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Chaque matin Antoine accompagné de son chien Rotor va à la rivière. Arrivé au pont il se retourne et Violette, qui est son amour, lui fait signe depuis la porte. Un jour Rotor meurt. Le lendemain à la rivière Antoine se retourne et Violette ne fait pas signe. Il comprend qu'elle s'était toujours adressée au chien. Alors il part.
Ensuite Violette attend Antoine. Quand arrive Lucie elles sont deux. Elles décident de vivre une attente pure. Sans cet être dont l'absence fait souffrir. Pour cela il faut oublier jusqu'au nom d'Antoine.
Commence le processus de disparition de tous les mots qui provoquent une attente.
Le premier roman d'Adrien Lafille est un manuel de suppression du langage jusqu'à effacement de toute douleur.
Et cette réduction obsessionnelle nous rapproche d'une folie d'un monde où l'ignorance aiderait au bonheur, c'est ainsi que, page après page, se déroule le plus tragique des malheurs. Celui de l'ignorance programmée.
Implacable, extraordinaire, « Milieu » est un phénomène éditorial. Serré comme un café fort, magistral, on ne peut achever « Milieu » sans la certitude de le relire encore et encore tant les degrés pourvoient à la haute intelligence. Vous avez tout : les cartes en main pour apprendre un langage venu des profondeurs intrinsèques. Reste le mot, l’alphabet épuré, une écriture signifiante. Un avant-gardisme de renom, atypique, un pas de côté libre, immensément libre. Voyez ces 108 pages incontournables et chanceuses pour le lecteur (trice). Le récit se juxtapose dans ce style original. Malgré l’histoire tourmentée, n’ayez aucune crainte. Ici, c’est le poli d’une littérature qui se donne sans attente de retour, digne et humble. Écoutez l’histoire :
« A partir du village, c’était pareil, impossible de partir, les villageois ont dit à Antoine que c’était un risque trop grand sans pouvoir lui expliquer quoi que ce soit… Voilà pourquoi Violette et Antoine avaient construit à l’écart du village pour ne pas y être coincés. »
Violette en Antoine vivent ensemble. Assignés au cynisme tel Diogène, le spartiate est leur loi. L’habitus au centre de la terre sans limite. Un noyau dans le monde plein des autres. Dans ce hors temps, sans espace, ni lieu, leurs regards percent les montagnes voisines, la forêt interdite, le pont qui tremble. Métaphysique, le récit se teinte d’une intériorité hors norme. Antoine va partir. Quitter Violette. Le signe oublié, message parabolique. Dans un rythme pavlovien le récit semble un cercle labyrinthique. Un fil rouge infini, l’échappée vers ce qui surpasse le regard. On est transis sous le choc de la trame intense. Violette attend le retour d’Antoine. Chaque moment fait voler la poussière, dérange la normalité. L’attente est le plein vertueux de ce livre. Pas de dépendance, mais la juxtaposition du langage sur l’effacement de l’ordinaire.
« Lorsqu’on pense on ne peut pas attendre et voilà tout le problème. » « Attendre, c’est attendre et rien d’autre. »
Arrive Lucie.
« « Lucie ne savait pas d’où elle venait et qu’on trouvait ça étrange qu’elle habite avec Violette. Elles n’avaient rien expliqué de leur attente à qui que ce soit, pour quoi faire ? » « A partir de maintenant, les paroles extérieures nous glisseront dessus et c’est tout. »
« Milieu » dévore l’histoire. Ici, résiste ce magnétisme, l’arrêt des conditionnements extérieurs. Plus d’horloge, l’attente sacrée d’Antoine qui coule dans les veines. Vivre à attendre. La conjugaison des corps confondus dans cette rectitude. Ce milieu où le choix refuse la quête invincible. Attendre, cette virginale apothéose d’un enracinement existentialiste, message subliminale. « Milieu » est érudit. Un livre sans hasard, initiatique. Adrien Lafille est digne d’un génie évident.
« Violette a encore demandé à Lucie d’où elle venait en disant où. Lucie a montré les montagnes. »
Conte macrocosme et désigné comme garant des maîtrises intérieures. Le langage n’est plus. C’est la désignation de la pureté qui est le point à suivre. A dépasser à l’instar du chant de la parole avant sa chute ultime. Cette histoire n’est pas. Elle est gémellaire aux volontés, ressac et transmutation. L’alphabet muet, l’attente divine car miraculée à lames d’épreuves. Violette et Lucie, siamoises et lianes, bien au-delà de « Milieu » ce livre est la différence. Oublier jusqu’au prénom d’Antoine, pousser le vent de la main, risquer sa mort spirituelle jusqu’à en perdre la raison. Plus que tout « Milieu » est un allié. Beau à pleurer.
« Dans l’attende pure il y a des actions pures, elles arrivent et on ne peut rien y faire. »
Si : LIRE « MILIEU » !
Publié par les majeures Éditions Van-Loo.
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