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« Il m'arrive encore de me demander qui je suis, après tant d'années, mais je sais bien d'où je viens. Il me suffit d'attraper un avion à Orly et de retrouver une heure et demie plus tard la Corse pour avoir la certitude de toucher à mes origines. Comme si cette île m'avait défini avant même que je ne me soucie de le faire. » Pour beaucoup, « le pays de l'enfance » est un monde fait de souvenirs idéalisés. Pour Claude Arnaud, descendant des Zuccarelli, une famille qui tint longtemps la mairie de Bastia et celle de Santa-Lucia-di-Mercurio, petit village niché entre deux lignes crêtes, c'est une terre bien réelle où il passa ses premiers étés et revient dès qu'il peut. Un Eden où la nature déploie encore ses merveilles, hautes montagnes à pic, maquis aux parfums envoûtants, vallées de solitude et villages intouchés. Mais une origine suffit-elle à définir une identité ? Que faire quand son paradis se change en enfer où les maisons des siens cèdent sous les bombes, où l'un de ses frères va se noyer, et où un corps sans tête est retrouvé dans son village même ? Qu'est-ce qu'une terre dit de soi ? Et que faire d'une île aussi belle que mortelle ?
Dans cet époustouflant road trip à travers les routes sinueuses de la Corse, Claude Arnaud retrace l'histoire de sa famille, revisite les morts et les vivants, revient sur l'énigme de ce meurtre survenu en 2005 (une partie de poker qui tourne mal, un corps jeté aux cochons, une tête enfouie sous 700 kilos de gravats et les secrets de l'île qui ressurgissent). A jamais marqué par cet ailleurs qui est en lui, il fait le portrait de cette île souvent fantasmée, toujours mystérieuse. Une éblouissante traversée.
Prix du Mémorial d'Ajaccio
Si Proust avait la nostalgie de Combray, l'auteur évoque dans ce récit gorgé de soleil et d'amours – perdus – son île de beauté. Sa madeleine personnelle a seulement des dimensions un peu plus imposantes que le gâteau de Proust puisqu'il s'agit de la demeure familiale, le toit qui réunit autrefois toutes les branches de sa famille maternelle. C'est un musée dont les pièces sont soigneusement conservées par le socle de la mémoire de Claude Arnaud. Il y d'abord une vision idyllique et bucolique du pays corse, quasiment antique, et sûrement paradisiaque de ses paysages, de ses perspectives, de ses ruines, de ses vestiges, une île d'une beauté à couper le souffle, avec des descriptions qui sont à la hauteur.
Ce n'est pas seulement cette Corse de carte postale du touriste lambda qui se dévoile, ce n'est pas non celle de la vie quotidienne de l'habitant à temps plein, c'est l'Île de celui qui vient rafraîchir ses racines, chaque année, dont l'esprit, la personnalité sont fortement ancrées là-bas. Je n'ai jamais mis le pied en Corse mais j'en ai visité une autre, j'y ai passé du temps en famille, dont l'âme insulaire est aussi vivace et tenace qu'elle, la Sicile. J'ai ainsi laissé mes aprioris de côté pour profiter pleinement de cette méthodique exploration aussi personnelle qu'historique et me suis laissée guidée par le regard plein de tendresse et d'affection de son hôte à demi-pension mais aussi critique et parfois, sans concession envers les comportements des insulaires.
Ce récit mélange ainsi les souvenirs personnels aux constatations plus prosaïques sur l'état et l'évolution de l'ile au fil du temps, il en profite pour démonter certaines idées préconçues, d'ailleurs il y a ce passage sur la Vendetta qui m'a beaucoup parlé, puisque c'est par la nouvelle éponyme De Maupassant sur la Vendetta que j'ai eu une première vision de la Corse. En parlant de clan, l'une des choses qui est particulièrement frappante, et qui ne fait pas mentir le cliché consacré, c'est cette vision du clan profondément ancrée dans l'identité de l'île, qui de par sa nature, favorise ce mode de fonctionnement. C'est aussi cet esprit de famille de la Casa Zucarelli à Sainte-Lucie, chaleureux, d'une convivialité effrénée, ou règne un esprit de fête, de partage et d'entraide, dans lequel s'est longtemps couvert l'auteur, qui fait toute l'âme de ce récit.
Ce qui m'a plu, c'est le caractère de cet auteur qui vogue entre anonymat parisien, que lui confère également la neutralité de ce nom de famille qui lui vient donc de son père, le calme neurasthénique de son quartier face à l'animation enjouée de la vie clanique en Corse. C'est une ambivalence, cette double-nationalité, qui peut-être permet à l'auteur de prendre le recul nécessaire pour parler de son île à travers ses attaches à Paris. Ce mélange d'influences qui est le sien, et qui ne fait donc pas de lui un Corse à part entière, lui permet d'écrire ce récit qui n'aurait eu aucun sens et sans doute aucun caractère sans cette dualité, qui est la sienne.
S'agissant d'un récit à tendance autobiographique, c'est la vie ponctuée de drames d'un homme à la sensibilité exacerbée que nous entrevoyons aussi à travers ses souvenirs bien souvent heureux, mais quelquefois profondément tragiques et désespérés. Chaque famille a ses drames, et ceux de Claude Arnaud sont indissolublement liés à cette île, qui a vécu à certains moments de son histoire la tragédie comme un quotidien et porte son deuil en étendard. C'est un homme que l'on a bien envie de découvrir plus avant à travers ses récits autobiographiques Qu'as-tu fait de tes frères ?, Je ne voulais pas être moi ou encore Brèves saisons au paradis, tous publiés par la maison d'édition Grasset.
C'est en définitive un beau moment que l'on passe qui s'apparente à la fois à un album de photos que l'on feuillette, à un livre d'histoire que l'on bouquine, un journal que l'on compulse, un journal intime que l'on déchiffre, à un guide du routard chevronné dont on s'est équipé pour découvrir le pays corse. L'auteur donne les clefs à ceux, beaucoup d'entre nous j'imagine, qui ne les ont pas forcément pour comprendre cette ile dotée d'un fort esprit traditionaliste, qui ne s'ouvre pas forcément facilement aux continentaux. En tout cas, cela m'a permis de comprendre un peu mieux les traits de cette île au caractère indomptable et de ses habitants.
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