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Au coeur du mystère du mal qui traverse notre monde, comment envisager la beauté ? Et, allant plus loin, comment la dévisager en vérité, sans fuite ni artifice ?
À travers une méditation aux confins de l'Occident et de la grande tradition chinoise, François Cheng invite à cette authentique contemplation. Car par-delà la création artistique, la sainteté révèle la beauté de l'âme et se découvre l'autre mystère, celui du Beau qui justifie notre existence terrestre. Alors, nous ne pouvons entrer que pas à pas dans ce qui nous dépasse et nous transfigure. L'oeil ouvert et le coeur battant.
"François Cheng : un cœur qui écoute, une voix qui peint, une main qui caresse, un visage qui contemple et même, à travers les larmes, sourit." On pourrait ajouter à ce délicat portrait esquissé par Antoine Guggenheim dans la préface de l'ouvrage : Francois Cheng, amoureux et écrivain du beau. "Qu'il suffise d'évoquer trois lectures décisives : Le Dit de Tian-yi ; Le Dialogue ; Cinq Méditations sur la Beauté. Bien sûr, ces trois œuvres n'enserrent pas (sa) création mais elles en invoquent l'esprit, le souffle et la matière."
"Comment envisager et dévisager la beauté ?", tel est le fil directeur ambitieux et poétique de cette méditation qui s'ouvre sur ce mystère absolu qu'est notre présence au monde – "à première vue, l'univers n'est peuplé que d'un ensemble de figures ; en réalité, il est peuplé d'un ensemble de présences" – et sur ces deux phénomènes extrêmes, ces "mystères dans le mystère" que sont le mal et la beauté. Le mal est un mystère "qui nous hante et nous stupéfie", capable qu'il est "d'anéantir l'ordre de la Vie même", un mystère qui par essence nous est incompréhensible mais dont nous faisons douloureusement l'expérience tout au long de notre vie, qu'il s'agisse de calamités naturelles ou d'exactions humaines.
"La beauté, nous savons aussi ce qu'elle est", nous la côtoyons au quotidien, dans chacune des merveilles de la nature, du monde qui nous entoure. Et pourtant, elle reste une énigme, car elle ne semble ni obligatoire, ni évidente : "l'univers n'est pas obligé d'être beau", et pourtant, il l'est. La beauté ne serait-elle donc qu'un "ornement, un surplus, un superflu ?" Non. "Force est de constater qu'elle est essentielle dans la mesure où elle participe du fondement de notre existence et de notre destin."
Face à cela, le défi de l'homme est immense : comment, au cours et au creux de nos existences, laisser réfléchir et envisager la beauté ? Comment lui donner un visage pas seulement dans par la création artistique – "dont le propos n'est pas (tant) de figurer (que) de transfigurer" – mais aussi dans toute la vie même, dans nos actes, dans la recherche de la bonté, de la sainteté, de la vertu ?
Qu'on ne se méprenne pas, il n'y a absolument aucun mysticisme, aucun dogmatisme, aucun prosélytisme dans le propos de François Cheng. Il ne s'agit pas là d'une question de religion ou de foi mais seulement d'une réflexion et d'une attitude accessible à tous, d'une spiritualité oecuménique, d'un être-au-monde universel.
Dans cette tension vers le beau, François Cheng nous invite à marcher "l'œil ouvert et le cœur battant", et plus précisément à "nous mettre dans une posture d'accueil (…), ménager constamment en nous un espace vide fait d'attente attentive, une ouverture faite d'empathie où nous serons en état de ne plus négliger, de ne plus gaspiller, mais de repérer ce qui advient d'inattendu et d'inespéré."
Mais ne sommes-nous qu'accueil de la beauté ? Sommes-nous condamnés à envisager et dévisager la beauté de l'extérieur, face à elle, enfermés dans notre subjectivité ? L'écrivain franco-chinois nous ouvre une autre perspective, en faisant "un détour par la peinture chinoise". Contrairement à la peinture occidentale où les personnages sont au premier plan et le paysage n'est qu'un décor en arrière-plan, la peinture chinoise, elle, nous fait voir d'immenses paysages avec, semblant complètement perdu dans ce grand tout, un petit personnage. Il faut s'abandonner, se laisser aspirer par le souffle du paysage pour parvenir à s'identifier au tout petit personnage qui, en réalité, est "le point névralgique (du paysage), il est l'œil éveillé et le cœur battant d'un grand corps." Il est "le pivot autour duquel se déploie le paysage, de sorte que celui-ci peu à peu devient son paysage intérieur." En entrant dans ce qui est plus grand que nous-mêmes, en admettant que "notre destin fait partie d'un destin plus grand que nous", loin d'en être diminués, cela nous grandit : "notre existence n'est plus cette aventure absurde et futile entre deux poussières ; elle jouit d'une perspective ouverte. Dans notre optique, notre regard qui perçoit la beauté et notre cœur qui s'émeut de la beauté donne un sens à ce que l'univers offre comme beauté et, du même coup, l'univers prend sens et nous prenons sens avec lui."
Personne d'autre que Cheng n'aurait pu proposer une méditation aussi éblouissante sur la beauté, aux confins de l'Occident et de la grande tradition chinoise. À partir d'une conférence absolument exceptionnelle donnée dans la cadre du Collège des Bernardins, il nous offre cinquante pages d'une réflexion puissante, à l'écriture lumineuse, subtile et inspirée et nous invite à nous placer dans la posture du petit personnage des peintures chinoises. Ainsi, "on peut admettre que l'homme a été fait, justement, pour être le cœur battant et l'œil éveillé de l'univers vivant" et que "si nous pouvons penser l'univers, c'est que l'univers pense en nous."
C'est à la fois vertigineux et splendide. Sous la plume de François Cheng, le souffle de l'infini devient signe et sens, résonance dans nos esprits et nos âmes, ouverture à ce qui nous dépasse et nous transfigure. La beauté n'est plus un concept : elle est une rencontre.
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