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«Je me rappelle qu'il a embrassé la main de ma mère. Il a simplement ouvert la porte de la cachette. Et il est parti. Mais on n'était pas inquiets ! Pas particulièrement. Ma mère est même allée faire des démarches, essayer de lui trouver un certificat de baptême, écrire au consulat roumain, à Vichy. On pensait qu'il allait revenir, tout simplement, que ça serait une épreuve difficile, mais qu'il s'en sortirait.» C'est la dernière image de son père que Serge Klarsfeld évoque avec émotion dans un témoignage inédit, enregistré en 2006 à l'initiative de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et de l'INA. Historien et avocat, président de l'association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, Serge Klarsfeld, né en 1935 en Roumanie, a échappé aux forces de l'ordre allemandes avec sa mère et sa soeur, alors que toute la famille était réfugiée à Nice. Son père Arno, arrêté par la Gestapo, n'est pas revenu d'Auschwitz.
On pensait qu’il allait revenir, est un récit issu d’un entretien mené par Jean-Baptiste Péretié, dans le cadre de la collection « Mémoires de la Shoah », initiée par l’Institut national de l’audiovisuel et la fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Serge Klarsfeld, né le 17 septembre 1935 à Bucarest en Roumanie, ce grand avocat connu du monde entier, ce traqueur infatigable d’anciens nazis et responsables de la Shoah, cet homme qui a lutté sans faiblir jusqu’à la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’arrestation et la déportation de nombreux Juifs sous l’Occupation, en résumé ce militant de la mémoire de la Shoah, a fait ce témoignage en qualité de fils de déporté.
C’est un récit plutôt intime qu’il nous livre, pour continuer comme il l’écrit en préface « à faire vivre la mémoire de ceux qui, à l’image de mon père, sont morts en déportation ; c’est aussi faire vivre la mémoire de ceux qui ont survécu, à l’image de ma mère, ma sœur et moi-même, comme de ceux grâce à qui ils ont survécu. »
Ses parents, Arno et Raïssa, sont nés à peu près à cent kilomètres de distance, lui en Roumanie et elle en Bessarabie, alors dans l’Empire russe. Ils sont issus de milieux bourgeois plutôt aisés.
Raïssa est arrivée à Paris en 1920 pour faire ses études à la Sorbonne et Arno est venu en France en 1924. Ils se rencontrent dans un dancing, rue de la Huchette, c’est le coup de foudre. Ils se marient en février 1929 et mènent une vie insouciante à Paris. Ils auront deux enfants Georgette Mireille née à Paris en 1931 et Serge né à Bucarest en 1935.
Au fil des pages, le récit, tout en dévoilant les souvenirs de ce petit garçon qu’était Serge lors de la déclaration de guerre, nous conduit pas à pas aux sources de son engagement.
J’ai apprécié la sincérité de ce témoignage assez poignant qui permet de comprendre l’évolution de la pensée de ce jeune garçon dont l’enfance a été percutée par la Shoah, cet enfant qui n’avait pas la moindre conscience d’être juif.
Il raconte avec justesse, entre autre, l’incrédulité de son père devant l’arrivée des Allemands à Nice le 8 septembre 1943 et c’est seulement en voyant comment étaient organisées les rafles qu’il décidera de prendre des mesures, et de fabriquer une cache derrière l’armoire , le scénario étant arrêté et le déroulement répété au cas où la Gestapo viendrait.
La rafle de nuit dans leur immeuble s’est déroulée le 30 septembre, le père de Serge est arrêté tandis que sa mère, sa sœur et lui-même ont eu le temps de se cacher… Une plaque a été posée sur cette maison où ils ont habité, le 8 mai 1975.
C’est avec beaucoup d’émotion qu’il relate ce moment de l’arrestation, cette nuit restant pour toujours gravée dans sa mémoire. D’autant que son père, arrivé à Drancy le 3 ou 4 octobre est parti le 28 octobre par le convoi 61 vers Auschwitz…
Il redit la chance qu’il a eu de s’en sortir et cela restera en arrière-plan toute sa vie.
C’est extrêmement poignant de lire la réaction de Serge lorsqu’il a appris par sa mère, sans preuve absolue, que son père était mort : « Je ne crois pas que j’ai pleuré à ce moment-là, mais j’ai arrêté de croire en Dieu. »
Après ces longues pages sur la guerre, la vie difficile après l’annonce, la rencontre avec Beate Künzel en mai 1960 avec qui il se mariera en 1963 va changer la vie de Serge. De leur union naîtront Arno et Lida.
Je ne peux qu’être admirative du parcours de Serge Klarfeld, qui malgré ce qu’il a vécu a su dès ses études abandonner ses préjugés sur l’Allemagne, et a compris, notamment grâce à un petit livre La Rose blanche d’Inge Scholl, que tous les Allemands n’étaient pas nazis et qu’il fallait juger les gens d’après ce qu’ils étaient : « Je jugerai les gens sur ce qu’ils sont et pas sur leur étiquette ou leur couleur de peau ».
Témoigner, aujourd’hui, c’est une façon de perpétuer son père et d’évoquer aussi l’Association des Fils et Filles de déportés créée en 1979, présidée par Serge et Beate Klarsfeld et conçue pour faire valoir les droits des descendants des déportés juifs de France pendant la Seconde guerre mondiale.
Pour clore ce bouquin, petit par le nombre de pages mais dense et riche en enseignements sur l’itinéraire de cet homme et sur le choix de ses combats, son désir de justice, de mémoire et de réparation, une trentaine de pages comportant des photos commentées, mais aussi des documents d’époque, des listes, des lettres apportent un plus très intéressant.
Je remercie vivement Babelio et Flammarion/INA pour cette lecture très instructive.
À ce jour cependant, une chose me demeure incompréhensible : comment cet ancien chasseur de criminels nazis, qui a joué un rôle considérable dans l’édification de la mémoire de la Shoah en France et la condamnation des hommes de Pétain, peut-il se dire prêt à voter RN ?
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/06/serge-klarsfeld-on-pensait-qu-il-allait-revenir.html
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