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Non, non, non, elle n'est pas si sexy. Pas sexy du tout. Ah bon ? Si elle a de la beauté, et elle en a, plus que de la beauté, autre chose que de la beauté, personne ne sait exactement ce que c'est, la beauté, la sienne est généralement ramenée au cliché de la beauté slave, sensuelle et froide. Pour l'instant, elle la gomme. Elle s'oblige, sans y penser, à la gommer ou à ne garder que la froideur. Ou elle y est obligée, question de survie. Comme étrangère, Russe en France, elle n'a pas le droit de travailler, elle vient tout juste de se faire embaucher à Nice par le couple Matisse, petit contrat de rien, sans se faire trop remarquer. La Delector met en scène Lydia Delectorskaya, collaboratrice et proche du peintre Henri Matisse. Il a soixante-deux ans, elle en a vingt-deux. Il est tout, elle n'est rien. Il a provoqué le scandale à son insu, elle ne l'a pas cherché. Une histoire qui va durer vingt-deux ans, jusqu'à la mort du peintre, et dont on ne saurait qualifier la teneur, tout juste en esquisser l'intimité.
Cela pourrait être la biographie de Lydia Delectorskaya qui fut de 1932 et jusqu'à la fin de la vie du grand Matisse, son modèle, sa muse, sa secrétaire et sur la fin le cerbère, mais c'est bien plus que ça. Jusqu'à présent, tout du moins en France, son rôle, sa présence, malgré les nombreux tableaux, dessins, croquis sur lesquels elle figure est restée dans l'ombre, seuls quelques biographes américains, et bien après la mort du grand peintre, ont osé se poser des questions sur elle et surtout la relation exacte qu'elle a pu entretenir avec lui. En gros, pour être prosaïque, ont-ils été amants ?
Cette question hante évidemment le roman de François Vallejo et malheureusement ( pour qui ? ) il n'apportera pas de réponse. Cependant, en écrivain curieux, il ne manque pas de se questionner, à l'affût du moindre indice. Chaque tableau, chaque lettre, chaque témoignage sera passé au filtre de cette question sans que pour autant il passe pour un obsédé. Parce c'est bien d'un roman qu'il s'agit, un roman à trois personnages, Matisse , Lydia Delectorskaya et François Vallejo, lui essayant de se glisser dans l'atelier, derrière les toiles, sous le pinceau du peintre, dans sa tête, essayant d'analyser le comportement de ce Matisse vieillissant devant sa jeune modèle posant nue dans son atelier.
Evidemment l'auteur n'échappe pas au tropisme de : "Je suis belle, je pose nue devant un homme, donc il me désire, me prend, abuse de moi" ou, plus romanesque, cherche à déceler une histoire d'amour que cette proximité aurait pu engendrer. Le roman tourne donc toujours autour de cette question : Ont-ils été amants? Evidemment, la question d'un amour platonique effleure parfois le propos mais l'idée de sexe reste presque une obligation dans l'esprit de l'écrivain, alors que, sans doute, décidément très modernes, ces deux êtres, indubitablement très liés, pratiquaient peut être une certaine asexualité, aujourd'hui plutôt en vogue ou tout du moins visible et assumée par certains.
L'intérêt de ce roman permet au lecteur de s'interroger beaucoup sur ces notions de sexualité mais pas que, loin de là. C'est également une formidable plongée dans l'univers créatif d'un des grands maîtres de la peinture du 20 ème siècle où l'intime, le personnel, les événements politiques ou familiaux viennent, non pas nourrir l'imaginaire, mais contrecarrer la création d'un génie qui ne vivait que pour la forme, la couleur et l'harmonie millimétrée d'un tableau. C'est également l'émouvant portrait de cette femme de l'ombre, dont le mystère et la beauté, infiniment romanesques, méritaient cette splendide mise en valeur par un auteur vraiment inspiré.
Lorsqu’on évoque l’œuvre de Matisse, on pense tout de suite à ses nus d’un bleu cobalt qu’on nommera le bleu Matisse. L’œuvre du peintre Henri Matisse, né à la fin du XIX e siècle, est colossale, mais ce que l’on connait moins, ce sont ses sources d’inspiration. Outre son épouse Amélie, nombre de modèles ont été ses muses pour un temps plus ou moins long, comme Hélène Galitzine, princesse russe exilée. Il y aura aussi Monique Bourgeois qui deviendra sœur Jacques-Marie chez les dominicaines et entrainera le vieux peintre à décorer la chapelle du Rosaire à Vence. L’un de ses modèles a été plus que cela pour le vieux peintre, c’est Lydia Delectorskaya. Russe de Sibérie, orpheline et pauvre, elle entre au service du couple Matisse pour un emploi sans qualifications : garde malade et dame de compagnie auprès de madame, intendante toute puissante du foyer.
Enigmatique, efficace et discrète, la jeune fille se fait sa place auprès du couple, entre l’épouse régente et le vieux peintre exigeant. Il faut veiller madame et poser comme modèle pour monsieur, des journées bien remplies mais jamais une plainte. Cela va durer des années jusqu’à ce que l’épouse prenne ombrage de cette fille trop belle dont la sensualité éclate dans les tableaux de son mari. Et puis, le contrat stipulait qu’elle était à son service, et la voilà qui consacre presque tout son temps à Matisse qui ne peut plus se passer d’elle en tant que modèle mais aussi d’assistante. La rupture est totale, on ne veut plus d’elle. Mais le maitre a trop besoin de cette fille qui l’apaise et l’inspire tout à la fois avec son calme et sa sensualité. Et, l’épouse partie, la voilà qui remonte en scène.
Lydia Delectorskaya va se consacrer entièrement au maitre dont elle connait les exigences. Elle le suivra durant la débâcle de la seconde guerre mondiale, tandis que lui refusait de fuir à l’étranger pour ne pas se séparer d’elle, l’étrangère.
A la mort du maitre en 1954, elle a quarante-quatre ans et elle est seule au monde. Elle gagnera sa vie en tant que traductrice de russe et restera fidèle à Matisse jusqu’à sa mort. Autrice de deux livres sur le peintre, elle restera muette quant à la vraie nature de sa relation avec le maitre.
On ne s’étonnera pas que François Vallejo ait été captivé par cette égérie qui garde sa part de mystère et ses secrets. A-t-elle été sa maitresse, ou bien cet amour réel entre eux n’a-t-il été que fantasmé ? On n’en saura rien, et elle sera bafouée, rejetée et traitée en ennemie et en intrigante malgré son altruisme et sa discrétion.
C’est là qu’entre en scène la fiction et l’auteur nous dit : « Seule une narration libre peut avoir la prétention de serrer d’un peu plus près le type de relation inédit qui s’est inventé, puis instauré entre un vieil artiste et une jeune partenaire. »
Tout au long de cette biographie romancée, l’auteur titille notre curiosité, il sait nous captiver tout en nous faisant découvrir la genèse des œuvres de Matisse. C’est un véritable plaisir que de pénétrer l’intimité de dizaines de tableaux et dessins que Lydia Delectoskaya a inspirés au maitre.
François Vallejo n’affirme rien, il laisse ouverte la porte de tous les possibles. Cette biographie enrichie de l’imagination de l’auteur est écrite dans un style alerte et sans fioritures. Un vrai régal de lecture !
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