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Dans son atelier de Burntcoat, gigantesque hangar perdu au milieu de la lande anglaise, Edith Harkness forge, soude et modèle des morceaux de bois et de fer a n de créer des oeuvres colossales. Pour cette sculptrice inspirée, elles incarnent l'énergie et la vitalité à leur apogée. Cette prédisposition lui vient de sa mère, écrivaine, dont le souvenir tendre guide son inspiration sans limites. C'est dans ce lieu clos, à la fois espace de travail et laboratoire intime, qu'Edith décide de se retrancher en compagnie de Halit. Avec cet homme marqué par l'exil et secret qu'elle connaît à peine, elle vit une passion dévorante, hors du temps et du monde pendant des semaines entières. Abolissant tous les tabous, les deux amants se lancent à corps perdu dans une histoire d'amour totale - jusqu'à ce que la réalité vienne frapper à la porte de l'atelier, car dehors la maladie rôde et la destruction gronde.
Récit intime porté par une écriture d'une grande sensualité, L'Atelier est un hymne à la puissance de la création et des sentiments dans un monde au bord du désastre. Sa beauté et sa force nous inspirent.
Sarah Hall est déjà l'auteure de quatre romans parus chez les Éditions Christian Bourgois. Si l'on se fie à certains de ses romans précédents, ce n'est pas la première fois qu'elle attribue un métier artistique à l'un de ses personnages. En revanche, le thème de la pandémie, que l'on se doute inspiré de celle dont nous venons de sortir, est inédit et c'est assez étrange de voir toutes ces journées de confinement, pas si lointaines, retranscrites dans ce roman. Sarah Hall a posé les premières lignes de L'Atelier le premier jour du confinement en Angleterre, voilà donc un titre qui a pris forme lors de cette période particulière et sans précédent.
Edith Harkness est une sculptrice, reconnue. Mais qui charrie avec elle de lourds antécédents familiaux, issus mariage brisé de ses parents juste après l'AVC de sa mère, Naomi, qui a fait d'elle une personne tout à fait différente et que son père a quitté, incapable de s'adapter à cette nouvelle personnalité marquée par la rupture. Edith raconte ainsi son passé au travers de ces différents événements distincts, sa vie auprès de sa mère après l'accident, ses premiers pas d'artiste, son séjour au Japon, sa rencontre avec Halit, un serveur bulgare avec lequel elle vivra une histoire d'amour comme une parenthèse hors du temps et en parallèle sa vie présente, dont il ne reste que quelques jours à vivre. Une Edith de cinquante-neuf ans narre l'histoire de sa vie, de retours en arrière, présent et passé mélangés. Vie personnelle et vie professionnelle, l'une et l'autre intrinsèquement liées puisqu'elle est artiste et que l'endroit où elle vit, Burntcoat, lui sert également d'atelier. Sa vie nourrit son art, elle a besoin de gigantisme pour s'exprimer, d'un atelier-usine pour ses œuvres qu'elle fait démesurées.
Pourtant, sa vie n'a rien de cette démesure, elle a grandi auprès d'une mère qui a dû réapprendre à s'occuper d'elle-même, une mère transformée par la maladie, entretenant par la suite un rapport différent avec elle, un père qui l'a abandonnée, un petit ami qui l'a maltraitée. Elle bâtit ses œuvres exactement comme elle raconte son histoire, bribe après bribe, pièce de bois, de métal, une confusion des morceaux épars de sa vie qui devient unité dans ce récit. Dont l'histoire d'amour qui a marqué sa vie, qu'elle revit ici. C'est en analysant chaque bribe qu'elle nous donne qu'on comprend la vie d'Edith, faites de ruptures, d'amoncellements d'épisodes disparates, comme si rien de les reliait ensemble, sauf notre regard et notre conscience de lecteur.
Ce fut une histoire aussi flamboyante qu’éphémère, alors que la maladie rode dans la vie d'Edith, elle la prive, elle lui enlève, alors Edith a appris à vivre avec plutôt que contre, ce qui explique la fragmentation de cette existence, de ce texte qui accumule les paragraphes disjoints. Les liens chez Edith sont aussi fragiles que solubles, du jour au lendemain, l'AVC de sa mère la transforme en une autre femme, avec laquelle il faut apprendre à vivre, son père disparaît définitivement de sa vie, son stage au Japon brusquement interrompu. Cet enchaînement de paragraphe constituant le récit et qui m'a frappé au début, devient plus claire et cohérent dès lors que l'on prend un peu de recul sur cette vie, où la continuité se fait justement dans cette discontinuité, ou l'art reste ce seul fil conducteur, au-delà des pertes, des deuils, des disparitions, des ruptures. Elle est comme ce pilier qui fait le lien entre passé et présent, celle qui a vu les propriétaires de la boutique se succéder, tout comme les pandémies. Comme le bois imperméabilisé de ses œuvres qu'elle protège avec ce goudron de pin indélébile.
C'est une bien curieuse vie que celle d'Edith, dont l'atelier en périphérie de la ville, lui permet de construire et édifier, peut-être le seul domaine ou les aléas de l'existence n'ont pas de prise sur elle, un abri antiatomique des bombes qu'elle s'est pris régulièrement dans le nez, son bunker. Son endroit à elle, hors d'atteinte, alors qu'on lui a progressivement tout enlevé, elle passe sa vie à créer, exactement dans la même orientation que ce récit qu'elle porte pour continuer à vivre. C'est le récit d'une femme solitaire ancrée dans une solitude totale, involontairement puis devenue volontaire puisqu'elle l'a douloureusement expérimenté, rien n'est tangible, rien n'est contrôlable, si ce n'est la direction et le sens qu'elle veut donner à sa vie.
La stratification des différentes étapes de vie d'Edith, ses drames inhérents, laissent transparaître une certaine forme de sagesse acquise avec cette superposition de douleurs, les disparitions des êtres aimés. Une sérénité, un apaisement qui lui permet de revisiter rétrospectivement les événements funestes de son existence passée, sûrement dû à l'isolement consolateur de l'atelier du Burntcoat, où une autre forme de vie créatrice a été finalement possible pour elle.
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