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Le 9 mars 1945, les Japonais s'emparent de l'Indochine française alors que l'issue de la guerre du Pacifique en faveur des Américains ne fait plus le moindre doute. Un épisode mal connu de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Après ce coup de force, ponctué de nombreux massacres, des milliers de Français, civils ou militaires, sont parqués dans des camps, incarcérés dans des prisons ou assignés à résidence. Ces hommes et ces femmes connaissent des conditions de détention effrayantes dans les cachots qui jalonnent la péninsule du nord du Tonkin jusqu'au sud de la Cochinchine. Sous la surveillance de la Kempeitaï, surnommée, la « Gestapo japonaise », ils participent à des travaux harassants, souffrent de sous-nutrition, subissent coups et tortures quand ils ne sont pas enfermés dans des cages à tigre d'où ils ne voient jamais le jour. Tous les rescapés - dont les grands-parents, la mère et l'oncle de l'auteur - estiment ne devoir la vie qu'aux explosions nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki. La Libération de la métropole et la guerre d'Indochine qui s'annonce occupent les esprits et ces Français du bout du monde demeurent oubliés, pire on les soupçonne de complaisance envers le régime de Vichy. C'est leur histoire que ce livre s'efforce de retracer à partir d'archives, en particulier celles de la Défense, des travaux historiques les plus récents et des témoignages de ces prisonniersoubliés de tous.
Un livre à lire ! La Seconde Guerre mondiale comme on en parle jamais.
http://encreenpapier.canalblog.com/archives/2019/03/09/37163274.html
Alors que la fin de la guerre approche, le 9 mars 1945 le Japon - qui avait particulièrement marqué de sa présence le territoire asiatique - attaque l’Indochine alors française. La résistance du régime français colonial face à cette attaque surprise, ne fait pas long feu par manque de moyen, bien qu’elle ne manque pas de bravoure. Inéluctablement, l’armée française tombe entièrement, par conséquent, le Japon a le champ libre pour se poser en nouveau maître du pays et saper le travail français.
Les grands-parents de l’auteur qui disent devoir leur vie à la bombe atomique faisaient parties de ces victimes oubliées et méprisées en leur temps et encore aujourd’hui. A la faveur de ce livre, Guillaume Zeller tente de réparer cette erreur, afin de nous montrer que les français d’Indochine étaient loin d’être des planqués ou des vichystes, afin de nous montrer combien les français mais aussi la population autochtone a souffert de cette présence japonaise.
Politique :
Mais avant d’en arriver-là, Guillaume Zeller va commencer par nous montrer la complexité de la politique et de la situation en Indochine.
Tout d’abord, il faut savoir qu’avant la défaite française de 1940, le Japon, la Thaïlande et d’autres courants politiques intérieurs n’ont pas de position extrêmement belliqueuse envers le pouvoir français (excepté les communistes). L’opposition est certes présente, mais la France étant un pays encore jugé fort, personne ne songe à l’attaquer de front. Toutefois, avec la défaite de juin 1940 et malgré le dernier coup d’éclat de la marine française lors de la bataille de Koh Chang, la donne va changer et va aboutir sur des positions ouvertement belliqueuses contre le régime du protectorat français en Indochine.
Pour commencer, et contrairement à ce qu’on peut penser, ces oppositions ne sont pas que japonaises. En effet la Thaïlande, le communisme, les mouvements sectaires comme le caodaïsme mettent aussi à mal le régime français déjà fragilisé. Ces courants qui sont largement soutenus par le Japon qui se présente en libérateur de l’Asie et gardien de l’identité asiatique (même si dans les faits c’est plutôt une colonisation qui chasse l’autre), le gouvernement français sous la houlette de l’amiral Decoux tente de les contrer, notamment en réduisant dans le respect des coutumes les inégalités entre autochtones et français, et en visitant les empereurs du Laos, du Cambodge et du Vietnam. Sans grand succès, comme le montrera la suite de l’histoire…
Ceci, ne doit cependant pas faire oublier dans la complexité de la situation, que le pire ennemi de l’Indochine reste le Japon. Ce pays qui a plutôt les coudées franches depuis son retrait de la SDN en 1933 - même si son idéologie colonisatrice avait commencé bien avant -, se trouve aussi favorisé par les concessions dangereuses, qu’elles soient militaires ou commerciales, qui lui ont été accordées par Vichy, qui sait qu’un affrontement avec le Japon serait forcément néfaste pour la population française comme pour le maintien du régime français en Indochine.
Néanmoins, à ce niveau-là il ne faudrait pas croire qu’il y a eu collaboration comme en France. Certes, le général Decoux gouverneur général de l’Indochine française à partir de 1940, a une position ambivalente avec les japonais. Toutefois il serait injuste de croire qu’il n’a pas cherché à défendre la souveraineté française en Indochine, comme l’atteste certaines de ses démarches pour limiter les concessions françaises ou encore le fait qu’il ne se soit pas opposé à la résistance française en Indochine. Quand bien même il ne pouvait pas se piffer le général Mordant chef de cette même résistance dès 1943. D’ailleurs à l’épuration, le jugement de Decoux se clôturera par un non-lieu.
Mais alors me direz-vous, pourquoi cette « entente » avec le Japon à virer en massacre, en arrestation, avec le coup de force du 9 mars 1945 connu sous le nom d’opération meigô ? Tout simplement, parce qu’ils savent que la résistance française est active contre la présence japonaise - même si elle n’est pas la plus favorisée qui soit -, d’autre part parce que malgré la défaite qui s’annonce, le Japon cherche vraiment à faire tomber le régime français.
Se met en alors en place un régime de terreur…
Terreur :
J’avais entendu parle de la Kempeitaï dans deux romans, "Le don de la pluie" de Twan Eng Tan et "Le destin des Parques" d’Olivier Nourry. J’avais donc déjà une belle vision de cette "gestapo japonaise" que ça soit dans l’Indochine ou dans les colonies anglaises comme la Malaisie. Mais ça restait toutefois du roman… Dans ce livre de Guillaume Zeller ça va aller plus loin dans le détail sordide. En effet, ce dernier ne va pas manquer de nous abreuver d’information sur les pratiques de l’armée du Mikado. Que ça soit la torture qui ne manque pas d’imagination, l’emprisonnement, le travail forcé dans les camps de la mort, le viol et la prostitution forcée, les exécutions de soldats ou de civils… et tout ça touche autant les hommes, les femmes mais aussi les enfants comme au camp de Paksong.
Je vous passe les détails, que je vous laisserai découvrir avec le livre, mais on sent quand on lit ces pages, qu’il y a une volonté de briser les corps pour briser les esprits. Par ailleurs, l’horreur japonaise n’a rien à envier à celle des nazis.
L’avantage de cette démarche, au-delà du catalogue des horreurs qu’elle expose, c’est que l’auteur va en profiter pour rétablir la vérité sur les victimes de ce régime japonais, comme quand par exemple il parle des prisonniers de l’armée française. Avec force de détail, Guillaume Zeller va bien monter qu’ils ont été de fervents combattants contre les japonais, et que le mépris qu’ils ont connu par la métropole ensuite ou par les « français de 1945 » est tout bonnement injuste, puisqu’ils ont en effet souvent été considérés comme faisant partie de l’armée de Vichy. Les procès étaient d’ailleurs orientés de manière à ce qu’ils soient présentés ainsi, toutefois, dans les faits ce n’est absolument pas le cas et l’auteur rétablit cette vérité.
Certes, c’était l’armée française sous le commandement de Vichy, mais une armée qui a œuvré malgré tout le 9 mars 1945 pour la France sans regarder son étiquette. De fait, quand on parcourt ce livre, on voit qu’il y a eu un décalage énorme qui s’est créé entre la vision de la métropole qui calque Vichy sur l’Indochine et les faits, et forcément cette vision est erronée et ne correspond en rien à la réalité.
Outre le monde militaire, l’auteur va montrer aussi que les civils ont été eux-mêmes mal jugés par la métropole, comme l’atteste leur combat sans fin pour se faire reconnaître comme victime de guerre. Comme l’Indochine c’est exotique et loin de l’Europe, forcément dans l’esprit de l’époque les abus japonais, les restrictions, la faim, la fuite dans la jungle, les camps de la mort, la souffrance... est forcément moindre, pourtant là aussi ce n’est pas le cas.
Enfin, dans le domaine de la terreur, il faut aussi faire mention de la terreur de bombes américaines qui tombent sur des cibles indochinoises (où les morts ne seront pas forcément japonais), et de la terreur qu’exerce les groupes nationalistes ou le Viet Min sur les français, en atteste le massacre de la cité Héraud en septembre 1945.
Mais après la terreur et ses massacres, vient le temps de l’injustice…
Injustice :
Comme je l’ai déjà un peu développé, les habitants comme les soldats d’Indochine, passent pour des planqués, des vichystes, et ne sont que peu reconnus comme des victimes de guerre. Toutefois, comme va l’indiquer l’auteur, l’injustice peut prendre une autre forme tout aussi terrible pour ces gens qui ont vécu l’enfer et qui pourrait se résumer par quelques mots : défaut de justice et défaut d’action. Et oui, on pourrait penser que la capitulation du Japon entraîne le désarmement des soldats, l’arrestation en masse de ces derniers et de leurs généraux, et ben non, rien de tout ça ! Ceci au grand dam des français qui ont vécu l’horreur japonaise, et qui pour certains d’entre eux sont encore après la capitulation, captifs des japonais, vu qu’il a été décidé que le désarmement se ferait par les chinois et les anglais, et que les japonais devaient en attendant maintenir l’ordre. (On marche sur la tête, imaginez ça 30 secondes à Paris avec les allemands.)
Parmi les autres injustices fortement ressenties par ces français, il y a aussi le manque d’entrain des autorités françaises à vouloir juger ces personnages qui se baladent encore librement dans la rue après le conflit. On peut ajouter à cela aussi, le fait que beaucoup de nippon passeront à travers les mailles du filet de la justice, aidés par les chinois – Nankin c’est visiblement loin – ou grâce au gouvernement français qui pour réduire les rangs du Viet Min qui ont accueilli les déserteurs japonais, n’hésite pas à se montrer très magnanime avec les ennemis d’hier pour inciter les japonais à rentrer chez eux. (!)
Nonobstant ceci, n’oublions pas cependant qu’il y a quelques procès qui débouchent sur des condamnations, mais très peu et beaucoup par contumace…
Dernier problème :
Le Japon tombé et renvoyé chez lui, on pourrait croire que le problème de l’Indochine française est réglé, il n’en est rien. Soutenu par les américains pour chasser les japonais, puis les français (décidément les américains sont doués pour faire de leurs alliés des ennemis cf. Ben Laden), Ho Chi Minh déclare l’indépendance de l’Indochine française et engage des actions violentes contre les français et métis eurasiens. Et alors que débute la Guerre d’Indochine qui s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide, l’exil finira par avoir raison de cette population française indochinoise, qui aura vécu une guerre bien plus longue qu’ici.
En résumé :
Comme on le voit, l’histoire de ce livre qui se concentre particulièrement sur quelques mois de 1945, montre la complexité de la situation en Indochine avant et après la capitulation japonaise. On a une belle vue d'ensemble et on remarque que les japonais ne sont pas la seule préoccupation française, vu que le livre va plus loin en abordant la question américaine, du Viet Min, et des mentalités. En plus de ceci, l’auteur va aussi montrer l’injustice et l’oubli qu’a subi cette population alors que sa souffrance fût tout aussi terrible qu’en métropole.
Un livre à lire donc, pour découvrir plus en profondeur une guerre, une situation, qui sont oubliées des manuels scolaires. Gros coup de cœur pour ma part.
Editions Tallandier.
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