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Comment résister à des parents qui vous rêvent artiste, alors que vous voulez juste savoir qui vous êtes, au fond de vous-même, comme toute collégienne de ce XXIe siècle ? Et pourquoi ne pas devenir médecin ou avocat, si c'est votre désir ? Une fable pleine d'humour et de fantaisie de Martin Page, où l'auteur met en scène la pression exercée par les parents sur une jeune collégienne. Et comment cette dernière, plus sage que les adultes, souhaite simplement "devenir elle-même".
Par un auteur reconnu, en littérature jeunesse et adulte, publié aux Editions de l'Olivier et à l'Ecole des Loisirs.
Régulièrement, ma maman vient me voir pour me demander de lui conseiller et prêter un nouveau roman, ce que je fais avec grand plaisir : c’est tellement merveilleux de pouvoir ensuite échanger avec elle sur nos ressentis respectifs ! En général, donc, je lui propose des romans que j’ai déjà lu, pour qu’on puisse en parler par la suite. Mais il y a plusieurs mois maintenant, elle m’a demandé « un petit roman » à emmener à l’hôpital quand mon petit frère se faisait opérer. J’ai aussitôt pensé à celui-ci : les éditions du Rouergue sont généralement une valeur sûre, et au vue du résumé, je me disais que ça pourrait lui convenir, même si je n’avais pas encore eu l’occasion de le lire à ce moment-là. Elle est revenue en me disant « bof ». Mince. Autant dire que j’étais nettement moins impatiente à l’idée de le lire, après cela ! Mais comme en ce moment, j’ai envie et besoin de tout petits livres, et que la couverture est tout de même superbe, je me suis lancée. Et je comprends un peu ce que maman voulait dire : c’est un roman sympathique, mais pas exceptionnel. Bof.
Comme beaucoup d’adolescents, Séléna doit régulièrement répondre à la fameuse question qui tue : « que veux-tu faire quand tu seras grande ? ». Le problème, c’est qu’elle n’en a absolument aucune idée. Ce n’est pas comme sa meilleure amie, qui sait depuis toujours qu’elle souhaite devenir astrophysicienne. Avant de réfléchir à ce qu’elle sera, Séléna a besoin de savoir qui elle est maintenant … Mais on ne lui laisse pas le temps de se chercher ! En effet, ses parents ont décidé d’accélérer le mouvement : elle sera artiste, c’est obligée, elle en a toute la sensibilité. Il suffit juste de l’aider un peu : après tout, tout le monde sait que les artistes ont vécu une enfance difficile, c’est de leur faute si elle n’a toujours pas découvert son potentiel et sa passion, ils l’ont trop dorloté ! Alors, du jour au lendemain, ils décident de tout faire pour lui compliquer l’existence : fini le chauffage à la maison, fini le chocolat et autres douceurs, bonjour les cours de piano et les bouteilles d’alcool qui jonchent le sol ! Séléna se demande jusqu’où ira la folie de ses parents ….
La littérature jeunesse évoque – trop – rarement cette grande question existentielle, que tout le monde pose aux adolescents et qu’eux-mêmes se posent régulièrement : que faire de sa vie ? Quel métier exercer ? Certains savent depuis bien longtemps ce qu’ils souhaitent, mais pour la plupart, c’est un grand flou artistique : pas de passion suffisamment puissante pour qu’on veuille y consacrer son existence, pas d’aspirations ni de compétences particulières. Et au fur et à mesure que les interrogations des adultes se font plus insistantes, plus pressantes, c’est la panique : il faut choisir, là, maintenant, tout de suite, immédiatement, et aucune idée ne se présente ! Alors, parfois, ce sont les parents qui « décident » : certains de façon très autoritaire, d’autres de manière plus « subtile » (si tant est que les adultes sachent l’être). « Tu seras avocat mon fils ». C’est cliché, mais c’est malheureusement plus fréquent qu’on ne l’imagine. Et le pauvre gamin, perdu, et qui n’a de toute façon pas trop le choix vu que ce sont les parents qui financent et qu’il n’a absolument rien d’autre à objecter, est bien obligé de suivre le mouvement. Quitte à tout plaquer une fois arrivé à l’âge adulte et ayant enfin trouvé sa vocation. Et tout est à reprendre de zéro.
Pour Séléna, les choses sont à la fois semblables et différentes : ses parents ont effectivement un rêve pour elle, mais ce n’est pas vraiment celui qu’elle imaginait. « Tu seras artiste ma fille ». On le sent dès les premiers chapitres, ce petit roman sera placé sous le signe du décalage, mais aussi de l’absurde et de l’exagération. Déjà, la passionnée de théâtre que je suis imagine une mise en scène : ce livre a le potentiel pour fournir une pièce comique à souhaite, burlesque à souhait. Convaincus que Séléna a besoin d’être « secouée » pour découvrir sa vocation artistique et faire surgir ses talents, ses parents commencent par lui offrir un piano, une boite d’aquarelle, un appareil photo, un tour de poterie, une caméra … et puis, ils s’efforcent de lui rendre la vie impossible, car les artistes ont toujours une enfance difficile. Chaque idée est plus farfelue que la précédente, ils s’enfoncent dans un délire que rien ne semble pouvoir arrêter, tant ils sont convaincus du bien-fondé de leur action. C’est à la fois drôle, ridicule et effrayant. Car même si l’auteur pousse la chose à l’extrême, et même s’il a renversé les codes, la folie de ces parents représente la pression énorme que certains font peser sur les épaules de leurs enfants. Pas forcément en agissant ainsi (heureusement), mais dans leur insistance, dans leur aveuglement aussi.
Alors vous allez me demander, pourquoi ce « bof » exprimé au début ? Effectivement, dit comme ça, l’histoire semble plutôt sympathique bien que délurée … Mais je ne sais pas, ça ne l’a pas vraiment fait. Il m’a manqué un petit quelque chose, et cette histoire est juste loufoque, mais sans plus. Je n’ai pas réussi à m’attacher à Séléna, et je n’ai ressenti aucune émotion. C’était un livre un peu trop « plat » à mon gout : entre le début et la fin, pas de changement majeur, hormis la folie grandissante des parents. Arrivée à la dernière page, je me suis dit « et alors ? » : tout ça pour ça ? L’auteur ne m’a menée nulle part, il n’a mené son héroïne nulle part non plus. Peut-être est-ce la faute à la brièveté du récit, qui ne fait que 73 pages, peut-être que pour bien faire il aurait fallu un ouvrage un peu plus long, pour qu’on ait le temps de connaitre et de s’attacher à la jeune fille, et pour que celle-ci ait le temps d’entamer la réflexion que nous promettent le titre et le résumé. « Plus tard je serai moi », c’est bien beau, c’est d’ailleurs ce qui m’a attiré dans ce livre, mais je ne l’ai pas retrouvé dans l’histoire. Et c’est vraiment ce qui est dommage, c’est qu’on a finalement cette impression d’inabouti, d’inachevé, comme si l’auteur n’était pas allé au fond des choses, comme si tout cela n’était qu’une bribe de récit et pas un roman complet. Je suis restée sur ma faim, voilà le problème.
En bref, vous l’aurez bien compris, c’est une lecture plutôt mitigée : d’un côté, j’ai apprécié l’idée de prendre à contrepieds les clichés habituels des parents qui rêvent d’un avenir brillant pour leurs enfants, et j’ai beaucoup aimé le côté burlesque et ubuesque du récit, mais de l’autre, il m’a manqué quelque chose pour l’apprécier réellement. Ça aurait pu être un livre dans lequel les jeunes se retrouvaient – même si on espère pour eux qu’aucun parent ne sombrera dans la même obsession que ceux-ci pour imposer leur vision de l’avenir –, mais au final, impossible de s’attacher ou de s’identifier à Séléna. La thématique de l’orientation professionnelle est si peu abordée dans la littérature jeunesse que c’est vraiment dommage que ce roman passe à côté, alors même qu’il semblait le faire … Je ne sais donc pas trop si je conseille ou non la lecture de ce très court roman. Je dirai que je le conseillerai volontiers à ceux qui ont envie d’un récit sans prise de tête, où l’excentricité devient grotesque, mais que je le conseillerai pas du tout à ceux qui espèrent une réflexion sur cette recherche de soi-même qui dicte finalement le choix de carrière …
https://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2020/02/plus-tard-je-serai-moi-martin-page.html
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