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C'est en 1770 que Georg Kempf, l'ancêtre du narrateur, poussé par la famine, décide de quitter le sud de l'Allemagne pour la « Transylvanie », où la terre est grasse et fertile. Comme d'autres miséreux il a été convaincu par un messager de Marie Thérèse, d'aller peupler ce territoire délaissé de l'Empire austro-hongrois. Les années passent et la famille Kempf jouit d'une situation confortable dans cette région de Croatie nommée Slavonie lorsque Hitler appelle les Volksdeutsche, les Allemands de « l'extérieur », à rejoindre ses forces armées. Dans la Waffen-SS, Georg Kempf, dernier du nom, vit le sort dramatique des « volontaires forcés ». Au moment où l'armée allemande essuie ses dernières défaites à l'Est, il parvient à s'enfuir dans la forêt polonaise, et à rejoindre, après de multiples rencontres, un groupe de maquisards soviéto-polonais. À la Libération, muni d'un certificat de combattant soviétique, il regagne sa terre natale, totalement changée, dans une Yougoslavie en pleine révolution. Là, il rencontre Vera, militante communiste. Une histoire d'amour se noue sans pour autant effacer les marques laissées par l'Histoire sur chacun d'eux et sur l'enfant né de cette union, le narrateur. Des marques qui demeurent toujours sensibles dans cette région des Balkans, aujourd'hui talon d'Achille de l'Europe.
La réparation du monde est scindée en trois parties. La première, relativement courte, débute en 1790 : un dénommé Georg Kempf quitte l’Allemagne, embarquant à Ulm pour rejoindre la Transylvanie, que les Turcs ont quittée. Il s’établit finalement en Slavonie, province de l’actuelle Croatie. On retrouve dans cette première partie des points communs avec le livre de Florescu, sur les conditions difficiles qui prévalaient alors dans le Saint Empire. La seconde partie, de loin la plus volumineuse, s’attarde sur un descendant de Georg Kempf, Georg (dit Djuka), né en 1919, mobilisé comme « volontaire-forcé » pour aller sur le Front Est, en tant qu’ « Allemand ethnique ». Enrolé dans les Waffen SS, on suit ses pérégrinations en Pologne, ainsi que celles d’une communiste croate, Vera, qui se bat contre les Allemands en Yougoslavie. Enfin, la troisième partie se déroule après la Seconde Guerre Mondiale, traite du retour au pays, des difficultés de la reconstruction et se prolonge jusqu’à la mort du personnage principal.
L’auteur arrive à nous faire prendre conscience que chacun pouvait, à l’instar de Djuka Kempf, glisser dans cet engrenage de la guerre, quelles que soient ses idées ; il dépeint une vision très réaliste de la guerre, loin de l’idéalisation des combats.
Ainsi, à cette époque, le destin de Kempf dépendit de la « situation globale » sur les champs de bataille polonais et européens. Tout comme lors de son recrutement dans la Waffen-SS, sa volonté ne prit aucune part.
J’ai trouvé que la situation sur le front polonais, évoquée dans la seconde partie est très forte et très bien rendue : l’allusion aux ghettos liquidés, les exécutions d’otages, un passage sur Treblinka où Kempf, désormais en fuite, rencontre un Juif évadé qui finit par être tué par un groupe de bandits de différentes nationalités. La haine du Juif, « l’antisémitisme ordinaire » sont omniprésents. Cet épisode où des Polonais font sauter à la dynamite des fosses communes pour récupérer les effets personnels des Juifs exécutés est également très marquant, et cela est fait de la part de l’auteur sans exagération. Les luttes internes entre les résistants bolcheviques et ceux dits nationaux en Pologne sont également bien mis en valeur. La seconde partie du livre recèle donc des passages vraiment très forts.
De même, sans trahir le déroulement du livre, le retour miraculeux de Kempf dans son pays illustre les difficultés du retour. Les Allemands qui ne sont pas restés dans le Reich sont déportés, à l’instar de ce qui se passera en Pologne, en Tchécoslovaquie… Autour de Kempf se soulèvent les questions : Pourquoi est-il revenu ? Qu’a-t-il fait là-bas ? Comment a-t-il pu survivre ? Le mélange des nationalités est omniprésent, qu’on soit en Yougoslavie, en Pologne, dans les unités des Waffen-SS, où des Ukrainiens se sont engagés en voulant se venger contre les Bolcheviks coupables de l’Holodomor.
Combien de temps faudrait-il pour que ces colons, maintenant appelés Gastarbeiter, prennent pied dans leur nouveau milieu, qu’ils y plantent des racines, qu’ils se rangent, qu’ils se fassent naturaliser et assimiler ? Combien de temps faudrait-il encor pour qu’ils ne soient plus considérés comme des étrangers ? Il avait fallu à mes Allemands deux cents ans pour y arriver. Ce qui fait dix générations. Après quoi ils étaient redevenus des étrangers.
Je l’ai dit au départ : ce roman est un livre ambitieux et le bandeau l’assumait en titrant « Le grand roman de la Mitteleuropa ». Parfois passionnant, original dans sa construction (des encadrés font parler le descendant de Djuka Kempf avant sa naissance), il est néanmoins parfois difficile à lire. Les états d’âme et réflexions de Kempf sont souvent trop abondants, freinant le rythme de lecture et je dois avouer que j’ai vu venir la fin des 620 pages avec un certain soulagement.
https://etsionbouquinait.com/2023/03/23/slobodan-snajder-la-reparation-du-monde/
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