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Les mots ont-ils un pouvoir ? La question était en débat dans l'Europe médiévale. On s'est interrogé sur l'origine divine, démoniaque ou peut-être naturelle de la virtus verborum , la puissance des mots, et en particulier sur le pouvoir des incantations. L'incantation pouvait-elle avoir une cause naturelle et, dans ce cas, était-elle une pratique licite ? Des théologiens, des philosophes, des médecins de renom ont soutenu l'idée d'une efficacité non démoniaque de la parole humaine, une efficacité naturelle. On trouve ainsi, dans les textes doctrinaux de l'époque scolastique, une ample matière pour reconstituer la naissance et l'histoire d'une interprétation des incantations que l'on pourrait dire naturaliste. La notion même de virtus verborum trouve une première formulation dans les années 1230-1270 par la voix du franciscain Roger Bacon ; celui-ci contredit l'interprétation théologique de l'incantation qui faisait la part belle aux pouvoirs des démons. De 1280 à 1348, la question du pouvoir des mots prend une tournure plus spécifiquement médicale, elle est portée par les réflexions des médecins Pietro d'Abano et Gentile da Foligno. Après 1350, le théologien et homme de science Nicole Oresme analyse la virtus verborum de façon résolument rationaliste ; il confère à l'interprétation naturaliste des incantations sa forme la plus étendue et la plus aboutie. Mais au début du XVe siècle, le chancelier Jean Gerson déclare son hostilité à l'encontre de la notion d'incantation naturelle et revient à l'interprétation démoniaque : le débat est clos. Les discussions sur la virtus verborum renaîtront plus tard, à l'époque moderne. Les débats médiévaux sur les incantations représentent un moment à part dans l'histoire intellectuelle du Moyen Âge. Entre le début du XIIIe siècle et la fin du XIVe siècle, la réflexion sur la virtus verborum aura dessiné une parenthèse naturaliste au sein d'un contexte radicalement autre, celui d'une société préoccupée par les démons et leur possible intervention dans les affaires des hommes. -- Do words have power? The question was debated in medieval Europe. People pondered upon the divine, demoniacal or perhaps natural origin of the virtus verborem', the power of words, and in particular, the power of incantations. Could incantations have a natural cause, and if such was the case, were they a lawful practice? Renowned theologians, philosophers and doctors supported the idea of a non-demoniacal efficacy of the human word, a natural efficacy. Consequently we find in the doctrinal texts of the scholastic period ample material to piece together the birth and history of an interpretation of incantations, which might be qualified as naturalistic. The very notion of virtus verborem' was first formulated in the years 1230-1270 through the voice of the Franciscan friar Roger Bacon. He refuted the theological interpretation of incantations which attributed them mostly to the power of demons. From1280 to 1348, the question of the power of words took a more specifically medical turn, focussing on the thinking of the doctors Pietro d'Albano and Gentile da Foligno. After 1350, the theologian and man of science Nicole Oresme analysed the virtus verborem' in a resolutely rationalist fashion; he gave the naturalistic interpretation of incantations its most extensive and successfully accomplished form. But at the beginning of the 15th century, the chancellor Jean Gerson declared his hostility towards the notion of natural incantation and reverted to the demoniacal interpretation: the debate was closed. Discussions about the virtus verborem' would be revived later, in modern times.
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