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Située à l'extrême sud-ouest de la péninsule coréenne, à une heure d'avion de Séoul (capitale), Jeju est la plus grande île de la Corée et l'unique province insulaire de la Corée du Sud aujourd'hui. Elle est appelée l'« île aux trois abondances » : de femmes, de vents et de pierres. L'expression, qui n'est en rien romantique, évoque la rude vie des femmes sur l'île. Les vents puissants et le sol volcanique rocheux composent un environnement naturel particulièrement hostile. Cet environnement, ce sont les femmes qui l'affrontent pour survivre, les hommes étant plutôt rares : si certains se noyaient en mer, d'autres, fort nombreux, partaient sur le continent pour livrer les tributs au gouvernement central ou pour commercer. La croyance veut aussi que la géomancie de l'île ne soit pas favorable aux hommes qui meurent jeunes. Ce rôle dévolu aux femmes a fait la réputation de Jeju, considérée comme l' « île aux femmes », ou parfois comme une « société matrilinéaire ».
À Jeju, nombre de femmes sont des jamnyo, des plongeuses en apnée qui, lestées d'une ceinture de plomb, descendent dans les profondeurs de la mer en moyenne quinze jours par mois pour pêcher des ormeaux et des conques ainsi que du varech, et ainsi faire vivre leur famille. Se retrouvant au petit matin au bord du rivage, elles se changent et plongent ensemble en apnée pendant 4 à 7 heures, une plongée durant à peu près deux minutes. Une jamnyo senior expérimentée peut aller jusqu'à 20 m. de profondeur. Les plongeuses possèdent la mer collectivement, et ce qui y est recueilli doit être partagé, parce qu'elles sont les descendantes d'une ancêtre, la déesse Seolmundae Halmang. Les plongeuses accomplissent un rituel chamanique pour rendre les graines à l'ancêtre et nettoient la mer de la même façon qu'un paysan retourne le sol. Leur croyance dans une vie collective qui protège les ressources naturelles de l'océan s'écarte radicalement des théories de l'économie de marché. La valeur de ces femmes tient non pas à l'argent qu'elles gagnent, mais à ce qu'elles donnent : leur force et leur générosité.
À travers l'étude d'un système de parenté (kwendang) fondé sur l'échange, de la vie communautaire et des valeurs sociales et économiques des plongeuses jamnyo, l'anthropologue Ok-Kyung Pak décrit et analyse une société « centrée sur les femmes » où les pratiques chamaniques des plongeuses en l'honneur de la déesse de la mer qui leur offre sa protection coexistent avec l'influence du néo-confucianisme venu du continent. En outre, elle retrace historiquement les différentes étapes conduisant à la formation de ce modèle social qui se caractérise aussi par un rapport de protection et de symbiose avec la nature. La pertinence de cette étude prend tout son sens au vu du déclin inéluctable du nombre de plongeuses provoqué par le développement industriel et la pollution des océans.
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