Si l'on en croit l'Histoire, les philosophes se sont très tôt révélés de grands marcheurs : Socrate dans les rues d'Athènes, Aristote et ses disciples qui se nommaient les péripatéticiens (d'un mot grec qui signifie lieu de promenade) parce qu'ils philosophaient en se promenant. Plus près de nous, Cioran note dans ses Cahiers : " 11 octobre : hier, dimanche, j'ai fait plus de vingt kilomètres en bordure de la forêt de Lyons, spécialement dans l'admirable vallée de la Lovrerie (en partant de Gisors). Aujourd'hui, euphorie et frénésie philosophique. Mon cerveau ne fonctionne que lorsque j'exerce mes muscles. J'écrirai un jour un Traité de la marche. "
Alors, n'est-on pas en droit de supposer une mystérieuse connivence du pas et du mot, du souffle et de l'idée, du muscle et de la pensée ? En fait, la marche éveille et stimule la pensée, mais, bien plus encore, elle est une sagesse.
Le marcheur arpente le monde à la seule force de son corps, laissant là tous les artifices de la société technique (vélo, auto, avion, bateau, train...) et il incarne à ce titre une figure de la simplicité et du dépouillement face au règne du gadget et du superflu. (Tout comme le philosophe pense le monde à la seule force de son âme, laissant là l'appareillage technique qui favorise l'exploration scientifique du monde.)
Le marcheur se souvient qu'il existe une nature et que le monde ne se réduit pas à la civilisation industrielle.
Le marcheur prend son temps et épouse, pour ainsi dire, le pouls du monde quand le coureur se bat contre le temps et fait violence au rythme de la nature. Il développe un véritable art du temps.
Le marcheur n'est pas obnubilé par un point d'arrivée. Ce qui compte à ses yeux, c'est le parcours, la marche elle-même et non le lieu où l'on se rend.
Le marcheur instaure un rapport intime avec la nature et, ce faisant, il fait l'expérience de la beauté du monde.
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