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À Vancouver, en 1991, une fillette de 10 ans, Marie, et sa mère accueillent chez elles Ai-Ming, une jeune femme fuyant la Chine après la répression des manifestations de la place Tian'anmen. En discutant avec elle, Marie se rend compte des liens qui unissent sa famille, qui a émigré de Chine au Canada à la fin des années soixante-dix, à la sienne. Elle découvre surtout un père qu'elle n'a presque pas connu, sa jeunesse au moment de la Révolution Culturelle, son amour de la musique, sa soif de liberté... Cinquième roman de Madeleine Thien, née en 1974, grande saga familiale et roman total, Nous qui n'étions rien a valu une reconnaissance internationale à son auteure. Il est en cours de traduction dans le monde entier.
Alors que la Chine fête cette semaine le centenaire du Parti Communiste Chinois en occultant de son histoire certains évènements, m'est revenu en mémoire cet excellent roman, lu en 2019 et dont je partage avec vous ma chronique d'il y a deux ans :
Il est des romans si denses, si profonds, soulevant des questions existentielles qu'ils ne peuvent être lus rapidement ou alors on a l'impression de passer à côté de quelque chose.
« Nous qui n'étions rien » fait partie, pour moi, de ces romans.
La jeune Marie, adolescente d'origine chinoise, est née et vit à Vancouver. Sa mère accueille en leur domicile, Ai-Ming, étudiante à Pékin devant fuir la répression consécutive à la rébellion de la place Tian'anmen.
Apparemment la jeune fille serait la fille du meilleur ami du père de Marie, récemment disparu à Hong-Kong. Marie ne connaît rien de la Chine qu'elle va découvrir à travers l'histoire qu'Ai-Ming va lui raconter : celle de la famille de son père.
Pinson, c'est ainsi qu'on l'a surnommé dès l'enfance, naît après la Révolution Culturelle dans une famille où la musique a toujours tenu une très grande place. le statut de son père, héros de la révolution, lui permettra d'étudier et d'enseigner au Conservatoire.
Mais, la contre-révolution dans les années 1960 et son lot de violence viendra chambouler sa vie : il deviendra ouvrier dans une usine de fabrication de transistors. C'est ce qu'on appelle alors la rééducation par le travail. Pendant des années, Pinson ne pourra plus écouter ses compositeurs favoris (Chostakovitch, Bach et Beethoven), ni même composer.
Le désir de liberté, initié par les étudiants, qui se met à souffler sur la Chine à la fin des années 1980 laisse espérer un renouveau. Les espoirs seront bien vite brisés.
Il y a deux choses qui ont retenu mon attention dans ce roman :
la dictature faite au nom du Peuple qui a conduit à la famine, à la misère du plus grand nombre, à l'éradication des intellectuels et des artistes, à la terreur engendrant elle-même des dénonciations et des exactions, au rejet de l'individualité et à l'impossibilité de toute vie privée : « La vie était comme ça à l'époque, a-t-elle fini par dire. Les gens se perdaient du vue. On pouvait vous envoyer à cinq mille kilomètres de chez vous sans espoir de retour. Tout le monde connaissait tellement de gens dans cette situation, des gens qu'on avait envoyés ailleurs (…) Les gens n'avaient tout simplement pas le droit de vivre où ils voulaient, d'aimer qui ils voulaient, d'exercer le métier qu'ils voulaient. le Parti décidait de tout. (…) Tant de gens avaient été envoyés dans des camps de travail comme Ba Luth, arrêtés comme Vrille et Wen, réassignés dans des provinces lointaines comme Ling et Mère Couteau ; ces gens avaient été privés d'une liberté fondamentale : le droit d'élever leurs propres enfants. »
D'où mon questionnement, le Peuple a-t-il toujours raison ? Les actes commis en son nom ne sont-ils parfois pas plus terribles que ceux d'un pouvoir soucieux du respect des institutions ? Je trouve que cela résonne particulièrement avec ce que nous vivons actuellement en France (ceci n'est que mon opinion personnelle).
le pouvoir de la musique classique. J'ignorais que les musiciens cités plus haut avaient été largement étudiés, joués en Chine avant l'arrivée de Mao au pouvoir. La musique tient une si large place dans ce roman que je suis allée emprunter à ma médiathèque préféré les oeuvres citées.
» Nous qui n'étions rien » est un roman à découvrir car il permet de découvrir l'Histoire de la Chine à travers celle de Pinson, Mère Couteau, Vrille, Da-Wei et Quatre Mai, sans oublier Zhuli la jeune violoniste passionnée.
Avec Nous qui n'étions rien, Madeleine Thien plonge son lecteur dans cette Chine populaire qui nous a inquiétés, choqués, scandalisés, fait rêver parfois, affolés aussi au cours du XXe siècle, tout cela sur un fond musical d'une richesse et d'une érudition extrêmes.
Le livre, comme l'auteure, base son point de départ au Canada, à Vancouver, où des familles chinoises ont trouvé refuge, fuyant un régime niant toute initiative individuelle et qui embrigadait son peuple. Jiang Kai, le père de Marie Jiang ou Jian Li-ling, la narratrice, était un pianiste célèbre mais on apprend qu'il s'est suicidé à Hong-Kong, en 1989. Déjà, sont évoquées les manifestations tristement célèbres de la place Tian'anmen, à Pékin, la même année.
Marie Jiang part ainsi à la recherche des membres de sa famille, compare les caractères, signale qu'on ne parle pas tout à fait la même langue d'un lieu à un autre de cet immense pays et remarque : « Sur la table, les papiers de mon père ressemblaient à de l'écume surgissant à la crête d'une vague prête à exploser sur le tapis. »
C'est l'arrivée d'Ai-ming, le 16 décembre 1990, une Chinoise qui a fui son pays par le Kirghizistan, sans passeport, qui va précipiter les choses mais la quête sera très longue et passera pas des allers-retours pénibles entre le présent et un passé d'une densité folle et compliquée entre de nombreux personnages. Certains ont gardé leur nom chinois mais pour d'autres on a francisé et c'est ainsi que l'on fait connaissance avec Pinson, Grand-mère Couteau, Vrille sa soeur, Wen le rêveur son mari, Ours volant… la liste serait trop longue. D'ailleurs, il a été nécessaire de mettre un petit arbre généalogique au début du livre et je m'y suis reporté de temps à autre.
Ce roman est une gigantesque fresque durant laquelle, je l'ai dit, la musique revient sans cesse. Si Jiang Kai était pianiste, Pinson était compositeur, Zhuli une formidable violoniste et le conservatoire de Shanghai où ils habitent, est le centre de nombreux événements jusqu'à ce que la Révolution culturelle de sinistre mémoire ravage tout.
J'ai trouvé lassant cette analyse constante de la musique ou alors, j'aurais bien aimé pouvoir entendre en même temps les oeuvres signées Bach, Prokofiev, Beethoven, etc… même comme c'est si bien écrit : « La musique accompagnait les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
Dans ce beau livre des éditions Phébus découvert grâce à Babelio, le Livre des traces sert de trame romanesque. Il suffit de remplacer les noms imaginaires par leurs noms réels pour connaître l'histoire de la famille.
Enfin, c'est lorsque débutent les manifestations des étudiants rejoints par les ouvriers dans Pékin et sur la place Tian'anmen comme dans d'autres villes du pays, que le roman prend toute son envergure. Ai-ming, la fille de Pinson, raconte. Elle est au coeur de ce qui se passe avec Yiwen, son amie, et c'est passionnant, bouleversant et tellement important pour ne pas oublier ce qu'ont vécu tous ces gens qui ont démontré un courage extraordinaire
Chronique à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Puissant et très émouvant ! Musique et persécutions rythment la vie d’une famille chinoise, de la guerre sino-japonaise à la répression de Tian’anmen. Ils aiment et jouent (très bien) Bach, Beethoven, Prokofiev et Ah Bing (que je viens de découvrir avec beaucoup de plaisir grâce à ce roman). Une famille de musiciens que nous suivons sur trois générations. Trois générations sacrifiées sur l’autel d’une idéologie qui voulait créer un Homme Nouveau et qui n’aura réussi qu’à en massacrer cruellement plusieurs dizaines de millions.
Le titre anglais (ne pas dire que nous n’avons rien) en dit plus que sa version française. Les personnages sont dans l’impossibilité de se plaindre des misères et de l’injustice qui leur sont faites. Non seulement, ils doivent souffrir en silence, sans pouvoir clamer leur innocence, mais on les force à avouer des fautes qu’ils n’ont jamais commises. Ceux qui refusent sont exécutés ou poussés au suicide. Au fil des pages, à travers le destin tragique de ces modestes et attachants personnages, qui ne souhaitaient qu’aimer leur famille et travailler le don dont ils avaient hérité, mais qui seront tous brisés par cette effroyable mécanique, l’auteure règle le compte du Maoïsme, effroyable usine à malheur et à cruauté, tapie derrière des grands mots poétiques dont la Chine a le secret : Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution Culturelle. C’est fort !
Commençons par la musique, à la fin des années 40 : « C’était une époque de chaos, de bombes et d’inondations, où les chansons d’amour coulaient des radios et sourdaient dans les rues. La musique accompagnait les mariages, les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l’ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
« A l’époque, un village pouvait changer de mains toutes les deux ou trois semaines, un jour dans celles des communistes, l’autre dans celles des nationalistes, et le lendemain, des Japonais… Mais dans les salons de thé, tout le monde pouvait partager quelques chansons. Les gens savaient que la famille et les liens du sang étaient réels, racontait Mère Couteau. Ils savaient que la vie ordinaire avait déjà existé. Mais personne ne pouvait leur dire pourquoi, du jour au lendemain et sans raison valable, tout ce qui leur était cher avait été réduit en poussière. »
Vous avez raté l’évolution politique de la Chine sur les soixante-dix dernières années ? Ce roman vous remettra à jour d’une façon que vous n’oublierez pas.
Ils n’ont que la solidarité familiale et la musique pour affronter les cataclysmes qui vont s’abattre sur eux pendant soixante-dix ans. Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution culturelle. Jusqu’à l’espoir noyé dans le sang de la place Tian’anmen (Paix Céleste !). En guise de fleurs ou de bonds en avant, il n’y a que dénonciations, spoliations, séances d’autocritiques, seuls face à la foule haineuse et violente, défilés en ville pour subir insultes, crachats, coups pendant de longues heures, déportations, camps de travail et de « rééducation », exil à l’autre bout du pays sans espoir de revoir ses proches, famines effroyables, obligation de dénoncer les propres membres de sa famille.
« (Zhuli) allait apercevoir les pancartes qui séchaient sur la table de la cuisine. Da Shan et Ours Volant avaient été forcés de critiquer Zhuli, Vrille et Wen le Rêveur. Ces dénonciations seraient affichées au matin. Traitez-la de fille de sale droitiste, leur avait ordonné Ba Luth. Il le faut. Allez écrivez. Ne me regardez pas comme ça. Ce n’est rien, seulement des mots. Da Shan, si tu ne dénonce pas Zhuli, ce sera encore pire pour elle. Ils reviendront en disant qu’elle est un démon, qu’elle s’est infiltrée dans nos vies. Laissons-les nous humilier, si c’est ce qu’ils veulent. Mieux vaut être humble, tu ne crois pas ? Tu ne voudrais pas que ton pauvre père, que tes frères perdent la vie ? L’adolescent trempa son pinceau en tremblant. Avec soin, il traça le nom de Zhuli.»
La fin du roman est d’une telle intensité, les personnages tellement émouvants qu’on finit par tourner les pages à la vitesse d’un bon polar. Que peut-on accepter de faire pour continuer à vivre lorsqu’on est déjà un survivant ? Jusqu’où peut-on s’oublier et tendre la main à celui qui est en danger?
A lire absolument, si possible en écoutant de la musique traditionnelle chinoise qui, avec erhu, dizi et pipa, accompagne tellement bien ce voyage aussi éprouvant que poétique.
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