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L’affaire du colonel Miassoïedov, c’est une sorte d’affaire Dreyfus à la russe, mais sans aucun Emile Zola pour accuser les autorités d’intenter un procès ignominieux à un innocent.
Au début du 20ème siècle, le colonel Miassoïedov est un gradé de la gendarmerie tsariste, affecté aux services de renseignements. Il est également administrateur d’une société privée de transport maritime fondée par des Juifs. Et il se murmure que son épouse, Klara Holstein, serait d’origine juive. Dans un contexte d’antisémitisme galopant, il n’en faudra pas davantage pour faire de lui un bouc émissaire idéal. En effet, lorsque la Grande Guerre éclate, l’armée russe, sous le haut commandement du grand-duc Nicolas, oncle du tsar Nicolas II, essuie de très lourdes défaites sur le front de la Pologne orientale. Plutôt que d’assumer la stratégie calamiteuse de l’armée impériale, on préfère calmer l’opinion publique en la manipulant sans vergogne et en mettant la honteuse déroute sur le dos d’un espion qui aurait transmis à l’ennemi d’importantes informations sur les positions des troupes russes. Et tant qu’à faire, autant désigner un espion en cheville avec les « milieux juifs ». Ni une ni deux, on constitue une Cour martiale sans accorder aucun droit à la défense, on expédie un procès aussi grossier que le dossier d’accusation est vide, et voilà Miassoïedov exécuté à Varsovie en 1915 en tant que « responsable direct de la défaite de la 10ème armée ». Que ne ferait-on pour contenter l’opinion publique et sauver la face de la famille impériale… « Par les temps qui courent […] le droit n’est plus la valeur suprême, l’intérêt public passe avant tout« .
L’histoire ne s’arrête pas là, parce que, tel un couple maudit, c’est au tour de Klara d’être inquiétée en tant que « complice » de son mari. D’abord condamnée à mort, elle aussi, elle est finalement déportée en Sibérie. A l’avènement du régime bolchevique, elle reprend espoir et tente de rentrer chez elle, imaginant que son ardoise serait effacée. Mais jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, ballottée d’un bout à l’autre de l’Europe centrale, son passé la poursuivra : même remariée, le nom de Miassoïedov lui posera bien des problèmes, sans parler de ses origines juives supposées.
A partir de faits réels, l’auteur retrace l’histoire de l’Europe orientale et de la Russie, des premiers pogroms en 1903 au bombardement de Dresde en 1945. Le sort du couple Miassoïedov est purement et simplement révoltant et méritait amplement d’être (enfin) mis en lumière (en français ; l’original date de 1962). Rien à dire sur le fond, donc, mais je suis plus mitigée sur la forme et le style. La première partie de ce pavé de 630 pages, consacrée au colonel, est assez rébarbative : digression, sauts dans la chronologie, description des mouvements de troupes avec une litanie de grades, de noms de personnes et d’endroits,…, j’avoue que je m’y suis perdue et barbée. L’éditeur et/ou le traducteur auraient d’ailleurs pu se fendre de quelques explications sur des mots tels que verste, sotnia, voïvode,…, et d’une carte de la région, tant qu’à faire. Par ailleurs, le comportement de Miassoïedov est énigmatique : rien sur sa psychologie, rien qui permette de comprendre le pourquoi et le comment de ses agissements à l’armée et sur le plan sentimental ; on comprend tout juste que s’il s’associe dans une entreprise privée, c’est par appât du gain. La seconde partie, consacrée à l’affaire de Klara, est quant à elle un peu plus incarnée, et on arrive à entrer en empathie avec son personnage, mais là aussi cela manque de profondeur et de mise en contexte, surtout quand, comme moi, on a une connaissance limitée de cette région à cette période de l’Histoire.
Il n’en reste pas moins que ce roman-document fait œuvre utile et rappelle la violence et la souffrance effroyables subies par les populations civiles (et les soldats) pendant cette première moitié bien noire du 20ème siècle.
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