"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
On dit que le bonheur est une vocation. Celle d'Hector Bibrowski, né dans un cirque à la fin du XIXe avec des poils recouvrant tout son visage, ne le rend pas heureux mais il ne l'a pas choisie. Comme son père avant lui, il fera la tournée des villes européennes en compagnie d'avaleurs de sabre de soeurs siamoises d'hommes-troncs et autres bêtes de foire. Mais tout le monde n'a d'yeux que pour « l'homme à la tête de lion » qui, derrière son aspect sauvage, est passionné de littérature et capable de converser comme le plus instruit des gentlemen. Bientôt, l'opportunité d'intégrer le plus grand cirque des États-Unis l'emmène dans la vertigineuse New York, où s'élèvent les gratte-ciels et les ambitions démesurées des hommes. Dans ce monde qui a perdu toute échelle humaine et qui connaît les premiers balbutiements du cinéma l'homme-lion restera-t-il le roi du spectacle ?
Prenez place lecteurs et lectrices, le spectacle va débuter, et Xavier Coste nous offre du show spectaculaire avec l'homme à la tête de lion. Au début du XXe siècle, les Freak Shows sont à la mode, on y expose les « monstres », hommes et femmes aux physiques étranges qui fascinent le public.
L’homme à la tête de lion, est l’un de ces artistes, exposé comme une bête de foire depuis son enfance. Il quitte son petit cirque européen, pour les Etats-Unis, où ces shows sont à la mode et se retrouve pour la première fois, entouré d’autres personnes comme lui, qui vivent de leur étrangeté. Ce nouveau départ, ne lui apportera pourtant pas ce qu’il recherche, certes ici l’argent coule à flots, mais le bonheur n’est pas au rendez-vous. Au sein de la troupe, des relations s’esquissent, mais les tensions sont importantes, et les rivalités ne font que s’aggraver quand de nouveaux membres rejoignent le groupe.
Visuellement, c’est une véritable claque. Les images sont spectaculaires et nous évoquent les affiches vintages des cirques. De temps à autre de grandes planches nous subjuguent, grandioses et frappantes.
Un immense coup de cœur !
Après le fulgurant succès de « 1984 » récompensé par le prix Uderzo « de la meilleure contribution au 9e art » et le prix BD FNAC-France INTER 2022, nous attendions avec impatience le huitième album de Xavier Coste d’autant qu’il était cette fois à la réalisation complète : dessins et couleurs mais aussi scénario. En effet, il n’effectuait ni biographie, ni adaptation et était seul aux commandes. Et puis les premiers visuels ont fleuri sur les réseaux, le titre aussi : … « L’Homme à la tête de lion » publié comme le précédent aux éditions Sarbacane. Allons bon ! Xavier Coste crée un album sur le cirque ? Mais que pouvait-on dire ou écrire après le « Freaks » de Tod Browning ou l’«Elephant Man » de David Lynch ou la trop méconnue bande dessinée « Freak Parade » de Joelle Jolivet et Fabrice Colin? Et qu’en serait-il des paysages urbains dans la peinture desquels l’auteur excellait ? Cette chronique serait-elle donc, in fine, La chronique d’une déception annoncée ?
« SOUS LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE » …
Tadadam, roulements de tambours, « Xavier Coste présente » comme il s’amuse à l’inscrire sur les affiches d’époque dont il parsème les murs que parcourent les différents cirques où se produit son héros.
Hector Bibrowski, souffre d’hypertrichose. Mais qu’est-ce donc ? Une pilosité excessive qui fait apparaitre des poils longs d’une trentaine de centimètres sur le haut du corps et plus particulièrement sur le visage lui conférant l’apparence d’un lion. Il nous conte lui-même son histoire dans la voix off des récitatifs. Effectuant le même métier que son père puisque « quand [il] est né les gens comme [lui] étaient à la mode » déclare-t-il, il s’accommode tant bien que mal de sa vie de bête de foire dans le petit cirque étriqué où il est né, trouvant du réconfort dans la littérature et la peinture, jusqu’au jour où il est démarché par un grand Cirque américain -inspiré de Barnum- et tente le rêve américain…
L’album est très documenté sur les ménageries humaines ou « sideshows » de l’époque. Il montre parfaitement l’engouement suscité par les Freaks : leurs conditions de vie, les coups marketing (mariages arrangés), l’argent qui coule à flot et leur position de star avec le personnage de Lobster boy par exemple. Coste évite d’ailleurs à ce propos la tendance à la cancel culture et montre comment ce destin de bête de foire pouvait être pour la plupart une chance paradoxale en leur permettant d’être adulés.
On remarque une précision quasi photographique du dessin inspiré des photos et affiches d’époque et la présence de « monstres » ayant réellement existé au premier rang desquels Bibrowski lui-même, Jojo l’homme chien qu’il remplace, Schnitzlie « tête d’épingle », Mirin l’avaleur de sabres, général Tom Pouce , Lobster boy ou Annie Jones la femme à barbe…Pourtant, il ne s’agit pas d’une bd historique ou de reportage, ce que signale d’ailleurs le changement de prénom du héros : Xavier Coste le baptise Hector et non plus Stephan (ou Lionel de son nom de scène) car il fait œuvre de fiction. De plus, toutes ces attractions humaines ont existé mais pas à la même époque. Aussi peut-on dire que leur rôle est symbolique et que l’auteur se livre davantage à une réflexion-sans le voyeurisme que je craignais- sur la différence et le sens de la vie. Le cirque n’est donc finalement qu’un prétexte !
« ASPHALT JUNGLE »
Avec le départ du héros vers le nouveau monde, l’on retrouve avec joie les paysages urbains ! Paf, ça claque dès les pages 6-7 qui présentent une première double page sur la statue de la liberté. Scène classique et inévitable (au bons sens du terme) de l’arrivée à Ellis Island où pour une fois, Hector n’est pas stigmatisé en tant que bête de foire mais en tant qu’immigrant.
« L’homme à la tête de lion » constitue une véritable ode à la ville des années trente également. Doté d’une pagination généreuse, il permet à Xavier Coste - qui reprend son format carré de « 1984 » - de déployer ses talents dans la peinture de la ville moderne. On y retrouve des références au « Metropolis » de Lang et même à Céline avec l’arrivée de Bardamu à New York dans « Voyage au bout de la nuit» : « New-York est une ville debout » dans son travail graphique. La mégalopole y apparaît de la même façon inquiétante et menaçante dans une focalisation interne qui adopte le point de vue du personnage. Les cadrages adoptés et en particulier la contre-plongée en mettent en valeur la monstruosité et insistent sur la déshumanisation de ses habitants. Hector, homme fin et cultivé, se livre d’ailleurs à une savoureuse typologie de ceux-ci et montrent comment ils se mettent eux-mêmes dans des cases/cages avec leur habillement et leur comportement. L’auteur nous délivre ainsi dans une subtile écriture métaphorique une vision pessimiste et claustrophobique de la société : finalement tous sont condamnés à « l’ultra moderne solitude ».
« PORTRAIT DE L’ARTISTE EN JEUNE… LION »
Le regard acerbe et son humour noir d’Hector masquent cependant une souffrance qui en fait un personnage très complexe. Et finalement, le personnage c’est le sujet principal de l’œuvre. Influencé par le cinéma de Truffaut, Coste a aimé se perdre dans les pérégrinations de l’homme lion mais cependant grâce à l’éditeur Frédéric Lavabre et à son scénariste d’ « A comme Eiffel », Martin Trystram qu’il remercie au début du livre, il ne nous propose pas un livre seulement contemplatif ou onirique (même si les 215 pages permettent des respirations dans des pages muettes nocturnes de toute beauté) mais une vraie histoire avec du suspense.
Il y a un grand travail d’approfondissement du caractère d’Hector qui, tout monstre qu’il est, est avant tout humain trop humain. L’auteur en fait un héros désabusé et alcoolique drôle toujours, arrogant et antipathique parfois, et souvent touchant à la recherche de la liberté et de son identité.
On notera également toute une réflexion méta-artistique (encore plus présent dans l’épilogue inédit de l’édition limitée de la librairie Bulle) qui permettrait presque à Xavier Coste de déclarer « Hector Bibrowski c’est moi ! ».
Dans la vraie vie Bibrowski était bien un érudit qui parlait cinq langues mais il aspirait à devenir dentiste et non artiste ! A travers lui et la relégation du cirque au second plan au profit du 7e art, le dessinateur stigmatise la société de consommation et s’interroge tout particulièrement sur le devenir de la BD et le dilemme du succès.
Sans être aussi radical que son héros, il se défait lui aussi de ses oripeaux : après « 1984, » il se renouvelle dans les thèmes mais aussi le graphisme. Il utilise une chromie réduite comme dans le précédent mais apporte quelque chose de plus grâce à l’utilisation d’une nouvelle palette - rouge et jaune pour les scènes de cirque, bleu et saumoné pour d’autres plus intimes- et à l’utilisation de trames constituant un clin d’œil aux techniques d’impression de l’époque et donnant un aspect suranné à l’album. Il se libère du gaufrier, propose de grandes vignettes , des pleines pages ou des doubles, joue avec la mise en page, les blancs, les contours… Il se livre à des expérimentations permanentes et à une mise en abyme : les toiles de l’un sont les illustrations de l’autre … Enfin, le dessinateur ainsi que son éditeur nous offrent un beau livre-objet qui s’inscrit ainsi de façon militante contre la tendance actuelle à la fast-littérature : on en peut qu’admirer l’épais papier, le soin apporté à l’impression et le soucis du détail (même la reliure est aux couleurs du cirque !). On a envie de le relire et de le conserver et non de le jeter!
« L’homme à la tête de lion » est donc un album surprenant, exigeant aussi, qui s’inscrit finalement dans la rupture mais également dans la continuité de « 1984 ». On y trouve la même vision pessimiste du monde et des relations humaines, la quête impossible d’un paradis perdu … On comprend alors pourquoi Xavier Coste avait en projet d’adapter « La Route » de Cormack McCarthy . Pour des raisons de droit cela ne se fera pas … quel dommage ou peut-être au contraire quel bonheur si ce contretemps débouche sur un album au scénario original aussi réussi que celui-ci !
Chronique augmentée ( documents iconographiques, extraits de la présentation de la rentrée graphique de juin 2022 et dossier pour aller plus loin) sur le blog www.bulles2dupondt.fr
Le travail de Xavier Coste est salué par toutes et tous, à fort juste titre.
Sa capacité créative est une fois encore démontrée, L'ouvrage est brillant dans ses différents registres
tant dans la forme : sa palette graphique est multiple au travers de ses différents ouvrages et ouvre encore de nouveaux horizons ;
que dans le fond car, au delà de l'histoire (et de tout ce qui a pu déjà être écrit sur le cirque voyeuriste, les "bizarreries", "monstres" et difformités multiples, etc ... de cet "homme à la tête de lion", de son univers et de ses aspirations) Coste nous plonge dans la complexité humaine, y compris dans sa part sauvage, bestiale au sens d'intrication avec la nature, y compris d'une certaine façon dans la création artistique avec une mise en abime de la création picturale.
Les dernières pages touchent à l'essentiel : la liberté d'être soi et l'affirmation de son être profond.
Un livre puissant à voir, à lire, à déguster.
Hector Bibrowski est un homme. Oui un homme, même si son visage est recouvert de poils, ça ne fait pas de lui un animal, c'est bien un homme. Son père déjà était un homme de cirque, qui avait la même particularité que lui. Et aujourd'hui, il n'en peut plus, il étouffe. Est-ce la France avec ses cirques qui sont trop étriqués pour lui ? Il mérite mieux, il mérite plus, et c'est peut-être à l'autre bout du monde, aux États-Unis, qu'il trouvera enfin qui il est ... Mais passée l'euphorie, les débuts extraordinaires, il doit bien se rendre à l'évidence... Les Hommes ici ou là-bas restent des hommes et le regard qu'ils peuvent porter sur lui est toujours le même...
Avec 1984, Xavier Coste a connu un très grand succès amplement mérité et gagné la reconnaissance du public, mais également celle des professionnels avec notamment l'attribution du Prix BD Fnac France Inter 2022 et du Prix Uderzo de la meilleure contribution au 9e Art (rien que ça). Pourtant, il y en a eu des version BD de 1984 (pas moins de 5). Maintenant il revient avec un scénario original. Et pour ce nouveau récit, il conserve un format carré éprouvé avec sa dernière BD. J'avoue que cela donne un certain rythme à la lecture. Côté récit, en parlant de cirque, d'animaux, de "bizarreries" (freaks), l'auteur, aborde surtout l'homme et son manque d'humanité envers les différences, envers "l'étrange". Petit à petit, malgré les travers de l'homme à tête de Lion, on se prend à l'aimer, à le comprendre et même à excuser certains de ses agissements. On a envie d'être là pour lui, avec lui. Côté graphisme, Xavier Coste n'est pas tombé dans la facilité en reprenant ce qui a fait le succès de 1984. Son trait, ses mises en page et son travail graphique sont tout simplement somptueux.
Vous l'avez compris, pour moi, c'est un très grand coup de cœur qui en dit beaucoup sur nous, et nous pousse à la réflexion. N'ayez pas peur d'Hector, il ne mord pas... Il tourne tout simplement comme un lion en cage.
J’ai découvert le travail de Xavier Coste avec la poésie de son album L’enfant et la rivière (2018), adapté du roman éponyme d’Henri Bosco (1888-1976). La beauté qui se dégageait de ses illustrations faisait couler comme un vent de fraîcheur sur ce texte suranné de 1945.
J’ai poursuivi cette découverte avec Egon Schiele Vivre et mourir (2012) dans lequel l’esprit torturé et tourmenté de ce peintre génial, transparaissait au travers de cet hommage à un peintre mort trop jeune (1890-1918), au début de sa gloire.
Puis vint 1984 (2021), d’après l'œuvre publiée en 1949 par George Orwell. Le risque était immense de s’attaquer à un tel monument. D’autant plus qu’il y avait comparaisons à faire. Ce furent une réussite et une explosion visuelle qui permirent de mettre à la portée de tous un texte vraiment peu aisé à lire.
Alors à quoi fallait-il s’attendre après un tel succès, reconnu à la fois par les lecteurs et les professionnels de la bande dessinée ?
Le monde du cirque ! Aie, ce n’était pas gagné.
Les freaks ! Oh non, dans quoi Xavier es-tu allé t’embarquer ?
Que ne serais-je point déçue si je devais ne pas apprécier cet Homme à la tête de lion, et surtout la qualité de ton travail, pour ces raisons.
Car sous une thématique, qui ne m’attire pas du tout à la base, se cache en réalité un récit empreint de tolérance, d’appel au respect de l'autre, quelles que soient ses différences, physiques, mentales, intellectuelles.
À aucun moment, je n’ai ressenti ce voyeurisme qui était la base de ces “freak shows”. Le frisson est là, l’horreur également. Mais pas une horreur à la vue de ces hommes et femmes exposés. L’horreur et le constat que de telles exhibitions ont réellement existé. Que des gens se sont déplacés pour voir, se moquer, rire et huer la différence de l’autre, des autres.
Alors pour rendre hommage à la souffrance de certains, l’auteur a habillé ce récit de sublimes dessins en bleu et rose et les a recouvert d’un quadrillage, tel un tulle posé délicatement pour atténuer le mal. Un très beau mariage qui ne pourra vous laisser indifférent.
Merci Xavier pour ce que tu fais, de le faire aussi bien et de le partager avec nous.
Après sa brillante adaptation de « 1984 », c’est peu de dire qu’on attendait avec impatience ce nouvel album de Xavier Coste qui parait demain chez Sarbacane.
Le voilà de retour avec un scénario original qui nous plonge fin XIXème siècle dans l’univers des freaks et l’âge d’or du cirque.
On y suit Hector Bibrowski, très velu de père en fils, né dans un cirque, né pour y parader parmi d’autres personnages plus étranges les uns que les autres… L’Amérique lui fait les yeux doux, le voilà parti pour New-York et le Hoffmann Circus où son rôle de lion érudit – car il aime lire et dessiner – fait fureur.
Mais le succès est éphémère car la société évolue vite, le cinématographe fait son apparition, et il n’évite pas les doutes, les questionnements sur sa condition d’humain observé, rejeté, un être à part … des doutes qui habiteront Hector tout au long de l’album.
Le sujet est passionnant et comme d’habitude avec Xavier Coste, l’impressionnant travail graphique magnifie le récit. Choix restreint de couleurs, bleu-saumon pour la vie quotidienne , flamboyance dans les moments de spectacle, place importante de l’architecture (les buildings new-yorkais rappelleront 1984 !), tout est superbe et immerge le lecteur dans un univers puissant.
Encore un coup de maître donc, « L’homme à la tête de lion » est un beau livre (format carré 25x25 !) qui sert une histoire originale et prenante. Xavier Coste en parle mieux que moi, son interview est à suivre sur ma page !
Xavier Coste nous propose une immersion au cœur de ce monde Fascinant qu'est le cirque ambulant.
Cette aventure intimiste plonge dans les traces d'Hector Bibrowski, un homme à l'aspect bestial mais profondément humain et cultivé.
Le récit se structure avec finesse et intelligence autour de l'évolution personnelle de notre héros entre ses rêves et ses rencontres bien des événements vont en découler.
Bien qu'il se concentre sur notre "homme-lion" j'ai adoré la multitude de personnages (pour la plupart Freaks) qui fourmille autour d'Hector. Souvent attachant mais surtout écrit avec pertinence ils viennent enrichir un récit déjà presque complet.
Fascinant c'est aussi le terme que j'emploirai pour qualifier le travail graphique qui complète le récit. Dans son style bien particulier Xavier propose un crayonné resplendissant et une colorisation sublime pour une évasion presque onirique.
En bref voilà encore une masterclass signée Xavier Coste. Un album coup de coeur que je ne peux que conseiller !
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