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Nezahualcoyotl est le plus grand nom de la poésie précolombienne, et son oeuvre, peu importante en volume, occupe dans la littérature mondiale une place de premier ordre, aux côtés des Psaumes du roi David ou des Fragments d'Héraclite. Textes de haute sagesse en même temps que de très grande poésie, de telles oeuvres sont inépuisables, par-delà les civilisations qui les ont vu naître. Elles nous livrent à travers les siècles quelque chose d'essentiel sur l'homme et sur la vie.
Une première édition du présent volume a été publiée il y un quart de siècle (1985) aux Éditions Obsidiane avec une préface de J. M. G. Le Clézio : « La poésie du monde, écrivait-il de Nezahualcoyotl, ne nous montre pas poète plus contradictoire, plus mystérieux que celui-ci, pouvant exercer sur nous (qui lisons ses chants à un demi-millénaire de distance) une telle fascination, mêlant au bonheur d'une langue exaltée et vibrante le trouble de l'ambiguïté, l'impression d'un sens incertain, fugitif et parfois éblouissant comme un reflet, comme un songe. » Et il ajoutait : « Cette poésie fastueuse et incantatoire, que les nobles déclament dans la cour du roi, se charge ici pour nous d'une grâce nouvelle : seule voix vivante de ce monde aboli par les Conquistadores espagnols, cette poésie est aussi celle d'un homme simple, qui nous dit avec force les choses les plus émouvantes et les plus vraies de la vie de tous les jours : la fragilité de l'amitié et de l'amour, le temps qui passe, l'insolente beauté de la jeunesse, son ardeur, son triomphe éphémère, et toujours, ce monde voué à la mort et à la destruction, sous le regard du dieu qui l'a créé. » Les Chants de Nezahualcoyod sont habités par trois grandes interrogations : sur Dieu, sur le destin de l'homme et sur la parole. Le dieu inconnu auquel Nezahualcoyotl fait élever un temple n'est probablement aucun des dieux du panthéon mexicain. Nezahualcoyotl est hostile, il faut le noter, aux sacrifices humains. Ce dieu inconnu, le poète l'appelle « Celui de l'immédiat voisinage », « l'invisible et l'impalpable ». Il est pour les vivants un fardeau lourd à porter et les mène à sa demeure, « là où sont les décharnés ». La mort qui rôde et attend son heure nous rend plus chère encore la beauté éphémère : la danse des choses précieuses - ors, émeraudes, plumes -, la grâce des fleurs, des femmes et des oiseaux. Nulle part ailleurs ne s'exprime de manière plus dramatique le chant du cygne d'une civilisation toute jeune qui pressent qu'elle est sur el point de mourir.
Les chants du « Coyote Famélique » disent avec force la beauté unique de l'instant qui déjà n'est plus, « ici et seulement ici, sur la terre ». « Ici », c'est « la maison du dieu » et de l'homme qui l'habite dans la douleur et l'obsession de ce qui va venir et de ce qui va mourir. C'est un refuge précaire, une fête colorée que le chanteur nous invite à goûter de part en part avant de s'en aller « là-bas », au pays des morts.
La maison de l'univers est souvent comparée à un « arbre fleuri », dont chaque homme est une fleur. Arbre intérieur, qui donne naissance au « rayon du chant », origine mythique de la poésie. Le poète, c'est-à-dire l'homme total, l'homme parvenu à son intégralité est lieu et nourriture du divin, comme l'est tout autant le prisonnier que l'on sacrifie.
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