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En pleine guerre froide, Sa très Gracieuse Majesté panique : Magnus Pym demeure introuvable. Le redoutable espion britannique serait donc un traître, un agent double ou un insensé ? Profondément marqué par la personnalité de son père, Rick, un escroc de haute volée, Magnus a décidé de se pencher sur son passé et d'affronter son plus terrible adversaire : lui-même.
N’ayant jamais à ce jour lu John Le Carré, je me suis attaqué à "Un pur espion" avec l’appréhension que l’on a devant tout monument à la carrure imposante et au poids historique non négligeable. Je n’ai pas été déçu. Ce roman d’espionnage est à mille lieux des clichés du genre, et c’est une épopée introspective qui nous est offerte par le grand John Le Carré, celle de Magnus Pym, qui, au lendemain de l’enterrement de son père, disparait des radars de La Firme, son employeur, semant de la sorte un vent de panique dans le monde feutré de l’espionnage britannique.
C’est un roman exceptionnel par son ampleur, mais aussi par sa langue et son style. Le verbe et la phrase de Le Carré ne sont pas simples d’appréhension, mais leurs complexités recèlent des trésors d’inventivité, et surtout d’un humour très « british » particulièrement savoureux ! C’est lent, il y a peu d’actions, mais M. Le Carré prend un malin plaisir à nous dévoiler les rouages du monde de l’espionnage, et les tourments psychologiques des acteurs qui la le composent. La relation entre le père Rick et le fils Magnus est d’une complexité et d’un intérêt rares, d’autant plus quand on se dit qu’elle est certainement en grande partie autobiographique (j’ai en effet vu une interview de John Le Carré évoquant son arnaqueur de père, on peut imaginer qu’il a mis une bonne part de sa propre histoire dans les sentiments de Magnus vis-à-vis de son père). Et à cela s’ajoute les relations de Magnus avec les différentes femmes de sa vie, avec son fils, ainsi qu’avec l’agent tchèque pour qui il va jouer tout au long de sa carrière un double jeu trouble et dangereux… Le mensonge, l’absence, la trahison, le deuil, l’abandon, autant de thèmes traités et abordés avec maestria dans ce bal des espions qu’est "Un pur espion".
Bref, une œuvre d’une ambition immense, au style incomparable, que je qualifierai de véritable réussite. A lire de toute urgence, ce roman m’a donné l’envie de poursuivre mon parcours à travers l’univers de John Le Carré, ce que je ne manquerai pas de faire !
Le Carré affirme qu'il a créé le personnage de George Smiley pour remplacer le père, honnête et respectable, qu'il n'avait pas eu. "Je me sentais socialement désorienté, privé de repères parentaux auxquels me raccrocher, et je me suis inventé ce père de substitution", dit-il. "Il représentait pour moi une catégorie de gens en voie de disparition, dotés d'une sorte de décence, de dignité, dont on pensait communément qu'elle était l'apanage du gentleman britannique", dit-il encore avec un sourire indéfinissable (Arte. 9 nov 2008).
Ici, il règle (une partie de) ses comptes avec ce père qu’il décrit sans concessions, comme charmeur, hâbleur, noceur, flambeur, menteur, voleur, tricheur, sans cœur et sans honneur. C’est fait avec la distance et le style admirable qu’on lui connaît. L’ironie est implacable d’autant qu’elle est placée dans la bouche et les pensées de l’enfant d’une dizaine d’années qu’était l’auteur à l’époque.
Il règle également le compte des services secrets, de leurs rivalités intestines, de leurs égos et de leurs chefs de service ineptes, prenant les vessies qu’on leur sert pour des lanternes qu’ils vont ensuite agiter en hauts lieux avec autant de certitudes que de satisfactions. Derrière les paravents des Défenses nationales, ne cache-t-on pas également de nombreux intérêts personnels ?
Que reste-t-il, sinon l’amitié ? Une amitié de jeunesse, celle des années de vaches maigres et de bohême. Si elle a bien survécu à la séparation et à l’usure du temps, est-elle, pour autant, exempte d’arrières pensées ? L’amitié est-elle de taille à résister à la raison d’état ?
Nous sommes ici au cœur de l’œuvre de Le Carré, toute entière centrée sur le mensonge et l’abandon. Le rideau de fumée initial toujours très épais ne se dissipe que sur la fin en posant une nouvelle fois une des questions centrales de son œuvre : tous ces mensonges, ces coups tordus, ces renoncements, ces sacrifices, ces existences en pointillés ou massacrées sont-ils justifiés par un intérêt supérieur ? Si dans certains de ses chefs-d’oeuvre, la réponse est positive, ici elle est clairement négative. Et lorsqu’il apprend que son escroc de père a rendu son dernier soupir, au moment où il déclare « Je suis libre », c’est toute une vie de mensonges qui peut enfin voler en éclat. Il va, en remontant le temps, entraîner son lecteur à la recherche de l’ultime escroquerie, plus forte que toutes celles de son père, l’escroquerie de sa vie entière, lui l’espion de haut vol, méthodique, sérieux et brillant.
« Dans la vie, dit Proust, on finit toujours par faire ce qu’on fait le moins bien. Je ne saurai jamais ce que Pym aurait pu faire de mieux. Il accepta la proposition de la Firme. Il ouvrit son Times et découvrit avec un détachement similaire l’annonce de ses fiançailles avec Belinda. Voilà, je suis casé, songea-t-il. Si la Firme se charge d’une partie de moi-même et Belinda de l’autre, je ne manquerai plus jamais de rien. »
Il ne pouvait pas savoir que, sur la fin, c’est la vérité qui lui manquerait le plus. Peut-être était-il fait pour une vie limpide, droite et digne. Comme un George Smiley ?
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