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Alors que tant de livres sont présentés de manière identifiée, voire calibrée, Serge Moncomble écrit Les Forteresses de l'oubli, éminemment fidèle à l'esthétique romantique refusant la séparation des genres au nom de la complexité de la vie. Ce n'est pas seulement par ce refus que Serge Moncomble est romantique, c'est aussi par une forme de sensibilité. Il y a belle lurette, heureusement, que l'on ne parle plus de « nouveaux romantiques ». Mais, hors de toute école et de toute mode, peut survenir un météorite méritant l'adjectif.
Ce livre mêle le poème, le récit, l'imprécation, la prose poétique, passe de la phrase nominale à la phrase-fleuve, de l'économie de mots à l'élan lyrique. D'autres écrivains ont ainsi dans le même livre changé de genre et de mètre. Parfois avec une préoccupation expérimentale ou le souci de prouver une virtuosité multiforme. Ici, rien de formel, rien de gratuit. La diversité des écritures répond au projet même du livre, à la personnalité de Joseph Dardanel qui se cherche, cherche sa forme, sa justification. Son père, enfant abandonné, fut placé par l'Assistance publique dans le Morvan. Ou plutôt déplacé. N'est-il pas né à Drancy, ville tristement célèbre pour d'autres déportations ? Cet abandon, cette ignorance des origines, cette illégitimité initiale ont empoisonné la vie de Joseph Dardanel, voyageur sur la terre, exilé de sa propre vie. Ses années d'internat ont été vécues sous le signe de l'abandon, malédiction qui pèse sur la famille et impose une grille d'interprétation. Les Forteresses de l'oubli nous font entrer dans d'autres forteresses, asiles, pensionnats, hôpitaux, où l'on accueille de pauvres hères pour en protéger la société plus que pour les protéger d'eux-mêmes. Murs, dortoirs, couloirs, médecins, prêtres, maîtres, gardiens. Le monde est bien fait.
Un autre événement a fêlé l'existence de Joseph Dardanel, la mort à la naissance d'un frère aîné, victime du forceps d'un médecin-boucher. « Comment mériter de survivre, là où l'autre avait échoué ? » Et le livre s'achève sur les retrouvailles sa fille dont on apprend l'existence à la dernière page. Encore une ellipse ou éclipse.
Serge Moncomble n'écrit pas, loin s'en faut, comme Marguerite Audoux. Pourtant, je sens une parenté entre Les Forteresses de l'oubli et Marie-Claire. Par la sympathie profonde, vraie, avec les pauvres gens. Pauvres au sens économique du terme, mais autrement démunis, pauvres en mémoire, pauvres en mots, pauvres en récits qui les justifieraient. Peut-être plus grave encore que la misère ou la maladie génétique, la lacune historique se transmet chez ces êtres qui ne peuvent rassembler des vies en lambeaux, la leur et celle de leurs ascendants. Gens sans arbres généalogiques bien dessinés, bien encadrés, sans portraits d'ancêtres, sans biographies, sans nécrologies. Les autres, les gens installés et disposant d'un pouvoir, reçoivent dans le livre des volées de révolte et de mépris. Ainsi que l'époque où ils vivent, hypocrite et frelatée. Mais Serge Moncomble écrit aussi des pages de douceur, pour évoquer le paradis perdu du Morvan, ses bois, ses eaux, ses fougères...
Ni récit d'une vie, et pour cause, ni analyse clinique d'un mal-être, ce livre approche de la plus belle manière un problème majeur, celui de la transmission ou de la non-transmission d'une histoire entre générations. Il inverse la formule « les gens heureux n'ont pas d'histoire » pour faire ressentir cette autre vérité : « les gens sans histoire sont malheureux ». Il a le grand mérite de donner une forme littéraire à cette douleur, avec lyrisme, rage et tendresse.
Michel Besnier
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