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Avril 1938. L'offensive des troupes franquistes sur le haut-Aragon fait fuir des milliers d'Espagnols vers la France par les cols pyrénéens. Au cours de cette première «retirada», une femme épuisée accouche en pleine montagne. L'enfant sera français. Son père, resté sur le front, ne reviendra pas de la bataille de l'Èbre. À partir de cette histoire authentique, l'auteur retrace l'itinéraire d'une femme et de ses parents réfugiés qui ont choisi, pour rebâtir leur vie en France, d'oublier les déchirements de la guerre. Ce non-dit pesant conduira Antoine, le fils devenu adulte, à vouloir en savoir plus.
Vingt-six ans plus tard, guidé par des lettres retrouvées de son père, il part en Espagne pour comprendre ce que personne n'a pu lui raconter.
La rive sombre de l'Ebre La rive sombre de l'Ebre de Serge Legrand-Vall
Au-delà du drame que le roman a choisi de développer, ce que je vois surtout ici est un magnifique hymne à la vie.
Ceci est particulièrement clair à la fin du roman, quand le héros prend la main de Nuria pour la conduire vers des jours meilleurs : dès le début de leur fuite, les rires, les chants et les plaisirs de la vie ont la part belle.
P152 : "elle émit un petit rire, le premier depuis qu'ils étaient partis".
"Ils ouvrirent le sac d'amandes, le pot d'olives et débouchèrent la bouteille de vin en poussant le bouchon avec un tournevis. Ce petit repas improvisé dans la voiture était presque drôle. Il fut heureux de la voir manger avec appétit et boire au goulot."
P153 : "Dans le temps étiré de ce voyage nocturne, ils chantèrent. Un homme était mort, mais ils chantèrent pour chasser leur nervosité". Elle lui apprit les paroles de la chanson "Al vent" et lui en chanta d'autres, en catalan. Il aimait la musique de cette langue dans sa bouche et en redemandait".
Malgré le drame, malgré tous ces morts, malgré la tragédie de l'Espagne, "effarante par ses armée de morts", le plaisir de vivre est bien là ! Et Antoine l'a bien compris :
P163 : "La mort ne l'effrayait pas, mais il y avait mieux à faire. Vivre. Et emmener avec lui la mémoire, comme un précieux butin."
L'auteur nous rappelle la force incroyable de la vie, qui arrive à trouver son chemin dans la plus noire des histoires.
Ici, celui qui conclut sa quête, (lui qui est parti sur les traces de son père géniteur), celui qui vient le sauver et le tirer de sa lutte dans le brouillard, c'est.... son père, pas celui qui lui a donné la vie, mais celui qui l'a fait vivre et avec qui la vie continuera.
"son père" : ce seront les deux derniers mots du roman. No más...
La boucle est bouclée... Magnifiquement !
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Il y a une composante dans ce roman dont j'aimerais parler.
Elle était déjà bien présente dans "les îles du Santal" mais j'y ai été plus sensible ici, peut-être parce que je la connaissais, parce que je l'ai reconnue, sous toutes ses formes, étant d'origine catalane :
c'est l'odeur, ...les odeurs.
En fait, il me semble qu'elles sont au cœur même de l'essence de ce roman, qui, grâce à elles, "sent bon l'Espagne".
On pourrait presque leur accorder la place d'un personnage qui intervient de façon significative pour enrichir le roman à plusieurs niveaux. J'en ai détaillé 4 :
1 - Les odeurs viennent compléter la vision du quotidien.
2 - Elles sont en interaction avec les personnages
3 - L'odeur a la vedette de l'action.
4 - Les odeurs s'inscrivent dans l'essence du roman dont elles soulignent la spécificité.
1/ Les odeurs viennent compléter la vision du quotidien
P35 : les fromages aux odeurs fleuries
P40 : l'odeur de linge propre, de fleurs séchées et de vieux bois.
P78 : odeurs de résine et de poussière.
P98 : l'odeur d'aubergine et de tomate confite, lard et oignon
P135 : l'air était rempli des odeurs fraîches de la rivière et des murmures du courant.
2/ Elles sont en interaction avec les personnages
P81 : "une assiette de pain, tomates, olives et serrano, arrosée d'un vin parfumé du Priorat qui l'avait mis de bonne humeur." (à Lérida)
P115 : "il avait respiré ses cheveux, un parfum doux de fleurs séchées, d'immortelles. Il en avait ressenti un plaisir aigu." (Nuria)
P137 : en parlant du père de Nuria : "Antoine sentit son odeur âcre de transpiration et de tabac". (Connotation négative qui sent le rejet et le dégoût.)
3/ L'odeur a la vedette de l'action.
P85 : (au début de la 2ème partie) C'est l'odeur de fumée qui réveille Antoine, quand la maison du vieil Appolo brûle.
"Une agitation confuse et une odeur de fumée. Non, de brûlé. A cette pensée, il s'éveilla d'un coup. L'odeur était bien là, réelle."
4/ Les odeurs s'inscrivent dans l'essence du roman dont elles soulignent la spécificité.
P81 : On est en Espagne, et les odeurs apportent à Antoine la conscience d'être en terre étrangère.
"La fraîcheur était tombée, mais elle n'avait rien à voir avec le froid vif des soirées pyrénéennes. Par la fenêtre de la portière ouverte, Antoine respirait des odeurs étrangères, mates, grasses. Des odeurs lourdes de secrets envasés, entraînés par les flots lents. Des odeurs minérales aussi, venues de ces roches grises qui portaient un manteau d'arbres maigres et tortueux."
("secrets envasés", les flots lents" = qui ont emporté le père d'Antoine et emporteront celui de Nuria.)
("roches grises" "arbres maigres et tortueux" = cette partie de l'Espagne.)
Conclusion :
A mon avis, ces odeurs que l'auteur décline si bien à l'infini sont une des marques, (si ce n'est LA marque) de son ADN littéraire. ... Incontournables !
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