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Il y a trente mille ans environ, Maÿtio, jeune femme du clan de Néandertal, est sauvée de la mort par une des trois divinités qui veillent sur son destin. Suite à la perte de son nouveau-né, il ne lui reste plus que la nature et les animaux pour compagnons qu'elle passe ses jours à contempler. Maÿtio jette alors son dévolu sur une belle pouliche qu'elle nomme E'wa. Mais l'animal et son troupeau lui sont arrachés. Et un jour, désespérée, elle se met à dessiner sur la paroi d'une grotte. Ce geste, qu'elle ne comprend pas et dont elle ne mesure pas la portée, s'avère être son premier pas comme arpenteuse dans la voie de l'art. Rejointe par les siens à chaque printemps, elle leur transmet sa découverte qui éveille en chacun d'eux la peur, la joie, la mélancolie et l'espoir. Ensemble, ils défient le temps et gravent dans la pierre la mémoire de toute une civilisation. Grâce à l'originalité du tracé, du phrasé, de la forme, et au fil de la mélodie de ses mots, Béatrice Castaner fait revivre
Pour apprécier pleinement ce roman parfois un peu déroutant, il faut justement accepter de prendre des chemins atypiques en laissant de côté les repères narratifs habituels. Après tout, plus de 30 000 ans nous sépare de la Femme-Maÿtio ! Certes cet écart ne représente sans doute qu'un millionième de seconde au regard de l'histoire du monde, mais pour une lectrice-lambda d'aujourd'hui (moi en l'occurrence) ça ne se parcourt pas en deux coups d'accélérateur de particules ! La proximité, la familiarité ne sont pas données d'emblée et pénétrer dans le monde de Maÿtio nécessite donc que l'on fasse quelques pas vers elle. Le fort beau roman de Béatrice Castaner nous permet ce rapprochement par un ensemble de moyens qui donnent cohérence, crédibilité et force à l'histoire qu'elle nous raconte.
Cette histoire c'est celle d'une très jeune Néandertalienne qui a vu le massacre de son clan par un autre. Seule survivante, elle ne doit son salut qu'à deux des trois divinités qui tissent la destinée des hommes. Agonisante, Maÿtio est emmenée dans une grotte "à mi-hauteur de la falaise" et "la vie reprend peu à peu ses droits. Une vie autre, coupée de la précédente, d'où plus rien ne peut croître." (p.34). Ses journées solitaires se passent à observer un troupeau de chevaux sauvages, en contrebas. Parmi eux, elle élit E'wa "une pouliche à la robe brune et blanche" (p.35). Comme si à travers l'animal la jeune femme vivait par procuration, Maÿtio se fond dans le corps d'E'wa pour mieux renaître dans son propre corps martyrisé. La disparition du troupeau pourrait être la cause d'un nouvel effondrement, fatal celui-ci. Mais l'imagination de Maÿtio prend le relais...
En utilisant la matière qui l'entoure, le calcaire des parois, le charbon de bois, elle qui ne sera jamais mère peut "donner corps" à la réalité comme à ses rêves. "Avec comme seules armes une torche et un morceau de bois calciné, Maÿtio déclare la guerre au proche anéantissement de son monde" (p. 50) en dessinant E'wa au plus profond des entrailles de la terre. Après "d'innombrables saisons", une autre tribu rejoint Maÿtio à chaque printemps et ainsi se poursuit la transmission des histoires et de l'expérience. La silhouette d'E'wa est maintenant accompagnée par des troupeaux d'animaux qui s'animent à la lueur des torches devant les tribus réunies, suscitant l'émerveillement, l'effroi, la joie.
Comme dans "Aÿmati", la transmission et l'art sont au coeur du roman de Béatrice Castaner. Racontée ainsi, cette naissance de la création artistique au tréfonds d'une caverne il y a 30 000 ans a quelque chose de profondément émouvant. L'histoire de Maÿtio n'est pas seulement celle, bouleversante, de la fin des Néandertaliens, mais elle rejoint aussi celle de toutes les résiliences, de toutes les résistances humaines et de la part irréductible que prennent toutes les formes d'art dans ce cheminement permanent. La narration nous fait passer de l'individuel à l'universel, de l'intime au social, avec une infinie subtilité. La langue alterne un rythme syncopé, au moyen d'une syntaxe minimale, avec des périodes descriptives, plus amples, plus poétiques. Les phrases semblent s'apurer pour ne garder que l'essentiel de ce que discernent les personnages. La musicalité de l'écriture ainsi que sa force évocatrice créent une sorte d'envoûtement, une proximité troublante avec ces personnages temporellement si lointains et humainement si familiers.
Voilà vraiment un très beau roman, à l'écriture et à la construction parfaitement maîtrisées et qui a su me transporter 30 000 ans A.P. auprès de Maÿtio, ma petite-soeur, mère, aïeule, fille, "arpenteuse des chemins de l'art".
Majestueux, d’une écriture millénaire au souffle rare. Le Femme-Maÿtio est un récit grotte ancestrale, époustouflant. Le détenir est lumière. Le lire c’est vivre. Retourner la terre noble et s’émouvoir des racines qui résistent au temps. Dans cet entre monde littéraire Béatrice Castaner œuvre à la beauté. D’une dualité raffinée, ce récit mi -conte mi -légende en touches mémorielles est un chant langoureux. Une incantation pour la première femme. Symbole fécondée par trois déesses. Maÿtio est seule. Dans cet espace où ne surgit que le néant, les bêtes sauvages, l’hostile aux abois. Hymne Néandertal, la trame est une envolée de chevaux sauvages, de puissance et de grâce. « Maÿtio reste ainsi des heures à l’arrêt, à aiguiser son regard à la vie du troupeau, à éprouver la sérénité des chevaux sous la brise du matin, leurs craintes aiguës à l’odeur furtive d’un prédateur et leur puissance dans les brusques galops à la tombée du jour. » L’émotion est vive. L’attrait, une ferveur. Béatrice Castaner délivre une histoire dont on se souviendra toujours. Ce culte travaillé à l’orée d’une préhistoire qui devient flammes et attentions. « Elle fixe cette trace qu’elle vient de laisser sur la pierre et ne comprend pas encore le geste accompli. » Maÿtio résiste aux proies des ténèbres, apprivoise les chevaux, retourne dans la matrice fécondante et nourricière. Première femme qui dessine sur les parois d’une grotte enfantant sa destinée. Tracés d’une existentielle survivance. La parabole fait pleurer. L’art est résurrection. Béatrice Castaner délivre l’emblème d’une transmission où s’entrechoquent le vide du Néandertal et les prémices des sensations et des sens. « Jusqu’au soir, ils tracent, gravent, dessinent, effacent, recommencent, jusqu’à ce que le mouvement prenne vie. Maÿtio se tient avec Seÿna, Oùmlan, Néjh, et les guide dans leur apprentissage. » Maÿtio libre, sachant lire le devoir de mémoire avant tous. Métaphore du sceau invincible, gravures sur les roches, filigranes historiques. « La Femme-Maÿtio » est le pictural d’orfèvre. Un récit initiatique, superbe, inoubliable, poétique. L’humanité est un feu de joie. Nos regards se tournent vers ces fresques immortelles. Ce grand livre est une louange à l’art, à la préhistoire. Publié par les majeures Editions Serge Safran.
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