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Étrange destin que celui de Serge Prokofiev, talent précoce qui fit sensation dans la Russie du dernier tsar par ses oeuvres iconoclastes et sa virtuosité pianistique. Curieuse fortune que celle d'un musicien «solaire», salué comme tel par les poètes et les interprètes, mais dont la vie, à l'approche de la trentaine, entra dans une difficulté définitive. Après son départ de Russie au printemps 1918, Prokofiev ne connut plus jamais la facilité de ses débuts. Avec son retour en urss en 1936, il éprouva le tragique stalinien. La musique de Prokofiev est indépendance. Son refus des écoles et des théories se manifesta dès la jeunesse («je déteste l'imitation», dit-il) et se maintint sa vie durant - autant qu'il fut possible, dans les dernières années, sous l'étau du «réalisme socialiste». Il se définit dans un rapport à l'héritage classique, qu'il revisitait sans complexe, avec tour à tour facétie, poésie, tendresse, ou sarcasme. Le fracas percussif, le piment de la dissonance, le martèlement rythmique furent les traits les plus marquants d'une écriture qui en a bien d'autres, à commencer par sa richesse d'invention mélodique. Ce livre fait ainsi cohabiter l'éclat de rire avec la plainte, les déguisements loufoques avec des accents sombres. Les Tragiques et les Comiques dialoguent, la veine lyrique et la veine épique se côtoient, mais le mot de la fin revient à Arlequin : au costume bariolé, à l'humour, au saut de côté, dans un rapport à l'existence, ludique ou théâtral, mais profondément humain.
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