne accès à l'intériorité de ces deux enfants, une architecture, une texture, une matérialité que les aventures imaginaires dans le Dôme rendent palpables, comme cette terreur de quitter un jour l'enfance :
« La frontière qui sépare le monde des enfants de celui des plus vieux est imperceptible, difficile à situer, Zoey croise les doigts en espérant qu'Emie-Anne ne l'a pas encore franchie, qu'elle n'a pas reçu sa lettre de convocation pour la préadolescence, la pire chose qui pourrait leur arriver, pour Noël, c'est qu'Emie-Anne s'enfonce dans cette brume opaque, épaisse et sans intérêt dans laquelle tant d'enfants finissent par se perdre pour ne plus jamais être les mêmes. »
Zoey et sa cousine ne veulent pas de ce monde des adultes qui ne comprennent rien, sont limités par leur logique et leur rationalité, alors que les enfants ont en eux toute la puissance de l'imagination pour s'ouvrir des portes de Narnia, « le genre de chose qui n'arrive qu'aux enfants. Ils veulent se libérer du poids de la famille en plongeant dans cet univers imaginaire qui leur semble extraordinaire car inédit mais dans lequel ils vont de confronter à leurs traumas, lui le petit garçon qui porte la culpabilité du divorce de ses parents et se fait harceler à l'école car trop efféminé ; elle en révolte, se sentant rejetée par sa famille car elle a été adoptée.
L'auteur prend le risque de perdre le lecteur en convoquant formellement le romanesque de l'enfance. Il écrit comme pense un enfant de 8 ans, sur une musique un peu folle, exaltée, anarchique, excessive. Il travaille beaucoup les images, en convoque beaucoup, avec une énergie qui colle presque à un scénario de jeu de Zelda : parfois t'avances vite, parfois tu changes de direction, tu descends descends descends et te retrouve bloquer, alors tu repars dans un autre sens.
J'ai trouvé le récit beaucoup trop long, notamment dans le récit des aventures imaginaires dans le Dôme. Je pense vraiment qu'un texte plus court aurait eu plus d'impact et qu'il n'était pas nécessaire de délayer autant. J'ai lu quelques passages en diagonale. Mais j'ai tellement aimé la fibre de l'écriture qui regorge d'inventivité, la voix affirmée et singulière de l'auteur et la qualité de la vérité émotionnelle qu'il parvient à créer, que j'ai lu avec gourmandise.
Oui l'enfance est parfois construite sur des sentiers de neige fragiles mais tellement riches à emprunter par les mots.
« Ce qu’il y a de beau sur la terre, c’est aux masques que vous le devez. » Jean Genet
« L’histoire commence un 23 décembre 2004, à l’aurore, alors qu’un enfant traverse la rue. »
« Les sentiers de neige », l’enchantement d’un roman d’apprentissage dans cette orée d’enfance, où d’aucuns trouvent l’incandescence, puisqu’il s’agit d’une lecture qui offre son langage en nos mains.
D’une prodigalité certifiée, intense, d’une maturité intrinsèque, les narrations à hauteur d’enfant, sont des étoiles en nos yeux.
On ressent une saison empreinte de rémanence.
Dans une virtuosité qui attise la teneur d’une trame perfectible et rayonnante.
Ici, prend place un roman initiatique.
Zoey, huit ans, est un petit garçon qui semble un journal intime. Secret et pétri de questionnements, sensible et émotif, entre les rives où la dualité façonne sa personnalité.
A l’école, ce jeune poulbot qui se cherche entre mille ambiguïtés est souvent pris à partie.
« L’école est peuplée de la pire espèce et les adultes ne font rien. »
Vulnérable, d’une hyper émotivité visible à l’œil nu, l’imaginaire exacerbé, il est pris en tenailles entre ses cauchemars et ses rêves éveillés. Ses frustrations et ses incompréhensions sont des tempêtes dans le froid hivernal. À l’instar d’une saison en mimétisme, gémellaire, et de connivence.
« Tout le monde regarde Zoey pour voir s’il va éclater, si la fureur va prendre le contrôle de son corps ou s’il va faire des choses intenses. »
Le bouc-émissaire de certains, harcelé, pris au piège des lâchetés enfantines et des bassesses chères aux petits caïds.
Zoey est au bord du gouffre, un Drôme métaphorique, « pas un terrain de jeu, mais un tombeau. »
L’allégorie d’un mal être, lui, écartelé entre deux maisons, ses parents juste séparés. Zoey est dans l’incantation d’un passé où s’articulait l’espérance d’une proclamation de quiétude. Il perd ses repères. En chute libre dans la prose de son mental qui ne lui laisse aucun espace de survie. Chahuté par des présences, paraboles fantomatiques. Le récit pénètre dans l’imaginaire de cet enfant. Les jeux vidéos qui vont œuvrer. Prendre vie en réalité. Ici, tout est extrêmement bien maîtrisé. Pas un mot n’est de silence, pas une virgule ne conçoit pas à ce chef-d’œuvre. Nous sommes au cœur même des psychés.
Et puis, c’est l’hiver à Chicoutimi. Le Québec inscrit la nuit, se heurte à l’ennui d’être au monde.
Zoey va franchir subrepticement, le Noël de son enfance. Au bord du lac St Jean entre les plis glacés, les arbres figés par le givre. Le rendez-vous pavlovien dans la grande famille paternelle. Son père à cinq frères, autant de belles-sœurs, dont Josiane juste arrivée dans cet antre familial. Elle a du mal a trouver sa place, puisque cette fratrie est pleine de secrets, d’anecdotes, et de coutumes, il lui faut faire ses preuves pour acquérir le Sésame.
N’est pas une Lamontagne qui veut !
Zoey va retrouver sa cousine adorée, sa sœur de cœur et confidente.
Émie-Anne, neuf ans, futée, téméraire mais inondée d’ubiquité aux abois. Elle est sur un banc abandonné, dans les bordures de son enfance.
Le roman est stylistiquement en osmose avec le déroulé de l’histoire. Les enfants pénètrent un monde parabolique, superbement dévoilé.
Un plongeon dans le labyrinthe intérieur. Skyd est un héros échappé d’un jeu vidéo. Ils voient en vérité ce visage monstrueux, ce corps déformé. Un double cornélien. La traversée du miroir, entre l’effroi et les ténèbres. Les épreuves exaucées deviennent un exutoire. Dans les entrelacs, la famille Lamontagne, « une hostie de famille de séquelles. » « Vous avez-tu compris ? Vous allez voir que momone Roch il est ben fin, mais il peut aussi être malin. C’est chez vous, icitte ? »
On aime les saveurs, les regards et les malices, les idiosyncrasies fulgurantes des diktats familiaux. Un clan qui fête Noël en apothéose, libre, immensément libre dans la joie de tout se dire. La concorde d’un décembre où ces petits bouts vont s’éveiller. Les affects et les faiblesses, Noël et ses rites et les espérances. Croire au socle, aux généalogies inéluctables. L’armoire du monde dans un Québec dont la magie est un pied de nez aux désespoirs, aux petites filles adoptées de première catégorie : Émie-Anne. D’un petit Zoey si injustement jugé. « Les sentiers de neige » est une corbeille de tendresse. Une immersion dans les neiges spéculatives. Un macrocosme littéraire où arpente Kev Lambert. Il sème des éclats de blancheur, dans l’extrême connaissance des prismes de l’âme humaine.
Les ramifications superbes d’un roman qui accomplit les renaissances et les gloires.
Inconditionnel, tant son magnétisme est une consécration. Grandiose, émouvant, un éphéméride de décembre unique. La proclamation d’un roman talentueux, enneigé et d’une force inégalée.
Un Noël salvateur dans l’incarnation du renom.
Une évidence. Une fierté éditoriale.
Confiant qu'il n'était pas « un enfant comme les autres » et qu'il a grandi « queer dans un monde homophobe », Kevin Lambert a mis beaucoup de lui dans « Les Sentiers de neige », plongée dans le monde de l'enfance.
Zoey, huit ans, vit à Chicoutimi au Québec. Nous le suivons sur quelques jours, de l'avant-veille du Noël 2004 au tout début de l'année 2005.
Depuis la séparation de ses parents et une autre raison que l'on découvrira à la toute fin, même si des indices sont semés comme des petits cailloux, le garçon se sent mal.
À l'école, son embonpoint, sa petite voix et son amour pour « les choses de filles » lui valent les moqueries de ses « camarades ». Bref, il évolue dans un environnement genré où les garçons se passionnent pour les châteaux-forts et les filles pour les Barbie. Sauf qu'il préfère les princesses aux chevaliers...
Il s'apprête à quitter sa mère pour passer les fêtes de Noël chez un oncle de son père.
Kevin Lambert nous livre alors un jubilatoire et cruel portrait de famille qui sent le vécu. Cette famille, le petit Zoey s'en moque. Il se réjouit surtout de retrouver Émie-Jeanne, sa courageuse cousine d'un an plus âgé que lui.
Le récit se transforme alors en un conte horrifique dans lequel les enfants vont affronter des épreuves et des monstres pour sauver la vie de Skyd, personnage échappé d'un jeu vidéo.
Pour apprécier ce roman, il faut accepter de retourner dans le monde de l'enfance, son imaginaire et ses peurs.
Il faut abandonner, le temps de la lecture, son statut d'adulte.
Et les adultes, l'auteur ne les épargne pas. À part la nouvelle « matante » Josiane, psychologue, ils sont bêtes et méchants et, surtout, ils ne comprennent pas leurs enfants parce qu'ils ont oublié qu'eux aussi sont passés par cet âge où tout est possible, y compris les souffrances tues.
Avec une grande intelligence et une écriture pleine de verve truffée de savoureuses expressions québécoises (un glossaire aurait été bienvenu), Kevin Lambert prouve qu'il est une voix singulière de la littérature francophone.
Mais que de longueurs...
Je remercie Babelio et « Le Nouvel Attila » pour cette lecture.
http://papivore.net/litterature-francophone/critique-les-sentiers-de-neige-kevin-lambert-le-nouvel-attila/
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