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Quand Omer Dewavrin entre dans l'atelier d'Auguste Rodin, dédale de formes humaines de pierre et de glaise, il a la certitude d'avoir fait le bon choix. Notaire et maire de Calais, il a confié au sculpteur à la réputation naissante la réalisation d'un monument en hommage à six figures légendaires de la guerre de Cent Ans : les Bourgeois de Calais. Nous sommes en 1884, et Dewavrin ne sait pas encore qu'il s'écoulera dix ans avant que l'artiste, en quête de perfection, se décide à déclarer son travail achevé. La bouleversante chorégraphie de bronze n'existerait pas sans ce bourgeois du dix-neuvième siècle qui, devinant le génie du sculpteur, l'obligea à aller au bout de lui-même et imposa son oeuvre en dépit du goût académique et des controverses idéologiques. Sa femme Léontine et lui sont les héros inattendus de cette histoire, roman de la naissance d'une amitié et de la création du chef-d'oeuvre qui révolutionna la sculpture.
Coup de cœur
Roman aussi beau que cette œuvre magistrale.
Quand on nomme le nom d’Auguste Rodin, on pense très spontanément à ses œuvres les plus connues Le Penseur ou encore L’Âge d’airain. Le roman de Michel Bernard décrit la rencontre et les liens qui se nouent au fil du récit entre Auguste Rodin, sculpteur déjà consacré et reconnu, et Omer Dewavrin, maire de Calais. Nous sommes en 1884, à l’approche du centenaire de la Révolution. Omer Dewavrin souhaite faire ériger un monument en hommage aux Bourgeois de Calais, ces six hommes qui offrirent les clés de la ville aux Anglais pendant la guerre de Cent ans, en 1347, épargnant ainsi à la ville de Calais une probable dévastation par les troupes ennemies.
Dès la première rencontre, rue de l’Université, siège de l’atelier de Rodin, une nécessité esthétique s’impose à ce dernier : rappeler les couleurs du ciel flamand, les nuages de la mer du Nord : « Il affirma que ces hommes d’autrefois, ces Français du Moyen Âge, les avaient vus, ce ciel, ce soleil, cette mer, comme lui, comme tous les Calaisiens. » Rodin comprend d’emblée que l’hommage sera réussi si les spectateurs s’identifient naturellement à ce sacrifice des Bourgeois.
Après ces premiers contacts qui ne permettent pas d’établir un lien de confiance définitif entre les deux hommes, Rodin surprend son interlocuteur :il lui expose un projet de maquette de la sculpture, bien plus ambitieux, plus impressionnant. Omer Dewavrin , que l’auteur décrit comme un homme soucieux du bien commun, « un homme de sens pratique , positif et raisonnable » , qui a aussi appris dans sa jeunesse à se tenir à distance des passions , prend conscience de la pertinence et de la justesse de son choix de Rodin comme sculpteur : « Il voyait, dans une soudaine accélération du temps , quelque chose qui demeurerait ;On viendrait de Paris , des quatre coins du pays pour admirer l’œuvre que Calais allait élever à la mémoire de ses héros . »
On trouve également dans le récit de Michel Bernard des précisions quant à l’entourage de Rodin ; ainsi, le rôle de Rose Beuret, son épouse, est-il évoqué : « Cet inlassable dévouement lui appartenait à elle, Rose Beuret, couturière, née à Vecqueville, Haute-Marne, le 9 juin 1844. Cela, quoi qu’il pût arriver, personne ne pourrait jamais le lui enlever. »
Bien sûr, plusieurs passages du livre font mention de la présence de Camille Claudel dans l’atelier de Rodin et de son concours. Un échange de regards qui a lieu en présence d’Omer Dewavrin, lui fait comprendre les liens entre Auguste Rodin et Camille Claudel : « La jeune fille l’aidait, il la formait en même temps. Melle Claudel était la plus douée des apprentis qu’il n’eût jamais eus. »
Les Bourgeois de Calais est un roman qui nous fait partager l’enthousiasme, l’implication des deux personnages, l’artiste et l’édile dans la réalisation de ce projet qui marqua de son empreinte l’histoire de la sculpture française. Il rappelle le contexte du centenaire de la Révolution de 1789, dont les manifestations commémoratives voulaient rappeler les Français aux notions de dévouement et de civisme. En cette occurrence, ce fut réussi.
Lorsqu'une œuvre me fascine, j'aime m'y replonger par la lecture non pas de notices explicatives ou techniques froides et sans âme qui ne rendent jamais le charme qui m'a saisie mais de romans qui en transmettent souvent l'essence.
Ce fut le cas après avoir vu l'exposition d'Edgar Degas au Musée d'Orsay en 2019 et avoir été aimantée par "La petite danseuse de 14 ans"; j'ai alors lu le roman éponyme de Camille Laurens.
C'est maintenant le cas pour "Les bourgeois de Calais" qui m'ont fascinée au musée Rodin, également en 2019. Grâce au roman de Michel Bernard, j'ai retrouvé l'émotion, le bouleversement ressenti face aux Bourgeois.
S'inspirant des 159 lettres et télégrammes échangés par Rodin avec Omer Dewavrin et son épouse entre 1884 et 1904, l'auteur nous fait entrer dans la genèse de ce monument mondialement connu, inauguré en juin 1895, dont onze exemplaires ont été fondus entre 1895 et 1995 et dans l'intimité de Rodin.
Sans la ténacité, la volonté sans faille du maire de Calais, Omer Dawavrin, cette œuvre n'aurait jamais vu le jour. Son idée était de célébrer l'héroïsme des calaisiens pendant la guerre de Cent Ans, dont 6 d'entre eux remirent les clefs de la ville, en août 1347, au roi Edouard III après un long siège et qui ne durent la vie sauve qu'à l'intercession de la reine, Philippa de Hainaut, originaire de Valenciennes. Il voulait également faire connaître sa ville avec une inauguration pour le centenaire de la Révolution.
Ce roman, c'est la genèse d'une œuvre puissante qui bouleverse les canons artistiques de l'époque, qui prend vie devant nous.
Ce roman, c'est l'amitié improbable entre deux hommes que tout oppose : provincial/parisien, notaire/artiste, riche/pauvre, vie familiale calme/vie amoureuse très agitée. Et pourtant cette amitié sincère s’approfondira au fil des années de 1884 à 1904, année de la mort d'Omer Dewavrin.
Ce roman, c'est la description d'une époque, la fin du XIXème siècle, artistiquement foisonnant en peinture, littérature, sculpture. Nous approchons de Monet, Camille Claudel, Rainer Maria Rilke qui fut secrétaire de Rodin.
Ce roman, enfin, est une approche intime de Rodin, alors âgé de 44 ans, de son génie, de ses fulgurances, de ses doutes, de ses inspirations, du caractère novateur pour l'époque de ses œuvres (il dut sans cesse batailler contre le classicisme, le rejet de la nouveauté). Dans le cas des Bourgeois de Calais, il s'est imprégné des faits et des personnes à travers le livre de Jean Froissart, chroniqueur médiéval, "Les chroniques de France", en vieux français, dont l'auteur nous livre quelques extraits. Rodin transforme de façon magistrale un rituel de capitulation en un mythe glorieux bâti sur l'héroïsme des bourgeois ayant sauvé les habitants de Calais de la mort et la ville de la destruction. Il donne à voir des hommes allant à la mort devant lesquels chacun peut réfléchir à son propre destin.
Ce roman est passionnant et la magnifique écriture de Michel Bernard en sublime le contenu. Je vais continuer avec cet auteur avec "Deux remords de Claude Monet" dont l'amitié teintée de jalousie qu'il portait à Rodin est évoquée dans ce livre.
L’auteur s’est basé sur la correspondance d’Omer Dewavrin, alors maire de Calais et de Rodin, jeune sculpteur en devenir, pour relater cette création monumentale que sont « Les bourgeois de Calais ».
C’est donc l’histoire d’un projet, d’une œuvre mais aussi, car la vie n’est pas un long fleuve tranquille, une histoire de persévérance et de détermination, et pour finir une belle histoire d’amitié.
Quand Omer Dewavrin décide de faire ériger un monument en l’honneur de ces six notables se sacrifiant pour sauver les habitants de leur ville au début de la guerre de cent ans, il va chez ce jeune sculpteur qu’un peintre calaisien lui a recommandé, un certain Auguste Rodin. Il ressortira de cette première visite de l’atelier absolument « bouleversé et émerveillé » par ce qui se révèlera être « L’âge d’airain » et surtout convaincu que c’est bien Rodin qui exécutera cette sculpture.
A partir de là, on entre dans le processus de création, de doute, dans l’intimité de l’atelier du sculpteur, on y croise ses assistants, une certaine Camille Claudel. Mais là n’est pas le plus important. Non, ce qui nous saisit c’est la beauté du geste, comment les mains puissantes de Rodin sont capables de traduire les émotions, les mouvements des étoffes, l’ambiance d’une situation. Le maire de Calais l’a parfaitement compris, et durant dix longues années, accompagné de Léontine sa femme, ils vont se battre pour poursuivre l‘érection de cette œuvre malgré les obstacles administratifs et financiers.
Dix ans, le temps qu’il faudra à Rodin pour faire accepter que ces six héros puissent exprimer la résignation, le courage, le désespoir ou l’abattement, loin de la représentation que beaucoup aimerait héroïque. Elle n’en sera que plus humaine. Il aura fallu la clairvoyance d’un commanditaire et le génie de l’artiste pour arriver à ce résultat, mais quelle réussite !!
Et nous, nous avons la chance d’avoir Michel Bernard, qui de son écriture sobre et élégante retrace cette période avec autant de délicatesse que Rodin en mettait à la finalisation de ses œuvres. Un régal !
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