Si certaines sont impressionnantes et effrayantes, d'autres sont drôles et rassurantes !
J'entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l'échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu'au milieu du matelas. Je me terre dans l'angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d'identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s'arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger.
Rarement épigraphe aura été si bien choisi : « L’âge de comprendre : l’âge de détruire… Et ainsi de suite. » Les mots de Virginia Woolf contiennent à eux seuls l’esprit de ce roman tellurique, concentré en deux parties aussi fulgurantes et saisissantes qu’un jet de pierres, qui raconte à la première personne la vie d’Elsa, dans l’enfance puis à l’âge adulte, à l’ombre d’un soleil noir : sa mère abusive.
A sept ans, la narratrice emménage avec sa mère dans un nouvel appartement. Seules, elles y vivent sans témoin une relation toxique, faite de violence, de désir et de destruction, qui ne se met pas en mots mais se révèle au détour de gestes concrets et de bouffées d’émotions, aussi confuses et instinctives qu’incoercibles et dévastatrices. Dans l’esprit de l’enfant se fait jour la conscience d’un mal obscur, comme tapi dans les coins d’ombre de ce logement qui se referme sur elle telles les parois d’un puits, mais qu’elle découvre hérité du passé. Semblable à une malédiction, un secret terrible, inconcevable, renaît insidieusement de génération en génération, enfermant les femmes de cette famille dans une soumission, boursouflée de colère, à des pulsions qui les poussent à se dévorer les unes les autres. Elle-même explore comme elle peut ce terrain où l’amour se confond avec désir, emprise tyrannique et fusion malsaine, reproduisant déjà ce qu’elle connaît quand, dans sa solitude, surgit la possibilité d’une amitié avec une fillette de sa classe. De fulgurances en éclats de lucidité, la compréhension se fait peu à peu, déchirant les épaisseurs du non-dit pour dévoiler au grand jour ce monstre caché, qui, après sa grand-mère et sa mère, a maintenant prise sur elle aussi.
Mais prise de conscience ne signifie pas émancipation. Vingt ans plus tard, Elsa habite son propre studio et sa mère a mis en vente leur ancien appartement. Son enfance lui saute au visage lorsque les menus objets qui lui appartenaient se retrouvent rassemblés dans des sacs poubelle que sa mère s’apprête à jeter, et la voilà confrontée à un triste bilan : désespérément seule dans son incapacité à nouer une autre relation que celle qui la lie encore indissolublement à sa mère, dans une dépendance quotidienne qui l’empêche de jusqu’à choisir elle-même ses légumes, de cuisiner et d’apprendre à conduire, elle réalise que, pour pouvoir rejoindre « le monde des autres », il va lui falloir rompre définitivement ce cordon invisible de l’emprise maternelle. « Nous vivons rangés, à moitié morts, à avaler tout ce qu’on nous met dans la gueule. Nous tuons les tueurs pour les soulager de tuer. Nous nous tuons nous-mêmes pour ne tuer personne. Et c’est ainsi chez le voisin, chez la voisine, dans toutes les familles. De génération en génération. »
Si bien comprimée par les non-dits qu’elle se répand en ravages souterrains d’autant plus destructeurs, la violence imprègne ces pages d’une tension dont les explosions sporadiques viennent souffleter le lecteur au détour d’un simple mot ou d’une seule phrase. Ici, pas d’analyse psychologique, juste la peinture du visible, l’observation des effets, attachés à un lieu et à des objets, pour mieux laisser deviner tout ce qu’il y a à comprendre et tout ce qu’il faudrait déconstruire, avant d’imaginer se libérer. Alors, peut-être, si les mots survenaient un jour, pourrait-il y avoir un après…
Une mère toxique
Un huis clos troublant entre une mère manipulatrice et sa fille . De puis l'enfance, la mère exerce sur elle son emprise sournoise et perverse , faisant le vide autour de leur couple.
Une narration à hauteur de l'enfant puis de la jeune fille que celle ci devient .
Un climat oppressant, accentué par lue écriture faite de l'accumulation de phrases sèches, juxtaposées à l'image des paquets d'objets devenus inutiles que la mère accumule, transporte d'un appartement à un autre et qui encombrent leur lieu de vie .
Un roman qui m'a laissé une forte impression de malaise.
Le livre est divisé en 2 parties : « âge un » et « âge deux » qui correspondent respectivement à l’enfance et à l’âge adulte de la narratrice, Elsa.
Elle raconte sa relation avec sa mère. D’abord ambiguë, on sent que la mère veut être rassurée par sa fille, savoir qu’elle l’aime. La solitude et l’angoisse caractérisent la mère. Puis une relation plus toxique apparaît.
En déménageant, Elsa a également changé d’école. Elle devient amie avec Issa. Mais là aussi la relation est ambiguë. Elsa reproduit un schéma familial hérité de sa mère.
Devenue adulte, l’emprise est toujours présente. Elsa est toujours enfermée dans ce duo malsain, sorte de huis clos perpétuel alors qu’elle a son propre appartement.
J’ai lu cette histoire en apnée. J’avais une boule au ventre ou à la gorge selon les passages. L’écriture s’appuie sur les sens et intensifie le récit de l’enfant. Une lecture angoissante qui ne sera pas pour tout le monde. En tout cas si vous n’avez pas envie de lire de roman sur l’inceste maternel, la violence psychologique et physique intrafamiliale, passez votre chemin. Mais si vous aimez être bousculé par vos lectures, alors ne passez pas à côté de ce premier roman fort, puissant, marquant et remarquablement écrit ! Il a reçu le prix Goncourt du premier roman 2023 mais je trouve qu’il est passé un peu inaperçu.
« Nous vivons rangés, à moitié morts »
Dans ce premier roman, Pauline Peyrade confronte Elsa, une enfant puis une jeune femme, à sa mère qui vient d'acheter un appartement, symbole de leur vie rangée. Si la vie en commun n'est pas aisée, entre les peurs de l'une et les aspirations de l'autre, l'émancipation n'est guère plus facile.
Elsa, qui est encore une fillette au début du roman, doit quitter sa maison et son établissement scolaire pour emménager avec sa mère dans le nouvel appartement qu'elle vient d'acquérir, en espérant pouvoir honorer les traites de son crédit.
Pour sa fille, elle a préparé une chambre avec des lits jumeaux, ce qui l'angoisse car, vivant seule avec sa mère, elle ne comprend pas très bien la finalité de ce choix. Pas plus que les angoisses et les injonctions d'une mère qui la phagocyte. Tout en réclamant sans cesse des preuves d'amour à sa fille, elle reste elle-même très intransigeante, puis possessive. On découvrira plus tard qu'elle a été victime de violences.
Pour Elsa, la respiration va venir avec l'arrivée dans son nouvel établissement scolaire. Issa, une belle jeune fille aux cheveux magnifiques la prend sous son aile. Très vite, les deux jeunes filles vont devenir inséparables. Et si sa mère refuse que sa fille passe la nuit chez Issa, elle accepte cette dernière sous son toit. Après tout, elle avait justifié le lit jumeau en affirmant: «Tu pourras inviter tes nouvelles copines à dormir, comme ça». Une nuit qui va se transformer en initiation sexuelle, mais aussi causer leur séparation. Cet Âge Un s'achève avec la reprise en mains par sa mère.
Puis vient l'Âge Deux, une vingtaine d'années plus tard. Si Elsa a trouvé un petit appartement sous les toits, elle n'en est pas libre pour autant. Pourtant ce n'est pas faute d'essayer via les sites de rencontre ou des voisins qui, lorsqu'ils font l'amour, l'émoustille. Mais ces instants ne sont que des pis-aller. Elle reste sous emprise, avant de comprendre, comme le laisse entendre la phrase de Virginia Woolf en exergue du livre, qu'après l'âge de comprendre vient celui de détruire.
https://urlz.fr/mx16
L'écriture précise,travaillée n'a pas réussie à dissiper le malaise oppressant qui nous envahit à la lecture des rapports douloureux entre Elsa et sa mère.
Dans son roman "L'Âge de détruire", Pauline Peyrade plonge les lecteurs dans une atmosphère oppressante où l'innocence de l'enfance est brisée par une relation malsaine entre Elsa et sa mère désaxée.
L'auteure explore avec précision les conséquences dévastatrices des abus et de la manipulation psychologique.
Elsa se retrouve piégée d'un univers étouffant, où l'amour maternel est complétement altéré.
Malgré une brève lueur d'espoir à travers son amitié avec Issa, Elsa n'arrive pas à établir des relations normales et saines avec ses camarades.
La deuxième partie du roman se déroule vingt ans plus tard, où Elsa lutte pour se libérer du lien destructeur avec sa mère.
À travers une écriture incisive et émouvante, c'est un texte bouleversant, parfois difficile à lire.
Une lecture "choc" qui n'épargne pas le lecteur abordant des thématiques fortes et taboues.
Je regrette une fin trop floue qui m'a laissée perplexe mais l'ensemble est vraiment réussi.
https://www.instagram.com/claudia.passionlivres/?hl=fr
J’avoue que tout le long de la lecture de ce texte (à l’écriture délicieuse mais au sujet particulièrement éprouvant), je me suis demandé sur quelle terrible catastrophe allait déboucher ce tête-à-tête étouffant entre une mère toxique, tyrannique, violente et sa fille Elsa. La mère vient d’acheter un appartement et l’enfant arrive dans un espace nouveau qu’elle n’a bien sûr pas choisi. Elle va devoir s’adapter à une nouvelle chambre, un nouveau quartier, une nouvelle école. C’est peut-être ce qui caractérise l’enfance : accepter des choses qu’on n’a pas choisies. Difficile d’échapper à l’emprise de l’adulte dont on dépend, difficile de s’opposer, de protester, de dire non. Subir. Subir les lieux. Subir la nourriture. Subir les choix, tous les choix, les bons et les mauvais. Se soumettre. Ne jamais rien dire. Attendre de grandir. Mais échappe-t-on vraiment un jour au poids de la famille et aux traumatismes de l’enfance ? Ici, le regard de l’enfant s’attache à observer les lieux, les choses et le temps qui passe avec beaucoup de minutie, comme si la contemplation du monde, en lui emplissant l’esprit, allait lui permettre d’échapper à sa mère, à ce huis clos insupportable et particulièrement oppressant. Une mère paumée qui s’agrippe à sa fille (physiquement et moralement) pour s’empêcher de couler sans se rendre compte qu’elle l’entraîne elle aussi dans son naufrage. L’écriture à la première personne, sensible et sensuelle, rend parfaitement bien les états d’âme d’une enfant réduite au silence à cause d’une mère abusive et égocentrée, une mère qui chaque jour détruit un peu plus sa fille. Et c’est la façon dont l’enfant perçoit ce quotidien, cette violence sourde, silencieuse et répétée qui nous est racontée à travers son point de vue.
Un texte fort et puissant qui dit toute la violence familiale : une lecture en apnée dont on sort épuisé tandis que les dernières lignes nous mettent à terre. Magnifique !
LIRE AU LIT le blog http://lireaulit.blogspot.fr/
https://leslivresdejoelle.blogspot.com/2023/01/lage-de-detruire-de-pauline-peyrade.html
"Elsa ? Tu dors ?"
C'est l'histoire d'une violence qui passe de mère en fille, un cycle infernal dont il est difficile pour Elsa, la narratrice, de s'échapper.
" J'entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l'échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu'au milieu du matelas. Je me terre dans l'angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d'identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s'arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger."
Sur le thème de l'hérédité de la violence un récit tendu, étrange, pesant et tellement dérangeant que cette lecture m'a été pénible. Une écriture qui ne manque pas d'intérêt (très axée sur le sensoriel, voire trop) mais tellement répétitive qu'elle semble s'essouffler rendant la lecture assez monotone.
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Caraïbes, 1492. "Ce sont ceux qui ont posé le pied sur ces terres qui ont amené la barbarie, la torture, la cruauté, la destruction des lieux, la mort..."
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