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Montaigne a été beaucoup lu ; il a été plus encore commenté, et bien plus encore cité de façon morcelée. Le travail qui est présenté dans cet ouvrage n'a pas pour vocation d'ajouter quoi que ce soit d'important à ce légitime fourmillement de commentaires.
Il se propose modestement d'examiner un point précis de l'oeoeuvre montanienne - ses propos sur les Indiens et sur les "Cannibales" du Brésil - et d'enquêter sur les "raisons" qui ont incité Montaigne à écrire ce qu'il a écrit à leur sujet. Le verbe "enquêter" est ici important : il suppose que la liberté des commentaires soit momentanément supplantée par l'effort de rigueur dans l'établissement des données. Cet effort porte sur plusieurs motifs de recherche : les sources et leur fiabilité des témoignages, la situation de Montaigne, son processus d'écriture etc.
Le travail que cet ouvrage possède ne s'intéresse donc pas pour l'essentiel au sens du texte montanien, mais plutôt à l'histoire singulière de la production de ce sens, de ce sens et pas d'un autre, donc.
Une "rumeur savante" perdure d'ailleurs autour de la validité de l'idée, chère à Lévi-Strauss, d'un "Montaigne précurseur des anthropologues" et fin connaisseur de la réalité sociale des Indiens Tupinambas dont il parle dans les Essais.
Pour examiner cette idée, alors que d'ordinaire nous nous intéressons au Brésil de Montaigne, c'est-à-dire au sens de ses propos sur le Nouveau Monde et sur ses "Cannibales", c'est plutôt sur les traces du "Montaigne du Brésil" que cette enquête lance son investigation, sur la piste de ce que ses propos révèlent de sa façon d'écrire et de penser.
C'est donc à une reconstitution de l'acte d'écriture philosophique que cette enquête se consacre, Alors que bon nombre de commentaires voient dans le chapitre XXXI du livre premier des Essais (« Des cannibales ») un texte fondateur pour l'image européenne du "bon sauvage", l'enquête sur son processus de production exhibe un processus d'écriture plus complexe, dans lequel des souvenirs de lecture et des rumeurs ont tenu lieu de "connaissance" et d'"informations" des Indiens. En fait Montaigne ne savait rien des "cannibales" et n'a pas grand-chose d'un "précurseur" des méthodes en anthropologie. Ce constat, bien loin d'invalider les lignes qu'il leur consacra, fait d'autant mieux ressortir son positionnement philosophique humaniste et le fait que les Essais ont su dire quelque chose d'essentiel : le barbare n'est pas celui que l'on croit.
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