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Dans la droite ligne de Deuil à Chailly, publié par Arléa en janvier 2007, et unanimement salué par la critique, Lionel-Édouard Martin livre avec L'Homme hermétique un de ces récits denses d'humanisme et de poésie sobre dont il a le secret. En apparence, le propos narratif est d'une grande simplicité : l'auteur brosse à petites touches, sans souci de chronologie ni de description précise, la vie de Paul, alcoolique, obèse et diabétique. Une existence marquée par un destin - le diabète semble héréditaire dans sa famille, et dans ses formes les plus dramatiques -, autour de qui plusieurs voix, en de longs monologues, viennent exprimer leur propre histoire, ancrée dans ces années 1970-1980 au cours desquelles la société française évolue considérablement. Polyphonie de petites gens de province, murmure discret et nostalgique, souvent empreint de drame et d'émotion contenue, c'est tout un monde qui nous revient, à touches pointillistes, toute une culture, proche et lointaine à la fois, qui nous (re)parle et vient se greffer sur notre sensibilité. Mais on sent bien que l'auteur cultive explicitement une plus haute ambition : à travers le personnage de Paul, c'est, symboliquement, toute notre relation à l'autre qui se trouve engagée. Et engagée dès le " prologue ", auquel fait écho un " finale " d'un lyrisme magnifique, qui est une grande page de la Littérature (voir ci-dessous).
" Paul est mort et j'ai fini mon livre. Je ne sais pas s'il est bien d'écrire un livre avec ceux qu'on aime, avec les morts. Ils forment une matière délicate à mettre en oeuvre : la langue ne peut pas tout dire, la mémoire rompt l'écoulement du temps de la même manière que l'on rompt le pain - petits atolls, petites bouchées, puisque tout passe par les lèvres, mots et nourriture, pour créer cette substance qu'écrivant je restitue, mais sans continuité fluide, dans les convulsions du rendu. Homme hermétique, Paul. Sans doute bien des hommes sont-ils, à sa façon, poursuivis par un destin, par une passion, qui les enferme au creux d'un rêve, d'une maladie ou d'autre chose. Ove sans fracture, qui sépare, et parfois brise l'alliance avec les autres. Excepté celle du créateur et du mystique (s'il convient de distinguer ces deux profils d'un même visage), toute solitude procède de la douleur autant qu'elle en sécrète autour de soi. La parole - et singulièrement l'écriture, ce donné bien plus que ce don -, si elle ne fait que lisser en surface un réel essentiellement craquelé, morcelé, grenu, a cette fonction cardinale d'unir les êtres et de combler de voix l'espace qui les disjoint. Je crois au pont, cette main tendue vers l'autre berge. Toute phrase est une paume offerte, jetée par-dessus la ravine. Il s'agit de l'accepter, d'effleurer du doigt le verbe funambule. Vivre ensemble, vivre avec, c'est cela, rien de plus. Peut-être un regard, un sourire ajoutent-ils un peu de coeur aux pulsations nichées dans les phalanges. Mais ce n'est qu'un surcroît, le principal vient des mots, de ce rythme des syllabes où les hommes, ainsi que le temps, déchiffrent leur mesure. "
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