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Vivant une histoire d'amour impossible, la narratrice s'invente un double littéraire, Madame X, pour partir à la recherche de son véritable désir. Dans ce voyage initiatique qui nous transporte de Paris à Istanbul, de New York à Venise, le personnage demande à des femmes qu'elle admire : philosophes, actrices, psychanalystes, artistes, écrivains ou encore une nonne et une hermaphrodite, de lui confier des tâches qui lui ouvrent les portes vers des mondes secrets et fantastiques. Quel est son véritable désir ? Et quel est le prix à payer pour le trouver ?
Un roman à clés captivant, à la croisée d'Alice aux pays des merveilles et d'Eyes Wide Shut.
Un projet d'écriture qui tient de la performance - au sens artistique du terme, bien sûr - quoique… Afin d'échapper à une histoire d'amour qui s'essouffle un peu, la narratrice décide d'aller jusqu'au bout de ses désirs via un personnage littéraire qu'elle nomme Madame X. Elle va confier à certaines de ses amies, devenues des muses, l'action même de son roman en leur demandant de lui donner des missions que son personnage mettra en œuvre. Enfin, pour que tout ceci devienne un récit, elle décide de rencontrer un psychanalyste auquel elle racontera dans le détail les tribulations de son personnage.
Comme je vous le disais en ouverture, un projet qui tient de la performance...
Le but ? : vivre par procuration des choses qu'on n'oserait peut-être pas réaliser dans la vraie vie, autrement dit, aller au bout de ses désirs par le truchement d'un être de fiction, explorer l'inconscient féminin à travers un personnage, une espèce de double qui finira, vous l'imaginez bien, par se confondre complètement avec le je de la narratrice - je certainement très autobiographique…
Alors, concrètement, ça donne quoi tout ça ?
J'ai vécu ce texte comme une rencontre, une étrange rencontre même : celle d'une femme, Sinziana Ravini, critique d'art, commissaire d'exposition, enseignante en esthétique. Des références, elle en a. Dans tous les domaines, semble-t-il. Elle a lu Freud, Lacan, Sade, Goethe, Mann et tant d'autres... Elle fréquente des auteurs, des philosophes, des artistes (Pierre Huygues qu'elle admire beaucoup), des professeurs, des chercheurs, des musiciens. Elle voyage sans cesse, revient, repart, se livre à une multitude d'expériences, se déguise, se bande les yeux, se déshabille, se masque, jouit, fabrique du pain, vole une Bible, expérimente l'hypnose, se masturbe, lit Sainte Thérèse, participe à des soirées étranges, se parfume, prépare des cours qui ont pour sujet : « L'art d'errer dans l'inconscient à travers l'art», se fait enchaîner, part élever des chèvres, rit, pleure, s'initie aux rites francs-maçons, achète un crocodile empaillé, fait une retraite spirituelle dans l'abbaye de Sénanque, organise des dîners-performances...
Elle se plie aux suggestions de celles qu'elle nomme ses « marionnettistes », des femmes qui sont écrivains, philosophes, psychanalystes, artistes, des Jean de Berg, Fabiola, Titania, Jade, Frida, Héméra, Méphistophéline (qui se cache derrière ces pseudos ? Des Catherine Millet / Robbe-Grillet ?) … Elles lui disent ce qu'elle doit faire. « On n'a peut-être pas le droit de tout faire, mais on a quand même le droit de tout imaginer » lui rappelle l'une d'entre elles. Vers quels mondes ces guides vont-elles la mener ? Vont-elles l'émanciper ou la manipuler, lui ouvrir la voie vers l'accomplissement de son désir ou bien la retenir prisonnière ?
Elle résume sa situation en deux mots : « Je désire tout, donc rien » et est tentée (pour lui donner un sens?) de transformer sa vie en œuvre d'art. Il y a du Sophie Calle chez Sinziana Ravini à tel point que son psychiatre lui dit : « Ce n'est pas ce que vous vouliez ? Abolir la différence entre le vrai et le faux ? » Oui, c'est exactement cela mais l'entreprise est plutôt risquée !
On la sent fragile, sensible, perdue, s'interrogeant devant la tapisserie de la dame à la Licorne qui porte l'inscription « à mon seul désir ». Elle est comme cet oiseau tombé de son nid qu'elle ramasse et finit par enterrer. On sent qu'elle a peur, qu'elle frôle sans cesse le vide, chute, se relève, repart. Elle a peur du vide mais ne peut s'empêcher de s'approcher du bord de la falaise. Encore une fois, l'expérience est risquée. On peut se perdre à vouloir mieux se retrouver.« J'ai peur de devenir ce personnage que j'ai inventé», personnage qui devient une espèce de « compagnon de voyage », toujours présent pour rassurer celle qui part, qui fuit mais revient toujours.
Elle qui est si différente de son mari, Vincent. Celui qu'elle cherche, quand elle rentre dans l'appartement. Quelle association ! Elle, si romanesque, fantasque, plongée dans un monde irréel peuplé de femmes préraphaélites aux cheveux longs et de boudoirs éclairés à la bougie, elle du côté du clair-obscur, lui qui s'épanouit dans la lumière du monde. Très carré, très pragmatique, très terre à terre. Deux univers.
Quand elle se plaint de la panne de son ordinateur, il lui dit : « C'est très bien. Cela te permettra de revenir à la réalité.» Il m'a fait rire, Vincent. « Avec toi, plus rien ne m'étonne» lui répète-t-il souvent. Et ses remontrances perpétuelles : «Vincent commente ma manière de manger un croissant : « En France, on ne met pas du beurre et de la confiture sur un croissant sans l'avoir d'abord coupé en deux », mes chaussures : « On ne se promène pas en talons dans les montagnes », ma nouvelle robe en cuir noir : « Ce n'est pas un peu ... trop ? », ma nausée dans la voiture lorsqu'on visite trois maisons avec un agent immobilier qui conduit comme s'il avait volé le véhicule : « On ne partage pas son mal-être avec les autres », la distance trop courte entre ma chaise longue et la piscine de l'hôtel : « Tu n'es pas seule sur terre », mon souhait de manger bien cuit au restaurant le soir : « Tu ne vis plus en Roumanie » (elle est suédoise, d'origine roumaine), ma réflexion sur les peintures de Gainsborough auxquelles les marronniers de la vallée me font penser : « Tu ferais bien de revenir un peu à notre temps » et mes livres sur la sexualité féminine : « Est-ce qu'il t'arrive de penser à autre chose qu'au sexe? Je ne comprends pas pourquoi tu t'y intéresses autant. Tu t'y connais aussi bien qu'en volley-ball suédois. » Terre de contrastes...
Comme lui dit très justement son psy : « Votre monde imaginaire a du mal à s'accorder avec votre monde réel, mais votre mari vous ramène toujours à la réalité. » L'empêcheur de rêver en rond, l'empêcheur vers lequel elle revient sans cesse. L'amour ? Car il faut bien que cet attachement porte un nom...
Il la traite d'hystérique, la rabaisse constamment, va jusqu'à lui dire qu'elle « n'existe pas ». Ne souhaite-t-elle pas, par cette folle agitation, lui prouver le contraire ? Est-il celui qu'elle cherche ou bien celui qu'elle fuit ?
Souhaite-t-elle échapper à la figure littéraire qui l'effraie certainement le plus, celle de Madame Bovary, celle d'une femme qui n'est pas allée jusqu'au bout de ses désirs et n'a trouvé comme échappatoire que la mort ?
Quelles douleurs de l'enfance veut-elle oublier, elle qui a vécu chez ses grands-parents paternels pendant que ses parents « fitzgeraldiens » faisaient la fête ou voyageaient...
Où va la mener cette errance, ce tourbillon, cette folle agitation ? « Je ne suis pas à la recherche d'une chambre à soi, cela ne me suffit pas, mais à la recherche d'un monde à moi.»
À force de s'éparpiller, va-t-elle se perdre ou se retrouver ? À force de demander aux autres des tâches à accomplir, va-t-elle se libérer ou au contraire s'enfermer ? « La soumission à laquelle je me suis pliée est-elle compatible avec ma quête de liberté? » s'interroge-t-elle. Où est ce monde qu'elle recherche où « spiritualité et extase physique ne feraient qu'un » ? Existe-t-il ? Où vont la mener ces vies parallèles, ces transgressions ? Vont-elles l'aider à se retrouver ou vont-elles mieux la perdre ?
Oui, j'ai fait une belle rencontre et me suis attachée à ce personnage fantasque et fragile, avide d'assouvir ses désirs. Je l'ai suivie dans des sentiers escarpés où je sentais qu'à tout moment elle risquait de chuter (m'entraînant peut-être avec elle!) J'ai eu peur pour elle (et pour moi!) Elle m'a, le temps d'une lecture (pour plus longtemps?), conduite dans des mondes fascinants et dangereux où je n'étais pas forcément prête à aller (n'est-ce pas là la définition même de la séduction?) Tandis qu'elle avançait dans l'ombre de son personnage, je m'aventurais sous sa protection dans ces contrées inconnues… Belle mise en abyme…
Suivre le chemin qui mène à la liberté et le montrer aux autres alors que l'on a peur de s'y perdre soi-même… Il faut être femme pour avoir autant de courage et prendre autant de risques, n'en déplaise à monsieur Vincent qui ferait bien de lâcher prise lui aussi pour tenter de trouver un peu de vérité. Il a un guide de choix, qu'il en profite !
LIRE AU LIT http://lireaulit.blogspot.fr/
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