"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Une fois la guerre civile espagnole (1936-1939) terminée, des milliers d'hommes et de femmes républicains furent contraints de fuir et de se cacher dans les zones les plus inhospitalières d'Espagne. Au sein des montagnes se forgea une authentique organisation de résistance antifasciste : le maquis, qui fut le mouvement d'opposition le plus conséquent au régime de Franco.
Considérés comme des héros en France, ces guérilleros furent traités en délinquants, assassins, criminels et bandits de grand chemin dans leur pays. Ils formèrent des foyers qui ont fait vaciller le régime. Ce dernier s'est chargé de les effacer de l'histoire officielle. Face à l'impossibilité d'en parler librement, la mémoire de ce mouvement a survécu grâce aux témoignages que ces protagonistes et leurs proches ont transmis à leurs enfants.
Maquis reconstitue cette épopée en détail, assemblant pour la première fois tous les morceaux du puzzle. On y suit les premières guérillas autonomes, le rôle des services secrets anglais et américains durant la Seconde Guerre mondiale, les conséquences de la guerre froide, le retour de l'état de guerre dans plusieurs régions, la fabrication de faux maquis par le régime, les nouveaux massacres qu'il va déclencher et l'incompétence criminelle des partis républicains en exil. L'auteur évoque aussi les guérillas urbaines, dont certaines perdureront jusqu'aux années 1960.
Secundino Serrano est l'un des meilleurs spécialistes en études anti-franquistes. Il s'est basé sur une documentation exhaustive pour recueillir ce legs, le nettoyant du mythe et des légendes. Il tire ainsi de l'oubli l'un des chapitres les plus méconnus de l'histoire espagnole : la guerre de « Ceux des montagnes » pour la liberté.
« Le franquisme fut un régime barbare face auquel il fallait se défendre. Les guérilleros l’ont fait par les armes. Avec le poids de toute leur haine, à l’instar des agents de liaison. De nos jours, alors que les quelques survivants ont pu déposer les armes et mettre leur haine de côté, il est peut-être temps de passer de la légende à l’histoire.
Une histoire nécessairement ouverte. »
Ce n’est pas dans mes habitudes de débuter une chronique littéraire par une longue citation mais la conclusion de la remarquable étude historique de Secundino Serrano, bien traduite par Pierre-Marie Bourgeat, me paraît d’une justesse admirable. De plus, elle laisse ouvert le cycle des recherches et je remercie Babelio ainsi que Nouveau Monde éditions pour avoir publié ce travail et m’avoir permis cette longue lecture pleine d’enseignements avec, hélas, tellement de vies humaines sacrifiées.
Le sort de la Guerre civile espagnole et l’abandon honteux de nos démocraties laissant nos voisins sous le joug du franquisme ont beaucoup fait parler et produit déjà des documents écrits ou cinématographiques. Malgré tout, les années qui ont suivi l’installation de la dictature ont été bien occultées de ce côté-ci des Pyrénées malgré les camps de sinistre mémoire d’Argelès-sur-mer, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Bram, Agde, Septfonds, Gurs, Le Vernet, Rieucros plus d’autres en Algérie, mais j’apprends que la police française n’hésitait pas à livrer à la Garde civile les guérilleros tentant de se réfugier chez nous. Côté portugais, ce n’était pas mieux puisque la dictature de Salazar sévissant à l’époque arrêtait les guérilleros et les remettait aux sbires de Franco.
Historien, spécialiste de l’après-guerre d’Espagne et de l’exil républicain, Secundino Serrano a bâti son ouvrage en cinq grandes parties, explorant les moindres recoins de son beau pays pour détailler ce que fut la lutte à mort contre des rebelles soutenus par les Nazis et qui allaient finalement l’emporter, faisant le malheur de beaucoup de familles, éliminant d’authentiques démocrates voulant simplement que la République régulièrement arrivée au pouvoir continue à instaurer toujours plus d’égalité et de justice.
De la résistance armée pendant la guerre civile (1936-1939) aux anarchistes catalans et la guérilla urbaine, en passant par Fugitifs et guérilleros de l’après-guerre (1939-1944), l’exil français et les invasions pyrénéennes (1944), les années décisives (1945-1947), les années noires (1947-1949) et la fin de la résistance armée (1949-1952), Secundino Serrano n’élude aucune période, n’écarte aucun événement et cite systématiquement ces femmes et ces hommes qui ont lutté pour tenter de libérer leur peuple subissant les pires souffrances, la torture et la mort au bout de leur engagement.
Pendant ces années de résistance fort méconnues en France, les luttes internes aux partis politiques n’ont pas cessé. Ce qui avait désuni la République espagnole face au coup d’État franquiste n’a pas disparu par enchantement. Qu’ils soient socialistes, communistes, libertaires ou anarchistes, ils se battaient toutes et tous pour faire cesser la dictature mais chaque tendance avait sa ligne politique et au sein de chacune, la place du meneur, d’organisateur était très convoitée.
Côté PCE (Parti communiste espagnol), les directives de Santiago Carillo ou de la Pasionaria (Dolores Ibárruri) arrivaient de l’étranger, pas toujours en phase avec l’action sur le terrain, même si c’était dans les rangs du Parti communiste que discipline et efficacité donnaient le plus de résultats.
Hélas, délateurs, transfuges, victimes de tortures insoutenables livraient des renseignements à la Garde civile qui mettait même en place de faux résistants pour mieux infiltrer et détruire les réseaux.
C’est dans les montagnes, les coins les plus reculés de chaque région que la résistance au franquisme a été la plus vive mais il aurait fallu que cela se développe dans les grandes villes. Malgré plusieurs tentatives, notamment à Barcelone, la répression a été terrible et la guérilla urbaine est restée embryonnaire.
Lire MAQUIS, Histoire des guérillas anti-franquistes c’est faire une visite détaillée de la plupart des régions d’Espagne mais c’est aussi ne pas être fier du tout de l’attitude des démocraties européennes qui, une fois débarrassées du nazisme, ont commercé tranquillement avec la dictature franquiste, trouvant en Espagne, des lieux parfaits pour les vacances…
L’excellent document, énorme travail de recherches historiques signé Secundino Serrano, vient combler ce déni de mémoire. Surtout, il se termine par la lettre ouverte d’un ex-guérillero âgé de 91 ans, Martínez López « Quico », à la direction du PCE. Depuis soixante-quatre ans, il réclame la réhabilitation des camarades comme Victor García García « El Brasileño » qui a été exécuté comme beaucoup d’autres par des camarades, sur ordre de la direction du parti. Cette lettre forte et émouvante m’a fortement impressionné sans me faire oublier l’impressionnante liste de victimes de ces années de guérilla, et j’espère qu’enfin, elle sera suivie de la seule décision qui s’impose : la Réhabilitation !
J’ajoute enfin qu’un cahier central sur papier glacé permet de mettre à l’honneur ces hommes comme Manuel Castro, Cristino García et Antonio Medina, héros de la Libération en France et officiers FFI qui ont été fusillés par Franco le 21 février 1946, à Madrid, malgré les protestations et tentatives politiques françaises pour empêcher ces crimes d’État.
Chronique illustrée à retrouver sur : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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