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A 72 ans, Ernest Pignon-Ernest n’a pas réellement l’aura public qu’il mérite. Pourtant une forte actualité lui est souvent liée. Dernièrement (du 25 janvier au 30 mars 2014, à Malakoff), une exposition lui était consacrée. Et voilà André Velter, le poète du verbe et de la pensée, de signer un superbe texte pour un magnifique album chez Gallimard.
Un artiste rare, semble-t-il, qui rencontre un écrivain rare, pour une présentation exhaustive de l’œuvre dessiné (ainsi que de quelques sculptures). Oui, Pignon-Ernest est un immense technicien, soutenu par ses idéaux humanistes. Ce qui en fait un pilier de cet art fait par un homme pour d’autres hommes. Il fait appel à notre mémoire, à notre culture, à notre conscience, à notre engagement. Il met le dessin là où nous ne l’attendons pas : dans la rue. Du moins, sous une forme plutôt traditionnelle, très loin des compositions de Keith Haring, de Bonom ou même de Banksy. Il réalise des dessins, sérigraphiés ensuite sur de grandes feuilles de papier fragile. La nuit, il place ses dessins en les collant à même les murs, à des endroits stratégiquement choisis. Avec le temps, à cause des intempéries, ou de déchiqueteurs indélicats, les œuvres s’effilochent, partent en lambeaux pour finalement disparaître. Seules les photographies restent. Les traces, les empreintes de l’art éphémère dans la banalité permanente du réel. Un appel à la liberté d’expression dans le monde de la pensée unique.
Ernest Pignon est né en février 1942 dans un milieu ouvrier. Il a commencé, en 1962, lors de son service militaire en Kabylie, à dessiner au brou de noix sur des pages de journaux. Mais le premier coup d’éclat a été une vaste installation sur les marches devant le Sacré-Cœur à Paris, en hommage aux victimes de la Commune. Déjà, l’artiste montre sa sympathie pour ces insurgés, essentiellement des ouvriers du bâtiment, des journaliers, des travailleurs du métal, des ouvriers d'ateliers ou de petites fabriques. Bref, ceux qui ont été sacrifiés alors qu’ils avaient tenté de se faire entendre, par tous les moyens. Par la suite, (et au fil des pages de cet album), il a abordé en vrac : Antonin Artaud, Arthur Rimbaud (en jeans !!!), la ville de Naples, Pier Paolo Pasolini, le Caravage, les réfugiés, les avortées clandestines, les prisonniers, Soweto, l’Apartheid. Avec un style très naturaliste, il est évidemment à contre-courant des modes actuelles (abstraites et conceptuelles), car il est intimement persuadé que l’art peut être pédagogique, non pas dans les musées, ni dans les galeries, mais bien en le confrontant à un public sans habitudes à proprement culturelles. Tout cela se double d’un véritable pied de nez à l’autorité, d’un défi à tout un quartier, à ses habitants également.
André Velter ne s’y trompe pas. Il parvient à sublimer les photographies de ce livre par les mots, tandis que l’éditeur le fait par la qualité du papier et de la mise en page, le choix des illustrations (toutes signifiantes), la reliure toilée rouge sang. Un livre d’artiste, en quelque sorte, mais pas en édition limitée. Si bien que ce condensé de toute une vie restera un ouvrage de référence pour très longtemps.
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