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Neuropsychiatre de renommée internationale, Boris Cyrulnik explique qu’il est né deux fois : le 26 juillet 1937, jour où il est venu au monde, et lorsqu’il a été arrêté dans son lit par des hommes armés. Il avait 6 ans. Ce jour-là, il s’est senti « condamné à mort pour crime qu’il allait commettre… »
Dans ce livre, il fait le récit de sa vie et relate les années de guerre : la déportation de ses parents, son arrestation et son évasion, puis son arrivée à Paris à la fin de la guerre.
Un témoignage au travers des yeux d'un enfant devenu adulte.
Emouvant !
Si Boris Cyrulnik est un neuropsychiatre réputé, il reste un enfant qui, à l’âge de 7 ans, a été condamné à mort, à Bordeaux, la ville où il est né. J’avais lu Sauve-toi la vie t’appelle il y a quelques années et c’est grâce à l’ami Jean-Pierre S. que je retrouve une écriture toujours érudite et passionnante.
Dans Le laboureur et les mangeurs de vent, Boris Cyrulnik s’attache à analyser, à mettre en lumière les contradictions présentes dans tous les êtres humains. Liberté intérieure et confortable servitude, sous-titre de l’ouvrage, confirme bien l’objectif visé par l’auteur : décortiquer un dilemme base de tant de traumatismes.
Dans notre espèce humaine, il y a les laboureurs, ceux qui cherchent, remettent en cause les vérités préétablies, assénées par les dirigeants, pour essayer de comprendre par eux-mêmes, quitte à désobéir.
A contrario, les mangeurs de vent se rassurent et apprécient de se retrouver avec le plus grand nombre, ce qui peut mener aux drames les plus horribles du XXe siècle.
Bien sûr, la Shoah - extermination programmée des Juifs mais aussi des Tziganes, des infirmes, des malades mentaux par les nazis – mérite un examen approfondi qui revient régulièrement mais il faut se garder de la banaliser car ce massacre s’appuyait sur l’obéissance aveugle de fonctionnaires satisfaits d’obéir aux ordres.
L’exemple d’Eichmann est détaillé, appuyé par les observations d’Hannah Arendt et sa fameuse formule si critiquée : « la banalité du mal ». Boris Cyrulnik démontre que n’importe quel être humain peut se révéler « mangeur de vent » et que tout se joue durant l’enfance. Si la célèbre politologue née en Allemagne puis naturalisée américaine était séduite par l’intelligence de cet homme, elle n’a pu accepter qu’il devienne un nazi convaincu sans, toutefois, pouvoir effacer les moments de bonheur vécus avec lui.
Ces nazis pouvaient massacrer froidement des milliers de Juifs dans la journée, enfants, femmes, hommes, et retrouver joyeusement leur foyer en soirée. Pour cela, il fallait nier toute humanité à ceux qu’ils exterminaient, ne pas capter leur regard.
Trente-trois petites parties, chapitres plus ou moins long, se succèdent. L’écriture de Boris Cyrulnik est simple même s’il lui est impossible d’évacuer des termes qui lui sont familiers mais pas ou peu utilisés dans la vie courante. Peu importe, chaque chapitre hérite d’un titre qui annonce la couleur comme « Croire au monde qu’on invente » ou « Parler pour cacher le réel », ou « Se soumettre pour se libérer », ou encore « Toute-puissance du conformisme »…
Cet homme qui s’est tu pendant quarante ans car son récit, il le dit lui-même, n’intéressait personne, a enfin réussi à être cru grâce aux témoins qu’il a retrouvés souvent par hasard. Un livre, une émission de télévision en 1983 lui ont permis d’être écouté. Après s’être soumis, il s’est enfin libéré.
L’auteur rappelle qu’un enfant a besoin de trois niches pour se développer harmonieusement : la sensorialité, l’affectivité et la verbialité. Dans ce chapitre, plus long que les autres, il précise que « dans une famille pauvre structurée par l’affection et la culture, les enfants ne sont pas malheureux et se développent bien. » Ensuite, ce sont les utopies qui escroquent les peuples jusqu’à ce que la déception survienne, trop tard, hélas.
Quand il se demande s’il faut se « Soumettre à l’autorité », la question se pose : obéir ou pas ? Il rappelle la fameuse expérience de Stanley Milgram avec ces décharges électriques d’intensité croissante envoyées par des « enseignants » à des « apprenants » dès que ces derniers commettaient une erreur. 65 % des « enseignants » n’ont pas hésité à torturer, se soumettant à une autorité morale, démontrant à nouveau cette « banalité du mal » mise en avant par Hannah Arendt.
Enfin, Boris Cyrulnik fait bien de rappeler qu’au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), qu’à Dieulefit (Drôme) et qu’à Moissac (Tarn) pas un seul des Juifs réfugiés n’a été dénoncé alors qu’à Paris et dans les grandes villes cela se faisait couramment. Comment expliquer qu’au Chambon-sur-Lignon, sur les cinq mille réfugiés dont trois mille cinq cents Juifs, pas un n’ait été dénoncé comme le demandaient deux pasteurs ? Estime pour ces pasteurs ou volonté de désobéir aux nazis ?
Tous ces comportements méritaient d’être analysés comme l’a fait Boris Cyrulnik dans Le laboureur et les mangeurs de vent car cela permet de comprendre génocides, massacres ethniques, guerres civiles, idéologiques et religieuses. Chaque être humain peut basculer dans l’horreur pour peu qu’il devienne un mangeur de vent au lieu de désobéir aux ordres donnés. C’est un choix douloureux qui doit se préparer dès l’enfance comme y revient justement l’auteur à la fin d’un ouvrage riche d’enseignements.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2023/03/boris-cyrulnik-le-laboureur-et-les-mangeurs-de-vent.html
Le laboureur parle de ce qu’il sait
Boris Cyrulnik nous dit que deux ou trois mots suffisent pour thématiser une existence.
Pour lui ce sont : mort-juif-résilience.
Pour vous quels seraient-ils ? Y avez-vous déjà songé ?
Ce livre vous donne des clefs pour vous interroger sur votre vie, sur le présent et l’avenir.
Décortiquer, c’est la réflexion et les engagements que vous prenez au cours de votre vie.
Pour cela, avez-vous été un enfant sécure ou insécure ?
Quelle que soit la réponse, vous avez plus de risque d’appartenir à la cohorte des « mangeurs de vent » mais ce n’est pas une fatalité.
Rien ne vous oblige à vous nourrir de phrases toutes faites, de plier sous le joug des tendances à la mode.
L’auteur illustre cette partie avec beaucoup d’exemple tirés des écrits et de la vie d’ Hannah Arendt.
« Hannah se sert de sa pensée comme un paysan, un laboureur qui sait quand une terre est grasse ou sablonneuse parce qu’il a établi avec elle un commerce charnel, il l’a sentie sous ses pieds, il l’a palpée avec ses doigts, il a reniflé son odeur, ce qui lui a procuré une connaissance sensorielle, concrète, matérielle. »
Il raconte la stupeur d’Hannah, lorsqu’elle a assisté au procès de Eichmann, et qu’elle a découvert un petit homme insignifiant, avec un vocabulaire pauvre, uniquement de celui d’un gestionnaire soumis.
Boris Cyrulnik revisite les grands évènements et nous éclaire sur « la banalité du mal ».
Il démontre, toujours avec l’exemple d’Hannah Arendt, comment ne pas vouloir se contenter d’une vision simplificatrice, vous isole.
Analyser, notamment les phénomènes sociétaux.
« Depuis qu’une littérature raconte que les jeunes peuvent choisir leur genre, un nombre croissant de préadolescentes prennent des doses élevées de testostérone. Elles constatent que leur voix devient grave, leurs règles disparaissent et que du poil pousse sous leur nez. »
Douter, autrefois la sagesse populaire préconisait de « Ne rien prendre pour argent comptant ».
Notre environnement numérique, virtuel nous fait vivre en groupe et en même temps à vivre sans les autres. Sans pouvoir décrypter les visages et les éventuels signes d’incongruence, à s’intéresser à l’autre sans jugement, juste avec empathie. Tout ce savoir, cette source de richesses se perd.
Engranger, pour cela il faut avoir des interactions et des bases pour analyser les situations qui se présentent.
Sans les autres c’est la mort.
La sécurisation de l’enfant est la base.
Apprendre à penser par soi-même, confronter ses idées, etc.
Sortir du silence.
Le savoir de terrain est indispensable, mais notre monde actuel est davantage peuplé de mangeurs de vent que de laboureurs.
Et la tendance est à ne pas écouter les laboureurs.
En refermant ce livre, vous vous interrogerez sur les outils que vous possédez pour agir sur le réel.
Votre degré de liberté engendre votre degré de responsabilité.
Une réflexion éclairante, un besoin vital.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/07/26/le-laboureur-et-les-mangeurs-de-vent/
Un essai dans lequel, l’auteur tente de décrypter tout ce qui peut conduire un individu à se comporter comme un assassin ou un héros, avec toutes les nuances intermédiaires, selon l’environnement social, psychologique, cérébral, auquel il est soumis à un instant « t ». De nombreux exemples, y compris les siens, personnels et très douloureux illustrent cette étude très fouillée de l’âme humaine.
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