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Corée du Sud, 16 avril 2014, le Sewol sombre au large de la côte sud-ouest. 304 personnes trouvent la mort dans ce naufrage, pour la plupart des adolescents en excursion scolaire.
Énorme scandale qui met en lumière des carences multiples aussi bien dans la gestion de la compagnie privée qui gère le navire que dans l'organisation des secours. Park Geun-hye, alors présidente, est violemment critiquée. Ce drame et ses suites compteront parmi les causes de sa destitution.
Le narrateur est un plongeur professionnel qui a accepté d'aller rechercher les corps des victimes piégées dans leurs cabines. Le récit prend la forme d'une supplique adressée à un juge dans le but de disculper un de ses collègues, accusé d'homicide involontaire. Il évoque la difficile remontée des cadavres, les graves traumatismes dont souffrent les plongeurs et dénonce l'incurie avec laquelle ont été lancées et menées les opérations, ainsi que les injustices et les incompréhensions qui frappent ceux qui se sont dévoués corps et âme pour que les familles récupèrent les corps de leurs disparus. Avec le récit du plongeur, en plusieurs épisodes, alternent une vingtaine d'interviews ou de témoignages de parents en deuil, de rescapés ou de journalistes. L'auteur ne donne aucune indication sur le nom du bateau, ni sur le lieu exact du naufrage, ni sur les véritables noms des protagonistes, voulant donner à son récit une portée universelle.
En postface, l'auteur indique que le plongeur qui lui a servi de modèle est décédé. L'enquête qui a suivi le décès a conclu à un suicide.
Kim Takhwan part de cette tragédie réelle et s'intéresse au rôle des plongeurs professionnels qu'on a appelé quatre jours après le drame, non pas pour retrouver des survivants mais pour remonter les corps des disparus. La gestion des secours fut un véritable fiasco : les autorités promettant des sauveteurs et n'en envoyant pas, ou trop tard et dans des conditions exécrables. En juillet 2014, le responsable des plongeurs qui n'a pu qu'appliquer des consignes inadaptées et accusé d'homicide involontaire à la suite du décès d'un plongeur.
Ce roman est une longue lettre d'un plongeur adressée au juge. Cet homme, Na Kyong-su est un personnage fictif, librement inspiré d'un vrai plongeur avec lequel l'écrivain a noué une relation amicale après le drame. En forme de lettre envoyée au juge pour décrire les conditions de travail, les conséquences terribles de ces plongeons répétés sur la santé des sauveteurs.
C'est un roman fort qui, malgré quelques longueurs et répétitions, cible le manque de réactivité des autorités sud-coréennes devant l'ampleur du drame et la volonté d'icelles d'allumer un nouveau feu en accusant un homme pour mieux tenter de se disculper. Contrairement à la littérature asiatique parfois très imagée, ce livre est direct, clair. On est presque dans un récit journalistique, un rapport des activités et des conséquences de celles-ci sur les hommes. Prenant de bout en bout.
Le 16 avril 2014, Le Sewol, ferry reliant Incheon à l’île de Jeju, sombre quelques heures après avoir quitté le port. A son bord, 476 passagers, dont 325 sont des lycéens de la ville de Ansan. Dès l’annonce du naufrage, des pêcheurs, des bateaux commerciaux, la marine nationale et les garde-côtes se rendent sur place et sauvent 172 passagers. Car sur le bateau, ordre a été donné aux lycéens de rester dans leur cabine. Les canots de sauvetage n’ont pas été mis à l’eau. L’équipage n’a pas su gérer la crise. Pour les parents, l’espoir demeure de retrouver leurs enfants vivants, protégés par le système de cloisonnement du bateau et les possibles poches d’air. Mais aucune décision n’est prise pour des recherches sous-marines. Le gouvernement annonce la présence de cinq cents plongeurs sur les lieux mais il n’en est rien. Quand, trois jours après le drame, une équipe réduite de plongeurs privés commencent les recherches dans des conditions périlleuses, ils savent tous qu’ils sont là pour remonter les corps sans vie des lycéens d’Ansan.
La catastrophe provoque une onde de choc en Corée du sud. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? Qui est responsable ? L’armateur qui n’a pas respecté les capacités de chargement du ferry ? Le capitaine qui a commis une erreur de navigation ?
Mais des questions se posent aussi sur le sauvetage. Pourquoi la Corée a-t-elle refusé l’aide internationale ? Pourquoi les secours officiels n’ont-ils pas été mobilisés immédiatement ? Pourquoi l’équipage a-t-il demandé aux passagers de ne pas quitter leurs cabines ?
Autant d’interrogations sans réponses ou plutôt une multitude de réponses qui ont mis à jour un système de corruption, d’impréparation, d’incompétence…
Comme tous ses concitoyens, l’écrivain Tak-Hwan Kim a été profondément touché par ce drame. Et il a lui aussi cherché des réponses, en interrogeant les parents des victimes, les avocats, les journalistes, mais aussi les citoyens lambda parfois exaspérés par les manifestations de colère des parents endeuillés. Et, surtout, il s’est intéressé au sort des plongeurs envoyés sur les lieux pour remonter les cadavres.
Son ‘’roman vrai’’ prend la forme d’une longue lettre adressée à un juge d’instruction par un plongeur pour disculper un collègue et ami accusé d’homicide involontaire, suite au décès accidentel d’un plongeur surmené et surexploité. Ce plongeur, renommé Na Kyong-su, livre dans un touchant plaidoyer sa version d’une opération qui n’avait plus rien d’un sauvetage. Contrairement aux déclarations de l’Etat qui estimaient leur nombre à plus de cinq-cents, ils étaient huit. Huit volontaires qui ont plongé jour et nuit, sans respect des temps de repos, dans des conditions périlleuses aggravées par la profondeur du site, les vifs courants marins, l’obscurité et les pièges d’un bateau sens dessus dessous. Accusés de vénalité, ils ont non seulement mis leur vie en danger, mais aussi leur équilibre psychologique en côtoyant ces cadavres d’enfants, cette jeunesse sacrifiée. Et s’ils ont eu le sentiment du devoir accompli et la reconnaissance de parents soulagés de pouvoir enterrer leurs enfants, ils ont été abandonnés par l’Etat. Plonger en eau profonde n’est pas sans conséquence pour la santé et aucun ne s’en est sorti sans d’importantes séquelles. Les soins, longs et coûteux, n’ont été pris en charge que durant cinq mois. Démunis, amoindris physiquement, détruits psychologiquement, ils ont été sacrifiés sur l’autel de l’économie, de la loi et de l’envie des gouvernants d’oublier le naufrage et ses conséquences.
Avec Les mensonges du Sewol, Tak-Hwan Kim signe un roman coup de poing, émouvant et révoltant. Au-delà du drame, il raconte les failles d’un pouvoir qui n’a pas su prendre soin de ses enfants. La catastrophe a mis en lumière des défaillances, des collusions entre politique et industrie et a contribué à déstabiliser une présidence déjà mise à mal par des accusations de corruption et d’autoritarisme. C’est dans les moments de crise qu’on juge un gouvernement et celui de Geun-hye Park n’a pas été à la hauteur, ni sur le moment, ni pour gérer l’après.
Un livre nécessaire, pour les Coréens, mais aussi pour le monde car nul n’est à l’abri d’un tel évènement, imprévu mais évitable.
Un grand merci aux éditions de l’Asiathèque et à Pascaline Siméon pour cette lecture éprouvante et essentielle.
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