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De 1900 à 1950 se multiplièrent les cartes postales coloniales : femmes-objets « couleur locale » ou costumées selon les standards aguicheurs du moment. Aujourd'hui l'artiste marocain Miloudi Nouiga balafre de peinture ces photos dans un geste doublement provoquant dénonçant à la fois le colonialisme d'hier et la censure présente des intégristes musulmans.
Valentine Goby s'inspire de cette révolte. Elle raconte le voyage d'une carte postale. L'image passe successivement du photographe qui prend le cliché dans les années 1920 à la prostituée marocaine qui pose, au soldat français qui achète la carte dans une boutique de Casablanca, années 1940 puis enfin à la petite fille française du militaire qui la retrouve aujourd'hui dans les papiers d'un héritage.
Que voit-on vraiment ? De quoi, de qui parle-t-on ? Valentine Goby poursuit ainsi sa quête romanesque où le corps tient une place primordiale.
La carte postale représentant la « fille surexposée » s'est projetée dans une peinture de Miloudi. Elle figure en couverture de ce livre et dans le musée imaginaire des révoltes de Valentine. On retrouve dans ce texte envoûtant la passion de celle-ci pour « les multiples mensonges de l'image » depuis sa construction voici cent ans jusqu'à sa reconstruction aujourd'hui en passant par toutes les métamorphoses de l'histoire.
En retrouvant une boîte de cartes postales a dressées à son grand-père décédé, Isabelle tombe sur une carte intitulée « Femme mauresque - Khadidja Maroc »
Cette carte l'interpelle et la dérange.
Elle la mènera jusqu'au Maroc où elle rencontrera un peintre qui a a revisité le sujet de cette mystérieuse marocaine inconnue.
C'est un livre court, intense, puissant.
Il m'a semblé assister à une rencontre capitale entre Valentine Goby et Miloudi Nouiga.
Un livre poétique où se mêlent délicatesse et sensualité
On ressort de ce livre en ayant l’impression d’avoir regardé de nombreuses photos. Ce roman de Valentine Goby est riche d’images et de sensations visuelles. L’autrice observe minutieusement les réactions, bonnes ou mauvaises, enthousiastes ou non, provoquées par des photos. La principale, celle de Khadidja la Marocaine, est un mensonge, une mise en scène, une volonté de créer le désir (en 1920) qui s’est transformée en gêne depuis. Les spectateurs multiples questionnent la puissance des images et de leur construction. Finalement, cette photographie, par son imaginaire, évoque quelque chose et provoque un mouvement émotionnel. Le grand-père Maurice désire cette femme. Miloudi, lui, est intrigué. Cette photo ne représente pas la réalité. Cette photo ment. Isabelle, près d’un siècle après la création de cette image, est dérangée. Elle se confronte à une vision de colonisateur, soumettant la femme, l’étrangère.
En passant de l’un à l’autre, d’une époque à l’autre, Valentine Goby pose la question de celui qui regarde et de ce réflexe de combler les silences de l’histoire par son imagination. Alors on suppose le déroulé de la séance photo, le quotidien dans le quartier de Bousbir. Et il y a la vie de Miloudi, cet enfant qui adorait dessiner, capter le réel, adorait le travail sur l’image, pictural, photographique ou cinématographique. Les deux parcours réels, d’un côté Isabelle et de l’autre Miloudi, se répondent, trouvent un écho dans la déambulation de leurs recherches. Le livre explore finement le questionnement autour de la photographie en tant qu’art et les dernières pages ont le mérite de ne pas mettre de point final à cela. On ferme le roman en sachant qu’on ne regardera pas les photos comme avant.
Saviez-vous que la chanson “Prosper yop la boum” grand succès de Maurice Chevalier dans les années trente et sympathique comptine aux oreilles des plus petits fut en réalité inspirée par Prosper Ferrieux, propriétaire des terrains du premier Bousbir, dans l’ancienne medina de Casablanca au Maroc: 600 pensionnaires, 175 logements….grand quartier de la prostitution réglementée et organisée “où toute la tension sexuelle du Protectorat semble avoir convergé depuis 1912”.
A partir d’une photographie de mauresque utilisée par un peintre , Miloudi Nouiga, dans ses tableaux pour arracher à l’oubli le Bousbir, ses prostituées, le Maroc du protectorat et les fantasmes orientalistes des coloniaux, Valentine Goby restitue l’histoire de la photographie de la jeune femme prise pour modèle sur la carte postale. L’auteur tisse les destins de Maurice jeune soldat français débarqué au Maroc, Alexandre son ami avec lequel il entretiendra une longue relation épistolaire au gré de ses voyages, Isabelle sa petite-fille qui enquête sur cette carte postale échappée du carton de chaussures dans lequel est conservée la correspondance de son grand-père, Khadidja la Marocaine, modèle de la photographie, Aïcha qui vend ses charmes au Bousbir, ainsi toutes les moukères anonymes qui ont officié dans ce quartier, prisme des fantasmes des occidentaux. Le roman se conclut sur une belle queue de poisson par laquelle l’auteur révèle comment l’idée du roman et l’histoire lui sont venues.
Un très beau petit livre.
C'est l'histoire d'une vieille carte postale retrouvée par hasard dans les affaires d'un grand-père décédé. Elle représente une jeune Marocaine nue. La petite-fille est choquée. La photo la trouble.
A travers plusieurs époques, les années 20, les années 50, les années 70, aujourd'hui, on va suivre la vie de ce petit quartier où étaient réunies les prostituées "légales" de Casablanca, comment le grand-père a connu le quartier, ce qu'il y a fait, comment il est rentré en possession de cette carte postale. Parallèlement à cette histoire, on suit aussi l'artiste à l'origine de la couverture qui reprend ces vieilles photos érotiques et les détourne en appliquant des touches de peinture un peu au hasard. Sa technique est très bien expliquée dans le livre.
C'est en tout cas un récit original et plaisant à suivre. C'est aussi une réflexion sur l'humanité au sens large et sur un aspect de la colonisation assez méconnu avec ses femmes surexposées (il est très bien choisi ce mot d'ailleurs).
"C'est une photo en noir et blanc dont le blanc a tourné sale. Une fille foncée à peau phosphorescente sous lumière crue. Une fille surexposée. Une jeune fille sur une vieille carte. Une photo ancienne, peut-être, figée sur plaque de verre au bromure d'argent. La fille est nue. De profil, côté droit. Les seins pèsent. Le bras droit replié masque les tétons. Les doigts tiennent une cigarette à peine allumée dont la fumée gris clair se dissout dans le gris foncé de l'arrière-plan. Le ventre bombé répond courbe pour courbe à la cambrure, noir des reins creusés, blanc tranchant de l'abdomen. Le cadre coupe le corps au ras du pubis. Le visage incliné est bordé d'ombre, la peau est mate, c'est la vraie peau de la fille. Bouche charnue, nez épaté, yeux baissés. Visage statuaire, sans regard, qui fixe le sol. Peut-être pas le sol mais le bas, un ailleurs étranger à l'œil de l'appareil, du photographe, du spectateur, un point de fuite ; et alors l'autre, celui qui voit la fille, toi qui en saisis l'image, toi qui scrutes la photo, tu as le champ libre pour prendre toute cette peau, y river les pupilles et la prendre, la reprendre, chassé, réprouvé par rien : les yeux de la fille désertent. La fille se retire, te laisse avec sa peau, ne te dérange pas. Le front est barré d'une mèche de cheveux ou bien d'un bandeau noir, la tête prise dans un tissu à motifs noué autour du crâne. Des boucles brunes et rares, ou bien des perles tombent sur l'épaule. La fille porte un pendant d'oreille, un collier à peine visible, quatre bracelets ronds au poignet. En-dessous, dans le liseré clair, on lit «Femme mauresque – Khadidja la Marocaine.»"
Au cœur de ce récit bref, dense et magnifiquement original, il y a cette photo, dont nous est dévoilée l'histoire au fil des années, d'un siècle à l'autre, d'un pays à l'autre. L'image nous apparaît dans un carton de cartes postales envoyées par Maurice à son ami Alexandre, au fil de "cinquante années de guerre, de voyages, de mutations militaires", et que ce dernier a transmis à la petite-fille de Maurice, Isabelle. La jeune femme étale toutes ces cartes, "ni pour refaire l'itinéraire et la chronologie, mais par curiosité soudaine : pour voir le tableau d'ensemble, à quoi ça ressemble, cinquante ans de traversée du monde."
Alors qu'Isabelle s'interroge sur cette photo, son histoire, son grand-père, le peintre Miloudi Niouga, dans son atelier, travaille sur cette même photo. Il l'imprime en agrandi, la colle sur une plaque d'Isorel, bien lissée, bien tendue, puis projette dessus peinture et brou de noix. "Seul le geste compte. Le reste – la couleur, l'ordonnancement exact des taches et des coups de pinceau – n'a aucune importance, c'est pur hasard. Un décor. Maintenant, ce n'est plus le bras qui travaille c'est l'estomac, chaque projection de couleur trempe dans la bile du dedans. La photo est posée par terre sur du papier journal. Miloudi plonge le pinceau dans l'acrylique, lève le bras, l'abat d'un coup et une pluie bleue grêle la fille, éclate en minuscules impacts étoilés sur la peau, le blanc du pourtour, le fond flou, puis le pinceau barbouille la coiffe de Berrechid et tranche l'ovale net de l'image. Un autre pinceau, du noir cette fois, même précipitation du bras vers le sol, et sur le tableau un chaos de mouchetures brunes. Miloudi attrape un morceau d'Isorel, le trempe dans le brou de noix, l'applique en deux mouvements brefs au bas de la plaque, puis le laisse perler, faire flaque sur l'épaule. Trois gouttes d'eau de Javel et le brou se dilue dans le coin supérieur gauche, progressivement, se dévale jusqu'au bord.
C'est fini.". Le résultat : l'image qui orne la couverture du livre. "Lire dans le bleu une espérance. On pourrait remarquer : le corps n'est pas touché, ou bien à peine, comme épargné. Et on y chercherait un sens : la fille n'est pas l'objet de la colère, la colère, c'es§ l'image elle-même, la fille, le peintre l'a préservée."
Paradoxalement, "il n'y a pas de projet esthétique. Il n'y a que le geste qui dit quelque chose, ici toute harmonie, toute économie des éléments est accident. C'est le geste qu'il faut comprendre, pas le tableau. Il n'est pas sûr que ce geste soit compris par le passant. Ce n'est pas une pure chorégraphie du corps à la Pollock. Ce n'est pas une danse tracée. Ce n'est pas une révélation de l'état du corps de Miloudi. C'est une sentence, ce geste.
Et pas celle qu'on croit."
Pour tenter de comprendre ce geste, il faut voyager dans le temps.
En 1924, lorsque la photo a été prise, avec pour modèle une jeune fille du Bousbir, le quartier des prostituées de Casablanca au temps de la colonisation, puis reproduite et vendue en cartes postales aux soldats.
En 1953, au premier de l'an, lorsque Maurice l'envoie à son ami Alexandre, découvre le Bousbir, passe une nuit inoubliable avec Aïcha – difficile à admettre pour sa petite-fille, que son grand-père ait pu fantasmer sur ce style de filles et en fréquenter au temps de sa jeunesse, elle qui ne l'a connu qu'âgé, difficile d'accepter l'image de son corps nu, avec celui d'une fille, dans un bordel de Casablanca –, et à travers cette découverte et cette nuit, ce sont toutes ces femmes surexposées, offertes malgré elles, qui sont mises en lumière...
En 1971, à Paris, quand le jeune Miloudi découvre cette photo, et d'autres dans le même genre, ces mauresques qui, en même temps qu'elles font remonter des souvenirs d'enfance, dérobés du coin de l'œil, viennent mettre à mal ce qu'il a croit depuis vingt ans au sujet des photos. Il pensait que "la photo, ça ne ment pas. Elle montre l'invisible, ce que les yeux seuls ne peuvent pas voir." Il découvre avec ces images que "la photo invente, la légende affabule, tu as pas des yeux en plus, ces cartes montrent des choses qui n'existent pas" mais que l'on fait passer pour vraies en les associant à des visions tangibles, pour dissimuler la supercherie. Du coup, "tu ne doutes pas d'elle, la Mauresque, rien ne la contredit, on t'a menti avec douceur et avec ruse, tu ne sais pas que ces cartes nient les vraies femmes, les pas génériques, du Bousbir ou du pays maure. La photo ment." Et Miloudi se révolte. Pas contre la fille, mais pour elle. "Il a cette pensée absurde qu'il voudrait la sauver, Had'a, de ces connards, de la mise en scène qui la nie." Et décide alors de poser ce geste inouï, de balafrer de couleurs les portraits de ces filles surexposées...
En 2012, lorsqu'Isabelle, en vacances au Maroc avec sa fille, découvre dans la vitrine d'une galerie d'art la fille de la carte postale transfigurée par le geste de Miloudi Niouga. Et que tout s'éclaire : "le geste de Miloudi braque sur elles une lumière crue et sans jugement, qui dit seulement «Ça a été»."
Dans ce récit bref, puissant, intensément sensuel et coloré, la plume de Valentine Goby, une fois encore, fait merveille, nous emporte, nous touche, nous invite à la réflexion, à regarder au-delà, plus loin, plus profond. Elle sait mieux que personne trouver les mots justes pour dire le corps, ses représentations, les violences qu'il subit, ses cris, ses appels, qu'il faut entendre et transmettre, pour ne pas qu'ils se perdent...
"Je suis la fille qui regarde la fille que le peintre saccage. Je suis la fille qui se trompe, ce jour de mai, voit dans le tableau un geste de censure où il y a en fait un appel, une terreur de l'oubli. Je suis la fille qui rencontre le peintre, comprend qu'elle s'est trompée d'interprétation, et cherche à rendre compte de son erreur, du véritable geste du peintre, des multiples mensonges de l'image depuis sa construction il y a presque cent ans et des vérités qu'elle révèle, rappelle, fixe définitivement." écrit l'auteure en postface. "Je dessine, restitue, invente le hors-champ, le hors-temps de l'image, du moment : cela fait des romans."
Des romans singuliers, magnifiques, et rares.
Les éditions Alma ont choisi de faire illustrer les thèmes fondamentaux de l’art énoncés par Picasso dans La Tête d’Obsidienne : « la naissance, la grossesse, la souffrance, le meurtre, le couple, la mort, la révolte et peut-être le baiser ».Valentine Goby a opté pour la révolte, thème développé dans son ouvrage : « La fille surexposée ». Dans ce récit, l’auteure décrit le voyage d’une carte postale. Celle-ci passe des mains du photographe qui prend le cliché à une prostituée marocaine, pour finir dans les mains d’un soldat français qui l’achète dans une boutique de Casablanca, dans les années 40 .Cette carte parvient enfin dans les mains de la petite-fille de ce militaire, à l’occasion d’une inspection des papiers d’un héritage.
On connaît, bien sûr, le penchant auquel on peut céder par facilité ou par préjugé, lorsqu’on évoque le Maroc, l’Afrique du Nord .On pense aux peintures orientalistes de Delacroix, aux portraits des femmes de la kasbah écrits par Pierre Loti .Valentine Goby veut, dans ce livre, faire justice de ces visions. Ce qu’elle nous dit, c’est que cette carte postale, avant d’être la représentation d’un exotisme facile, est d’abord un mensonge .Ce dernier engobe bien sûr la condition de prostituée à cette époque dans le Bousbir de Casablanca. Ce vocable viendrait de la déformation de l’euphonie du prénom Prosper que les autochtone auraient changé en « Bousbir » .On y trouve aussi d’éclairantes réflexions sur le rôle du photographe .En l’occurrence, il se rend complice de ce mensonge et éprouve des remords perceptibles : « Il pourrait demander à la fille de tourner légèrement la tête, de braver l’objectif, mais quelque chose l’en empêche .Lui serre la gorge. Cette fille renversée et muette et hostile avec sa bouche douce s’est sauvée dans les songes .Elle s’est absentée du studio, la cigarette fume entre ses doigts sans volonté .La photo sera tendre, pense le Photographe. Une rêveuse mauresqe.La lumière entre dans l’appareil et grave l’image .Au dos du châssis, à la mine de plomb, le Photographe inscrit : »Khadidja la Marocaine ».Il a une drôle d’envie de pleurer. » D’autres passages évoquent les états occasionnées par la prostitution : « Il fourrage sous la robe d’Aïcha et l’assoit sur lui en lui tenant les hanches .Elle résiste, Al fluz ! Il lui balance le portefeuille, tiens ! (…) elle, elle pense à Jeanne d’Arc, elle exulte en-dedans, elle tient sa place de cinéma et même un glace à la sortie, elle ouvrira une bouteille de vin après, elle le soûlera son gentil Maurice, Il dormira comme un bébé, d’une traite jusqu’au matin. »
La représentation de cette femme, sa surexposition, selon le mot de l’auteure, a été génératrice d’illusions, elle a contribué à l’ancrage des stéréotypes dans notre imaginaire .Et enfin, elle a légitimé la violence faite au corps féminin par sa marchandisation, son inclusion dans la prostitution. Cet ouvrage est donc bien un écrit de révolte.
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