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Sam Millar a dix-sept ans lorsqu'il est enfermé dans la prison de Long Kesh, l’enfer pour le militants de l'IRA, torturés, humiliés, battus quotidiennement. Il fait partie des blanket men, ceux qui refusent de porter l'uniforme de l'établissement et de travailler, ce qui leur vaut la haine et les châtiments évoqués. Ils sont nus dans leurs cellules nues elles aussi. Rien, un simple matelas et une couverture pour se couvrir. Huit années de sévices, de violences subies, d'humiliations physiques et verbales. Puis la sortie, et Sam tente sa chance aux États-Unis. Il y sera croupier illégal, puis tentera un gros coup, le cambriolage du dépôt de la Brinks à Rochester. Un gros coup, plus de 7 millions de dollars. Et un autre séjour en prison...
Quel bouquin ! Quelle vie ! Puisque c'est sa vie que Sam Millar raconte, ses huit années de détention en tant que militant de l'IRA, mais aussi la vie à Belfast dans les années 60/70 et la violence omniprésente, la vexations envers les catholiques qui ne peuvent pas prétendre à des emplois en vue. L'humiliation et le pouvoir exacerbé de l'Angleterre dans les rues, et encore davantage dans les murs de Long Kesh. Les matons sadiques qui inventent mille et un moyen de rabaisser les Irlandais emprisonnés, de nier leur condition humaine, de les traiter encore pire que des animaux. "Les cellules étaient désormais privées de tout mobilier en châtiment de notre comportement non civilisé. La peinture d'un blanc écœurant avait été remplacée par un marron encore plus écœurant, qui, malheureusement, n'était pas de la peinture vu que les matons, avec leurs gants de caoutchouc épais -les mêmes que ceux dont ils se servaient pour nous donner notre bouffe- avaient rejeté nos excréments dans les cellules, nous forçant à les étaler sur les murs." (p.96)
C'est glaçant, certains passages m'ont pétrifié. Lorsque l'on croit que le pire est atteint, les matons inventent une torture encore plus redoutable. Mais comment ces hommes ont pu tenir ? Huit ans pour Sam Millar.
J'ai découvert Sam Millar il y a quelques années et approfondi la connaissance de son œuvre plus récemment, et je retrouve dans ce roman autobiographique pas mal de situations décrites par l'auteur dans ses polars, souvent durs. Ce n'est pas l'histoire d'un surhomme, mais celle d'un homme qui ne veut pas plier devant l'injustice, l'autoritarisme, qui ne veut pas renier ses valeurs. C'est une lecture forte, puissante, dérangeante car elle fait frissonner de peur qui même si depuis des années le conflit nord-irlandais semble apaisé montre qu'il est loin d'être fini. Le Sinn Fein est au pouvoir depuis peu, mais a laissé un peu de côté les revendications d'indépendance ou d'unification de l'Irlande. Affaire à suivre.
On the Brinks n’est pas une biographie!
Sam Millar nous confie deux événements importants de son existence, son séjour dans une prison irlandaise et sa participation dans un très gros casse aux States, mais l’homme garde son intimité et ses mystères.
Parlez de violences carcérales à qui vous voulez, à tous les coups, on vous répondra: « les camps de concentration nazis, les goulags russes. » Les plus avertis parleront des actuelles: Guantanamo à Cuba, de Tadmor en Syrie, du Camp 1931 en Israël et la liste peut être longue, entre Afrique et Moyen-Orient. Mais rarement on vous citera une prison irlandaise… Long Kesh… au hasard… connue aussi sous les noms de The Maze ou The H Blocks…
Et pourtant…
A chaque horreur dont on prend connaissance, on a toujours le même air hébété et horrifié, secouant bêtement la tête et répétant « ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible! » Mais il faut se rendre à l’évidence: le sadisme et le vice est intrinsèque à l’être humain, n’est pas l’apanage d’un pays, d’une ethnie, d’une époque.
Et le traitement infligé à ces prisonniers est épouvantable, inentendable et intolérable… Et pourtant il a bel et bien existé et a été enduré par des hommes courageux, honorables, fidèles à leurs convictions, solides, honnêtes et droit. Il y a eu des faibles, des traîtres et des lâches aussi…
Blanket and No-Wash Protest, grèves de la faim, sévices et tortures… c’est tout un pan de l’histoire de l’Irlande dévoilé par Sam Millar dans ce récit. C’est une partie de sa vie mais également le témoignage d’une réalité trop aisément occultée et ignorée…
Sam Millar ne règle pas de comptes, il ne tient pas un discours partisan, il n’établit pas une thèse historique du mouvement de rébellion irlandais face aux envahisseurs anglais.
Du Bloody sunday en janvier 1972, événement certainement déclencheur de bon nombre d’engagements au sein des républicains nationalistes face aux loyalistes unionistes, à sa participation effective dans des actions de protestation, l’auteur n’en dit pas grand chose.
L’important est l’homme face à lui-même, face à l’autre.
Il est homme face à d’autres hommes, indépendamment du contexte.
Ce que j’ai énormément apprécié c’est la pudeur et la dignité du récit, une certaine distanciation qui rend peut-être un peu le ton clinique et froid pour mieux dénoncer les horreurs carcérales et éviter de tomber dans un pathos larmoyant, stérile et inutile.
Sam Millar fait toujours preuve d’un humour noir et caustique qui nous tire quelques sourires au milieu des grimaces de révulsion face aux actes des matons.
C’est la vérité dans toute sa dureté et son travail de destruction de l’autre. Mais Sam Millar nous montre que si le corps est humilié, détruit, dépossédé de toute dignité, marqué à jamais par des cicatrices, l’âme et l’esprit restent droits, forts, durs peut-être mais toujours bien purs et bien vivants… indomptables…
J’ai énormément aimé cette partie du livre qui pose les bases de ce que Sam Miller est réellement au fond de lui. L’homme est lucide sur L’Église mais n’en perd pas sa foi. L’homme a été avili et meurtri mais n’en a pas perdu son honneur, ses convictions et son envie de vivre.
Passionnée d’Irlande et de son Histoire ancestrale ou moderne, je connais assez bien la période des Troubles et ce témoignage est un éclairage humain édifiant sur le conflit nord-irlandais dans les années 70-80.
Je m’incline bien bas de l’auteur car son expérience qu’il nous confie en toute pudeur m’a fortement impressionnée et bouleversée!
La deuxième partie du livre qui nous raconte le casse de la Brinks aux States est une histoire tout aussi véridique de la vie de l’auteur mais largement plus légère que son séjour à Long Kesh.
Parce qu’autant son emprisonnement en Irlande était contestable, de part son engagement patriotique, autant les événements aux États-Unis relèvent de la criminalité « simple ».
Sam Milla, devenu père de famille, est un émigrant irlandais essayant de se créer sa place au soleil en s’entourant de compatriotes expatriés… plus ou moins légalement, en passant par quelques casinos clandestins.
Il est à l’origine de l’un des braquages les plus importants de l’histoire des States, avec un scénario très apuré, peu de moyens et, à la clef, 7 millions de dollars d’un dépôt de la Brinks à Rochester.
L’aventure est savoureuse, racontée avec le détachement particulier de celui qui assume totalement son parcours, et toujours cet humour tranquille qui nous provoque, pour ce coup, de francs et larges sourires! … Notamment sur les détails peu discrets de la traque par le FBI au vu et au su de presque tous…
Par contre… je suis curieuse de savoir où se trouve la part du braquage qui se balade toujours aujourd’hui dans la nature… mais chut, l’auteur n’en dit rien…
J’ai adoré la plume de Sam Millar: le langage cru et familier de la rue quand c’est nécessaire, mais également un lyrisme empreint d’une sagesse et d’une profondeur de pensées quasi-poétique.
On the Brinks est l’ébauche du portrait d’un homme d’actions et de résistances, un homme d’esprit et de cœur mais surtout… un homme d’honneur…
Même après la dernière ligne, une aura de mystère plane toujours…
Mes prochains avis sur Sam Millar seront sur le plan de la fiction… Et vu ce qu’il a déjà vécu dans sa vie tumultueuse, préparez-vous à rester scotchés au fond de votre fauteuil!
Entre révélation littéraire et témoignage rare, le stupéfiant récit autobiographique de l'Irlandais Sam Millar est une bombe !
Décidément, 2013 aura incontestablement rimé avec année irlandaise...
Entre le retour miraculeux du grand Adrian McKinty - avec une nouvelle trilogie débutée par le superbe Une terre si froide -, la réédition poche simultanée avec la sortie d'On the Brinks de Poussière tu seras, premier polar de Sam Millar à être édité et traduit en France - par Patrick Raynal, ancien patron de la Série noire et grande figure du polar français -, mais aussi la sortie poche du premier roman machiavélique de Seamus Smyth, Trois accidents et un suicide, une autre grande découverte de Raynal, avec aussi le nouveau roman de Tana French (La Maison des absents), La colère des anges, d'un autre de mes auteurs préférés, John Connolly, et sans oublier non plus la découverte de la jeune et talentueuse Jane Casey (avec Ceux qui restent et, dès septembre, Par le feu), ainsi que, dans un genre totalement différent, le splendide et inoubliable Skippy dans les étoiles de Paul Murray, le moins que l'on puisse dire c'est que les amateurs, comme moi, de littérature noire - et autres - venue d'Irlande peuvent être comblés !
Toutefois, s'il ne fallait en retenir qu'un seul, ce serait On the Brinks. Ce stupéfiant récit autobiographique qui fait office de "Mémoires" de l'Irladais Sam Millar est à découvrir absolument. Plus qu'un simple divertissement - ce qu'il est, un véritable thriller autobiographique ! - c'est aussi un témoignage rare d'une période pourtant essentielle que très peu ont vécu puis raconté.
Après un prologue éblouissant et digne d'une scène hollywoodienne, son récit est découpé en deux grandes parties, elle-mêmes rythmées de chapitres courts qui, introduits ou illustrés chacun par une ou deux exergues d'un à-propos emblématique de la puissance et de la clarté de l'homme et de son écriture, témoignent tous de scènes mémorables.
La première partie est consacrée à sa vie à Belfast, dans une Irlande du Nord catholique soumise, assiégée et occupée par un empire britannique et protestant d'une cruauté implacable, bien décidé à pulvériser cet îlot de résistance, cette grande nation irlandaise qui reste chevillée au coeur de ses habitants du Nord. Le tout jeune Sam Millar, qui souffre de l'absence de son père mais aussi de la dérive psychologique de sa mère, pour qui la vie quotidienne et misérable de l'époque est devenue insupportable, en garde des visions orwelliennes lorsqu'il réalise à quel point lui et ses semblables, en plus de vivre dans une pauvreté extrême, sont considérés comme de minuscules fourmis à écraser par l'ennemi. Quelques années plus tard, tout content d'être amené par son frère dans sa voiture à la manifestation pacifique pour les droits civiques, il voit alors de ses propres yeux le sang innocent couler à flot. Le sien ne fait qu'un tour et il s'engagera alors dans le militantisme nationaliste.
« Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était Derry, mais ça sonnait de façon magique.(...)Nous étions le 30 janvier 1972 et personne n'imaginait le terrible cauchemar qui nous attendait. C'est devenu le moment phare de ma vie, un baptême du feu dans le monde réel d'un nationaliste en Irlande du Nord. »
« Mon père pleurait presque quand nous sommes rentrés et qu'il nous annonça la terrible nouvelle : "Les Anglais ont assassiné 13 personnes innocentes. J'ai cru que vous étiez parmi eux." Mon frère ne disait rien. Son silence parlait pour lui : pas question qu'ils s'en sortent comme ça. Le monde ferait triompher la justice. Nous étions vraiment d'une naïveté risible à l'époque. »
D'ailleurs, en enchainant par la suite quelques petits boulots, dont un dans un abattoir alors qu'il aime tant les animaux et qu'il quittera au bout de quelques jours, Millar, avec son écriture rageuse, sèche et tranchante aigusera une description apocalyptique du quotidien dans un abattoir et en fera une métaphore parfaite du Système qui broie alors les catholiques d'Irlande du Nord.
Mais grâce à son récit parfaitement construit et à son art de manier l'ellipse, si l'on n'a pas les détails de son engagement à l'IRA, c'est suite à un procès inique et là encore perdu d'avance que Millar plonge alors directement, mais en croyant encore naïvement être libéré au bout de quelques mois seulement, dans l'enfer sur terre qu'il a vécu durant les huit années d'enfermement, de survie, de tortures physiques et psychologiques quotidiennes à la prison de haute sécurité de Long Kesh. Il fera partie des Blanket Men, ceux qui refusent d'endosser l'uniforme du prisonnier et sont donc obligés de (sur)vivre nus, couverts d'une seule couverture miteuse et puante.
Seule son incroyable force morale le sauvera de la mort à tant de reprises, lui et quelques uns de ses compagnons de lutte et de cellules qui ne lâcheront rien et continueront à ne pas se soumettre au Système.
Après cette première partie dramatique et poignante, justement parce que dépourvu du moindre pathos, et qui permettra en plus à n'importe quel lecteur d'apprendre ce qui a pu se passer il n'y pas si longtemps en Irlande et pourquoi - sans non plus tomber dans les descriptions historiques ou politiques difficiles à saisir et qui plombent parfois d'autres romans consacrés à cette période irlandaise - la seconde est, elle, beaucoup plus légère.
L'humour à froid dont Sam Millar ne se départit jamais et qui fait partie intégrante de sa plume fonctionne ici à merveille. L'Irlandais se révèle même être un dialoguiste particulièrement talentueux, parvenant à brosser les portraits irrésistibles de personnages secondaires qui font mouche et fonctionnent avec une rare efficacité.
Je ne suis pas prêt d'oublier le père de son patron quand il a été croupier dans un casino clandestin, par exemple !
En réalité, tout au long de cette seconde partie d'On the Brinks, le lecteur tourne les pages compulsivement, estomaqué par un récit plein de surprises, parfois traversé de passages poétiques ou d'un brin de nostalgie quand on constate à quel point Sam a toujours aimé les comic books. Et cette irrésistible fraîcheur, cette légèreté dont fait preuve à tout moment Millar après avoir vécu le pire à Long Kesh, les nombreuses trahisons et désillusions de l"époque, ce mélange unique entre un homme revenu de tout et qui, malgré tout, a su garder une petite part de naïveté et conserver encore aujourd'hui un peu de son âme d'enfant, tout cela illumine définitivement tout le reste d'On the Brinks. La preuve : il garde même des révélations jusqu'à l'avant-dernier paragraphe de son épilogue, quel sale gosse ce Sam Millar !
On the Brinks est LA pépite de l'année. Ou, plus exactement, ce livre est grand, tout simplement, parce que son auteur n'est pas qu'un sacrément bon écrivain. Sam Millar est un grand homme, un homme profondément bon. La lecture d'On the Brinks a confirmé de manière éblouissante ce que j'avais pressenti lorsque j'ai eu la chance de le rencontrer en mars dernier à Lyon, à l'occasion des Quais du Polar 2013.
À l'image des héros qui le fascinaient tant, gamin, dans les comics qu'il dévorait chaque fois qu'il pouvait s'en procurer un, Millar est pour l'Irlande du Nord, c'est-à-dire pour toute la grande nation irlandaise, l'un de ses héros, sans qui elle n'existerait vraisemblablement plus aujourd'hui.
Si vous n'avez qu'un livre à lire cette année, lisez sans hésiter On the Brinks. Vous ne serez pas déçus !
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