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Monsieur Viannet a cinquante ans. Il vit avec sa femme dans un minuscule appartement glacial, du côté de Bastille, où les courants d'air ne chassent plus l'odeur du tabac. Monsieur Viannet a autrefois été bel homme.
Monsieur Viannet a autrefois été sportif. Monsieur Viannet a fait l'armée. Monsieur Viannet a des enfants qu'il ne voit plus. Monsieur Viannet, surtout, a été ac- quitté après avoir été accusé du meurtre son père.
Entre la prison et les foyers d'urgence, les centres d'ac- cueil et les hôtels minables, Monsieur Viannet appar- tient à ce qu'il est convenu d'appeler le quart-monde, peuplé de SDF, de marginaux, de coeurs brisés trop tôt. Sa solitude est devenue absolue. Même sa femme n'est plus qu'un témoin de son passé, une accusatrice muette.
Nous pourrions très bien croiser Monsieur Viannet dans la rue mais Monsieur Viannet ne sort plus. Il a ses cigarettes qu'il fume à la chaîne, ses bières qu'il vide du matin au soir, son écran plat qu'il n'éteint jamais et qui renvoie, comme un miroir, l'absurdité du monde.
Monsieur Viannet est, que cela nous plaise ou non, notre exact contemporain.
En face de lui, la narratrice. Elle est chargée par un centre de réinsertion d'évaluer ce que deviennent les anciens résidents dont Monsieur Viannet a fait partie.
C'est elle qui pose des questions. C'est elle, malgré sa rigueur professionnelle, qui se laisse hanter par le désespoir radical de Monsieur Viannet, jusqu'à la tra- gédie finale.
Sociologue de formation, Véronique Le Goaziou se ré- vèle ici avant tout un remarquable écrivain. Monsieur Viannet est un roman presque entièrement dialogué où l'essentiel, pourtant, se joue entre les lignes. La pa- role d'Alexandre Viannet trace les contours tristement banals d'une vie vouée à l'échec, d'une vie perdue d'avance. Mais grâce au talent de l'auteur, ce qui ap- paraît en creux, dans ce roman âpre et tendu, c'est à la fois l'envers de la société d'aujourd'hui et une interrogation sans réponse sur la condition humaine.
Avec Monsieur Viannet, Véronique Le Goaziou nous fait rôder à chaque instant, la gorge serrée, du côté de Beckett et de Kafka.
« Mon père, j’ai fini par le tuer un soir comme les autres où je voulais juste qu’on dîne en paix ». Tel est le début de ce livre. Monsieur Viannet se confie à une femme qui note tout ce qu’il dit. Est-ce une policière, une inspectrice qui enquête sur le meurtre ?
« C’est obligé que je vous dise comment j’ai tué mon père ? Comment je m’y suis pris ?
Je serre les genoux. Mon cahier se ferme, mon stylo tient entre deux doigts en équilibre.
-Obligé ? Non… Bien sûr que non… C’est… comme vous voulez. »
Ce n’est donc pas quelqu’un de la police. La narratrice enquête, mandatée par une association, sur le devenir des anciens résidents d’un centre de réinsertion. C’est elle qui pose des questions, essaie de garder une distance professionnelle, malgré ce qu’elle entend, refuse de répondre aux questions du couple Viannet dans une ambiance tendue et une atmosphère enfumée.
Monsieur Viannet est un laisser pour compte, Monsieur Viannet habite avec sa femme un misérable petit appartement, ne sort jamais, passe sa vie à regarder la télé, boire des bières et fumer assis ou couché sur un matelas posé à même le sol. Il n’a plus d’espoir, plus d’avenir.
La narratrice ne vient pas qu’une seule fois mais trois fois, une fois par mois, chez Monsieur Viannet qui confie sa misère sociale, sa dépression, ses colères. Elle ne peut que noter ce qu’il raconte pour cacher son désarroi, bouleversée qu’elle est par les confidences de monsieur Viannet et je n’ai pu faire autrement qu’être bouleversée également par son désarroi, sa solitude, son mépris de lui. Sa femme à peu près transparente, également dans le renoncement fait quelques fois le tampon, calme son mari. Elle aussi, aimerait se confier, parler de sa vie, de la spirale qui les entraîne irrémédiablement vers le fond, sans espoir de rebond
Je ne me suis jamais ennuyée dans ma lecture. Véronique Le Goaziou, sociologue et romancière, a écrit un livre où les dialogues sont ciselés, l’écriture, très précise, le dialogue tendu. Je verrais bien une transcription théâtrale
Je suis avec eux, dans la pièce enfumée. Le désespoir du couple qui n’attend plus rien de la vie, qui attend que cela se passe, vivent en marge de la société, sont enfermés dans la spirale de la pauvreté, du désespoir de l’exclusion, de la marginalisation.
Je ne suis pas sortie indemne de ce livre. J’en ai pris plein la figure. La réalité est âpre. Ce n’est pas un fait divers, bien que la fin du livre puisse être relatée par les journaux, mais une réalité.
Véronique Le Goaziou, dessille mes yeux, rend visible ces gens que l’on ne veut pas voir, leur donne la parole, un peu d’humanité,
Un livre bouleversant. Un coup de cœur et un coup de poing.
Ah ! Monsieur Viannet ! Il est vraiment au bout du rouleau !
Affalé sur son matelas, il fume cigarette sur cigarette, boit bière sur bière, devant l’écran de télé allumé en permanence.
Et cette enquêtrice qui travaille pour une association d’insertion se prend d’un intérêt particulier pour ce cinquantenaire qui n’a plus de ressort.
Ecrit principalement sous la forme de questions/réponses, ce roman pointe du doigt tous ces hommes et ces femmes en rupture sociale qui, après avoir subi épreuves sur épreuves, finissent par baisser les bras.
Reflet d’une cruelle réalité qui touche de trop nombreuses personnes, c’est une lecture qui remue et ne peut laisser indifférent.
La société n’est pas tendre envers tout le monde et nombre d’individus en payent les frais.
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