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Camille fugue. Elle ne sait pas encore où elle va, mais elle est bien décidée à mettre le plus de distance possible entre elle et ses parents. Alors qu'elle somnole sur le bord du fleuve, une péniche accoste devant elle. Deux marins en sortent et déposent sur le quai un petit écriteau : « recrute garçon à tout faire contre gîte et couvert ». Camille y voit l'occasion idéale de montrer à ses parents qu'elle peut se débrouiller seule du haut du ses quinze ans. Mais ce que la jeune fille est loin d'imaginer, c'est qu'en signant le drôle de contrat que le propriétaire de la péniche lui tend, elle deviendra son esclave et devra travailler pour lui à vie, sans rétribution. Commence alors un voyage au cours duquel, de fleuves en canaux, Camille sera amenée à découvrir Éther, une terre de magie, qui pourrait bien dissimuler le mystère de ses véritables origines.
Récemment, alors que je m’efforçais une fois de plus de remanier les étagères de mes bibliothèques dans l’espoir (vain) de libérer un petit peu d’espace pour les nouveaux et furturs arrivants (car je me connais, il y aura forcément des futurs arrivants), j’ai remarqué une chose fort surprenante … Quasiment tous les tomes de sagas que je possède (et ils sont nombreux, vu que j’aime les sagas) sont des « gros » pavés de plus de 400 pages, alors que l’écrasante majorité des one-shots sont relativement courts (250 pages maximum). On aurait pourtant pu imaginer que ce serait l’inverse : lorsque l’histoire toute entière doit tenir dans un seul et même livre, celui-ci devrait logiquement être plus long pour réussir à tout contenir, du début à la fin en passant par de multiples péripéties. Mais empiriquement, c’est tout de même ce que je constate : les tomes de sagas sont obèses et les one-shots sont faméliques. Autant vous dire que La fille sans nom détonne dans le paysage : il étale fièrement ses 500 pages et éclipse tous les autres petits livres qui l’entourent, comme pour hurler « lis-moi ! s’il te plait, lis-moi maintenant, regarde comme je suis beau et gros comparé aux autres ! ». Et comme je suis incapable de résister à l’appel d’un livre en détresse, j’ai fini par craquer, et ce brave ouvrage s’est retrouvé sur ma table de chevet, prêt à m’embarquer dans de grandes aventures …
Cette fois-ci, s’en était trop : excédée par les incessants déménagements que lui font subir ses parents, excédée par les innombrables règles et interdits qu’ils lui imposent, Camille a tout simplement décidée de mettre les vagues. La jeune fille sage et obéissante a donc quitté le domicile en pleine nuit, son sac à dos rempli de sucreries, d’un débardeur de rechange et d’un simulacre de trousse de secours. Elle marche sans avoir la moindre idée d’où elle veut aller : tout ce qu’elle veut, c’est s’éloigner quelques temps de ses parents, histoire de leur faire comprendre qu’elle n’est plus cette petite fille qui suit aveuglément sans se poser de questions, histoire de leur faire saisir qu’elle en a ras-le-bol d’être ainsi surprotégée, histoire de leur faire comprendre qu’elle aspire à un peu plus de liberté. C’est ainsi que, sans réfléchir, Camille se fait engager comme « garçon à tout faire » sur une drôle de péniche … Mais sans le savoir, en signant ce drôle de contrat avec son sang et en prononçant plusieurs fois son nom dans cette drôle de jarre, Camille vient de perdre sa liberté … et même son identité. Incapable de se souvenir de son nom, de sa vie, la jeune fille va se retrouver embarquée bien malgré elle dans un monde dont elle ignorait totalement l’existence. Un monde où la magie est aussi enchanteresse que cruelle.
Tout commence par une révolte adolescente : un ras-le-bol des règles et des interdits qui s’accumulent et qui empêchent de vivre une vie normale, le sentiment que les parents ne comprennent décidemment rien à rien et se désintéressent totalement de son bonheur … Une situation tellement ordinaire que le lecteur se sent immédiatement en empathie avec notre jeune héroïne, qui décide sur un coup de tête de fuguer en pleine nuit, sans but bien précis. Juste pour s’échapper un instant, quelques heures, quelques jours. Pour prouver, finalement, qu’elle existe, qu’elle n’est pas une petite chose malléable qu’on peut déplacer à sa guise, qu’elle ne supporte plus d’être trimbalée d’un bout du pays à l’autre sans même avoir la possibilité de se faire des amis, sans même avoir le droit d’aller un coup au cinéma comme n’importe quelle adolescente de son âge. Une entrée en matière qui manque peut-être d’originalité, mais qui a le mérite d’être efficace : sans elle, Camille n’aurait assurément jamais croisé le chemin de ce drôle de bateau qui accoste en pleine nuit et qui cherche un garçon à tout faire contre le gite et le couvert. Alors bien sûr, on peut trouver Camille fichtrement inconsciente, de s’embarquer ainsi sans rien connaitre de cet homme qui se prétend « mage » … mais il y a ce petit frisson de l’aventure qui fait qu’on a, nous aussi, drôlement envie d’en savoir plus !
Et ce qui devait arriver arriva : c’est un pacte avec le diable que notre pauvre héroïne, désormais privée de son identité même, vient de signer sans le savoir ! Et nous basculons immédiatement dans une autre ambiance, bien moins ordinaire : le fantastique a fait son irruption avec ses gros sabots. Un mage qui se révèle être un tyran sans pitié, des êtres mi-ogres mi-dragons au grand cœur derrière leurs airs féroces … On est à la fois effrayé pour notre petite jeune fille et émerveillé par ce nouveau monde et sa magie, qui s’offrent à nous progressivement, doucement mais sûrement. Alors que Camille, qui conserve envers et contre tout son gout pour la liberté et son mépris viscéral pour les interdits, s’efforce de trouver un moyen de se libérer de cette emprise magique, le lecteur sent son cœur qui s’emballe : c’est une quête à nulle autre pareille, que celle de retrouver qui on est ! On a envie de l’aider à se souvenir, de l’aider à renouer avec ce qu’elle est, ce petit quelque chose ineffable qui la rend parfaitement unique. Parce que c’est ça qui se cache derrière l’histoire de La fille sans nom : ce besoin existentiel de savoir qui on est, qui on est vraiment, profondément. On traverse toute une période où on a le sentiment de s’être perdu, égaré, de ne plus savoir ce qui fonde notre « moi intérieur », où on a aussi l’impression de n’être plus rien du tout, de n’être plus personne …
Dans sa quête, Camille va être soutenue par toute une panoplie de personnages, qu’on aimerait beaucoup avoir pour compagnons de route ! Les dogrons sont tellement attachants, derrière leur bestialité première : Camille a su voir plus loin que les apparences et les différences, elle a bien compris que l’essentiel, c’est ce qui se cache dans le cœur de ceux qui nous entoure. Belle leçon de tolérance et d’ouverte à l’autre, à celui qui n’est pas comme tout, à celui qui est rejeté de tous ... Jolo est tout simplement adorable : c’est un jeune homme que j’aimerai tellement avoir pour meilleur ami ou pour grand-frère, il est tellement prévenant, tellement apaisant. J’ai également beaucoup apprécié l’intrigue autour de la princesse enfermée dans le miroir, car elle nous invite à ne pas se laisser entrainer par les conflits « sempiternels », à ne pas se laisser entrainer par ce cercle vicieux de la violence, de la vengeance, nées de l’incompréhension et de la jalousie. En fait, c’est un livre qui invite à travailler main dans la main, qui rappelle qu’on a chacun nos forces et nos faiblesses et qu’ensembles, on est plus fort. Quand on cesse de se tirer dans les jambes, on peut avancer deux fois plus vite ou plus loin … Et on peut se sortir de toutes les épreuves. Alors oui, on peut dire que c’est trop facile, qu’ils se sortent bien trop aisément des situations les plus catastrophiques, et je ne peux pas le nier … mais vu que l’histoire doit s’achever en un seul volume, l’autrice a bien été obligée d’aller au plus rapide !
En bref, il me semble inutile d’en dire beaucoup plus : vous aurez sans doute compris que j’ai vraiment beaucoup aimé cheminer aux côtés de la jeune Camille … et que pour tout dire, je suis même profondément frustrée que l’histoire se soit terminée alors qu’il restait tant à découvrir ! Car l’autrice nous ouvre les portes d’un monde d’une richesse incroyable qu’on rêve désormais d’explorer plus en profondeur : on vient à peine de le découvrir qu’il faut déjà le quitter, on vient à peine de rencontrer vraiment les personnages qu’il faut déjà leur dire adieu, et c’est vraiment un crève-cœur ! Car oui, l’histoire est finie, ils ont vaincu le grand méchant (du moins, on peut dire cela comme ça, vous verrez que c’est à la fois plus complexe et plus … simple), mais tout ne fait en réalité que commencer ! Les mages et les sorciers vont-ils finir par se réconcilier ? Camille et son frère vont-ils réussir à retrouver les autres enfants sur Terre ? Leur père va-t-il mieux ? Et que devient Margoule, ainsi que l’explorateur et la princesse ? Tant de questions qui restent sans réponse … sauf si nous laissons nos rêves inventer cette suite qui manque terriblement. Car je pense que c’est vraiment ce que fait ce livre : nourrir notre imagination, faire resurgir cette âme d’enfant qui aime s’inventer mille et une histoires, qui se glisse sans difficulté dans ces univers magiques où tout semble possible … Alors, si vous avez envie de rêver, n’hésitez pas une seule seconde : La fille sans nom est le roman idéal !
http://lesmotsetaientlivres.blogspot.com/2021/12/la-fille-sans-nom-maelle-fierpied.html
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