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En 1971, au Royaume de sa Majesté, tandis que la décolonisation fait rage, le souffle de libération des années soixante est suivi d'une certaine agitation sociale. C'est dans ce contexte que Cassidy entreprend de s'inventer
une généalogie. Mais alors qu'il visite un manoir à Haverdown, en vue d'en « faire » la demeure de ses ancêtres, il y trouve un couple de squatters, artistes et bohêmes, qui se sont eux aussi inventé une enfance :
Shamus, homme-orchestre sans tabous ni principes, écrivain à succès qui se fait passer pour mort, et Helen, l'éternel féminin, qu'il entrevoit nue. Cassidy oublie alors sa réussite professionnelle, son fils à Eton, son épouse pieuse et pudibonde, pour emboîter le pas aux deux énergumènes. De Londres à Paris, en passant par tous les pubs du Somerset, le champagne coule à flots, les dialogues hilarants et imbibés, les insultes aux bonnes moeurs et les prophéties fulgurantes s'enchaînent. Et Shamus en tient la chronique insolente.
Une chronique qui sera d'ailleurs publiée, bien plus tard, sous le titre de « Trois pour la Route », en hommage à Stanley Donen lorsque tout le monde sera rentré tant bien que mal dans le rang.
Un amant naïf et sentimental est un météore singulier dans le parcours de John le Carré qui invente ici une machine à remonter le temps, une parabole sur l'amour et son contraire. Un roman surprenant qui nous laisse la nostalgie d'une insouciance et d'une folie perdues que Shamus, le bouffon et l'escroc, s'emploie à pointer du doigt.
Oh le joli petit bobo ! Ce roman de 1971, est consacré à un bourgeois qui découvre les délices de la vie de bohême, d’autant plus délicieuse quand on a les poches pleines. Le terme n’existait pas encore (il sera utilisé pour la première fois en 1973) mais il n’empêche que, tout comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le héros de cette histoire en était déjà un.
Le Carré abandonne ses espions, sa guerre froide et ses héros désabusés pour nous dépeindre l’archétype du bobo s’encanaillant avec un couple d’artistes. C’est prétexte à dépeindre la cocasserie voire le ridicule de ce mariage apparemment contre-nature mais qui, dans la réalité et dans nos actualités, reste un grand classique.
Autour de Shamus, l’écrivain plus ou moins irlandais et raté, provocateur, fêtard sans limites et capable de dépenser sans compter l’argent des autres, notre bourgeois, capitaine d’industrie fortuné, découvre avec ravissement la fête, l’ivresse et le sexe joyeux. Difficile en lisant les excès en tout genre de Shamus de ne pas évoquer les outrances de Taubelman le personnage d’Un Taxi Mauve (1978) tout comme Helen, la femme de Sheamus fait penser à Anne la fille de Taubelman.
On sourit beaucoup, on rit parfois et on s’amuse toujours, sans doute comme l’auteur qui, au passage sans avoir d’y toucher, nous livre le secret de ce titre un peu étrange emprunté à Schiller, auteur du distinguo entre l’écrivain naïf (naturel et spontané) et l’écrivain sentimental (angoissé et sophistiqué). Nul besoin d’une intrigue riche et tortueuse ! Quand on est un grand écrivain, comme John le Carré, les toutes petites aventures d’un bobo en goguette suffisent à faire un excellent roman.
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