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Dépénaliser le droit des sociétés ? L'idée est de nos jours couramment répandue, quoi qu'elle n'aille pas de soi. Les travaux de nombreux auteurs et de diverses commissions l'ont déjà montré : la tâche est ardue, et, au bout du parcours, il se peut même que l'on considère que certaines règles importantes du droit des sociétés sont dépourvues de sanctions. La fameuse loi américaine dite Sarbanes Oxley Act l'a démontré une fois de plus à sa manière, même si elle touche davantage le droit comptable et le droit financier que le droit des sociétés proprement dit. C'est sans doute dans un courant plus juridique, pour égaliser les situations des personnes physiques et des personnes morales, que la loi du 9 mars 2004 a élargi la responsabilité pénale des personnes morales à l'ensemble des infractions existantes, et singulièrement terni le blason de la dépénalisation.
Il est vrai que seule la menace pénale parvient, de facto, à faire renoncer à certaines tentations, et l'on sait que celles-ci sont attisées par l'immense richesse de nombreuses sociétés. Or n'est-ce pas dans l'esprit des personnes physiques plus que dans l'abstraction des personnes morales qu'il faut rechercher la « responsabilité » pénale ? Et la fonction de garantie ne relève-t-elle pas de la responsabilité civile, plus que de la responsabilité pénale ? À l'heure d'une relativisation extrême de la personnalité morale, la démarche législative n'est-elle pas contradictoire oe
Si l'on veut néanmoins éloigner les sociétés et leurs dirigeants du juge pénal, les difficultés ne manquent pas : quels délits faut-il éliminer, quelles sanctions faut-il bâtir, quelles règles procédurales faut-il établir, quelle surveillance de l'exécution des sanctions faut-il mettre en place oe
Le grand avantage de l'étude de Madame Haschke-Dournaux apparaît dans le diagnostic qu'elle porte et dans les remèdes qui en découlent, autrement dit dans la méthode qu'elle conseille. S'inspirant des travaux d'auteurs comme Mireille Delmas-Marty, elle quadrille le sujet de manière rigoureuse en catégorisant les enjeux des différentes infractions du droit pénal des sociétés. Elle fait apparaître à quel point l'élaboration du droit pénal des sociétés résulte de pulsions législatives sans cohérence d'ensemble, où le très important côtoie le dérisoire, où l'infraction trop fréquente jouxte le délit sans application. Elle suggère habilement les limites effectives de la sanction pénale, qu'elles soient liées à la procédure, aux médias, à la puissance des personnes poursuivies, ou à la technicité parfois excessive des infractions financières.
Ces constats posés, Madame Haschke-Dournaux prend parti sur les valeurs qui selon elle doivent être protégées pénalement. Écartant tout délit non intentionnel, elle souhaite que la répression se concentre sur les comportements qui portent une atteinte grave à l'ordre social. Façon de dire à quel point le droit pénal reste subjectif et dépend de ce qu'attendent les contemporains de cette réprobation officielle que seule fournit la sanction répressive.
Naturellement, l'auteur n'en reste pas là ; sur sa lancée, Madame Haschke-Dournaux cherche à préciser les domaines dans lesquels l'ordre social ne doit pas être perturbé sans réaction pénale. L'intégrité du patrimoine social, les droits des associés, la confiance dans l'action des dirigeants et la fiabilité du contrôle rassemblent à son point de vue les besoins de la répression.
On peut sans doute objecter que ces thèmes sont susceptibles d'approches diverses. N'est-ce pas à partir d'objectifs proches que s'est construit le droit communautaire des sociétés ? Quelles règles du droit des sociétés restent totalement étrangères à la protection des associés ? Ce droit ne vise-t-il pas aussi à protéger les tiers ? Ces impératifs sont-ils toujours bien conciliés ? L'auteur apporte à cet égard de nombreux éclairages en étudiant diverses infractions qui lui permettent de faire vivre les critères énoncés. Et Madame Haschke-Dournaux de montrer sa fine perception des difficultés de l'art législatif en avançant dans la direction de la « déspécialisation » des infractions, et en faisant ressortir les risques entraînés par le changement de la loi pénale.
Enfin, l'auteur ne laisse pas dans l'ombre les alternatives qui peuvent être employées pour compenser l'immuno-déficience du droit des sociétés. Bien que cet aspect ne soit pas l'essentiel de sa thèse, le lecteur peut y retrouver les qualités qui stimulent sa réflexion tout au long de la lecture de l'ouvrage : un style rigoureux et imaginatif, un sens aigu de la formule, une vision originale et déjà mûre de ces problèmes pourtant bien difficiles.
Sans conteste, l'étude de Madame Haschke-Dournaux apporte une pierre à la construction de nouveaux rapports entre le droit des sociétés et le droit pénal. Dans ce domaine, elle s'est attaquée aux principales difficultés de la méthode législative. Les si nombreux à-coups de la production des textes font ressortir tout l'intérêt de cette étude, qui ouvre la voie à bien d'autres recherches plus spécifiques.
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