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L'hiver est déjà bien avancé à Stockholm lorsque Mère quitte le Congo pour la Suède, accompagnée de ses deux plus jeunes filles, Kapi et Joséphine. À leur arrivée, elles sont accueillies par le froid. Le vrai, celui qui pénètre jusqu'au cerveau et enserre tout dans son étau. Elles retrouvent aussi Ma, la grand-mère, l'oncle Kazadi, la tante Luboya, et la chaleureuse troupe de cousins et de cousines. On n'attend plus qu'Ésaïe, le mari de Mère, celui par qui le mal est arrivé.
Dans ce deuxième roman, Kayo Mpoyi explore le sujet de la mémoire. Telle une archéologue, elle tente de dépoussiérer et de reconstituer l'histoire d'une mère, en retraçant les événements à jamais tus. Elle exhume des récits de femmes, d'exils et d'oppressions, mais aussi de puissance, de liberté et d'amour. Poursuivie par cette question : la fiction a-t-elle le pouvoir de combler le silence ?« Il est heureux que le parcours de cette jeune écrivaine talentueuse ait donné naissance à un roman sur une famille dont les rapports de domination racontent la société dans laquelle ils s'inscrivent. » Mabrouck Rachedi (Jeune Afrique)
J’ai eu l’occasion de recevoir et de lire, comme depuis deux ans, l’un des titres de la rentrée du libellé des Éditions Marabout, La Belle Etoile : après un titre italien en 2021, et un coup de cœur libanais en 2022, me voici en Suède avec l’autrice Kayo Mpoyi, compositrice d’un premier roman, Dieu est un garçon noir à lunettes. Dans ce récit, elle a pris le parti de mères, celles d’une même famille congolaise qui s’en va immigrer en Suède, fuir les menaces qui pèsent sur eux, et chercher une vie plus confortable pour leurs enfants.
Et ces mères : d’abord Ma la matriarche, ses filles, Kadi ou Mère, Luboya, Marie Kasamba. Le lien de sang est bien là, les trois dernières sont toutes les filles de Ma, il n’empêche que chacune d’elles vit dans sa bulle, au Congo, en Suède ou ailleurs, la proximité qu’elle soit physique – tous entassés dans le même appartement en Suède – ou familiale n’y peut rien à la distance qui les sépare malgré toute cette proximité. Ma a élevé trois filles, mais c’est le petit dernier, le fils, Kazadi José, qu’elle a passé sa vie à couver. Ce qui ne contribue pas à cultiver les bonnes relations entre mère et filles, le père n’ayant pas disparu, mais a refait sa vie avec une seconde femme, et n’est guère plus qu’un vague souvenir pour les enfants.
Les mariages de chacune ne sont pas une réussite, et l’impossibilité à communiquer et-ou se faire entendre aussi. De ces femmes qui n’ont plus que leur fonction, de mère, celle qu’on veut bien leur dévoyer, élever les enfants, pendant que les hommes s’occupent de gérer. L’essentiel n’est jamais verbalisé. Le résumé de quatrième de couverture pose la question : la fiction, a-t-elle le pouvoir de combler le silence ? Une chose est sûre, c’est qu’elle met le doigt sur ce silence, elle éclaire le vide et l’absence, par exemple, l’absence de liens entre Mère et sa propre mère Ma. Rien d’autre que le simple reflet de cette grande famille, où les hommes ne parlent pas aux enfants, ne brillent que par leur absence, ou ne restent qu’autour de la télé. L’ordre patriarcal est là, minutieusement remis en place dans cet appartement familial en Suède comme au Congo, sous l’égide de Ma, qui dirige et ordonne, cette mère qui a pourtant poussé ses filles à s’affranchir de leur joug marital.
Là où il n’y a pas la parole, effectivement le récit, sous forme d’une focalisation omnisciente, comble les non-dits : il y a toujours une contre-force qui s’oppose à la libération et l’indépendance de la femme, et quand ce n’est pas les velléités du mari, attachés aux coutumes et aux traditions, ce sont celles des colons belges, qu’il ne faudrait pas froisser. Les colons du passé de Ma, de sa famille, dont le train de vie était dépendant d’eux. Peut-être que le moyen de combler le silence, par la fiction, c’est par ce même biais redonner la voix aux femmes, ni mère de famille, ni sorcière, ni prostituée, ou que sait-on d’autre. Mais professeur, femme politique… Et c’est que semble avoir parvenu Kayo Mpoyi avec ce roman métissé de deux cultures, de plusieurs formes d’oppression, où la Suède redonne un peu de ce que les colons ont avidement volé au Congo.
Le titre est explicite : puisque les maris abandonnent épouse et enfants pour refaire leur vie, puisqu’ils passent leur temps à écrire leur autobiographie – le niveau d’égocentrisme est élevé – tout en s’offusquant que leur épouse apprenne à faire du vélo, puisqu’ils n’ont visiblement rien d’autre à offrir et à partager, la force, celle de tenir une famille, un foyer, un travail, c’est chez les femmes qu’il faut la trouver, alors qu’elles se taisent. La cohésion et la dynamique, ce sont ces femmes ici qui se démènent pour faire avancer les choses à leur niveau, au niveau de la famille, et à une plus grande échelle, celle de la vie de la cité, la politique.
Kayo Mpoyi met en parallèle plusieurs formes d’oppressions dans son roman. La liberté offerte du pays accueillant ouvre la voie à l’expression personnelle de ces mères, la distance prise par rapport au pays d’origine, permet de mieux observer les manquements et les dysfonctionnements dans ces familles. Et la mise en parallèle avec le colonialisme, autre forme d’asservissement, donne encore plus de légitimité au constat de ces oppressions systémiques.
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